Édito – Compétition labo 2020
Des danses militantes traversent la compétition labo 2020 : contre les totalitarismes, les discriminations raciales ou les inégalités entre les sexes.
À la fin du XXe siècle, Michel Foucault lie la question du corps à celle des pouvoirs et des institutions, il débusque les multiples tactiques visant à policer les corps en les distribuant et en les quadrillant dans l’espace et le temps. Des corps policés par une police des corps donc. Mais voilà qu’au mépris des usages, certains artistes contestent ces évidences et, du même geste, mettent à mal les diktats de l’ordre établi. Dès lors, rien ne semble plus politique que ces corps dansants… Les danseurs de Swinguerra, à Recife, dans un Brésil dirigé par l’extrême droite de Bolsonaro, illustrent parfaitement cela grâce à l’éclatante mise en scène de Barbara Wagner et Benjamin de Burca. Contestation, résistance, les contre-pouvoirs déploient leur puissance. Au cœur du sensible, ces deux artistes habitués à se confronter à l’art contemporain (biennale d’art de Venise 2019) vont offrir au public l’occasion de ressentir des manières singulières d’être, d’éprouver et de s’éprouver. Imperceptiblement, ils permettent à une pensée agile de prendre un souffle nouveau, loin de l’ultra conservatisme.
Réalisé par Baloji, dont le nom signifie fort à propos « sorcier » en swahili, Zombies creuse cette volonté acharnée de liberté dans un Kinshasa dystopique. On y retrouve les codes du photographe malien Malick Sidibé qui avait su saisir dans les années 60 la vitalité de la jeunesse bamakoise. La danse est une arme, alliée à la musique, elles deviennent un vecteur de transformation du monde.
Au cœur de la foule, cette appétence pour la liberté est là aussi pour les danseurs de Cultes, film du collectif d’artistes de (La) Horde qui travaille sur la création chorégraphique (la Comédie de Clermont les a programmés en octobre 2019 et ils ont pris la direction du Ballet national de Marseille il y a quelques mois).
Le corps est en fête, le corps exulte, et les jeunes protagonistes d’Acid Rain (Tomek Popakul de retour au labo après une première sélection en 2014 avec Ziegnort) se retrouvent dans la forêt au son de la même musique mais s’échappent de la liesse et d’une participation à une messe consumériste. Avec son trait unique, à la fois brut et coloré, et une narration proche des meilleurs romans graphiques, ce jeune réalisateur originaire de Pologne (pays à l’honneur cette année au travers d’une riche rétrospective, voir) fait preuve d’une rare maturité.
Dans l’autre film polonais de la compétition, le cheval et le cavalier de Duszyczka, tels une préparation anatomique du Docteur Fragonard (frère du peintre), écorchés, ont traversé une existence fantastique, effrayante, et évoquent dramatiquement les cavaliers de l’Apocalypse. Le monde de Barbara Rupik, la réalisatrice, est un monde agonique, de gestations insensées, de décompositions macabres, de confusions entre la nature de l’homme et la nature de la nuit ; ces créatures illustrent l’angoisse de notre temps avec des fresques d’une beauté maladive.
Tout aussi troublant, le personnage de Tomorrow I Will Be Dirt de l’anglais Robert Morgan (qui poursuit avec ce film l’histoire du long métrage d’horreur Schramm de Jörg Buttgereit) semble obsédé par la préoccupation de conserver sa cohésion. Il lui est difficile d’ajuster ces masses de matière informe dans lesquelles il essaye avec une féroce violence de modeler un visage et un corps valables. Robert Morgan fait de son film une pure brûlure, après Bobby Yeah (prix spécial du jury en 2012) et The Cat with Hands (en compétition internationale à Clermont en 2002).
Ce sont nos rétines qui vont aussi se consumer avec le retour en compétition de Thorsten Fleisch et son Mustererkenntnis ; en 2008 le labo accueillait la décharge visuelle d’Energie! (ce film est présent sur le DVD 10 ans de labo édité par Potemkine et agnès b.). Son film repousse les limites de la persistance rétinienne dans une expérience des plus immersives. Épileptiques s’abstenir.
Lauréat deux années de suite du grand prix labo, Pang-Chuan Huang nous présente son troisième film Yoakemae no KoiMonogatari coréalisé avec Chunni Lin (dont le film Yen Yen était en compétition à Clermont en 2015). Ce jeune artiste taïwanais, ancien élève du Fresnoy – Studio national des arts contemporains de Tourcoing, continue une remarquable approche du genre documentaire, toute empreinte de douceur et d’un subtil travail sur l’image argentique qui sont devenus sa signature.
Les réalisateurs de la compétition labo de cette année vont vous surprendre par leurs capacités d’invention et d’imagination à perturber l’ordre sensible du monde. Avec bientôt 20 ans d’existence, le labo reste un filtre unique pour retranscrire l’actualité de notre époque.
Chiffres-clés
29 films sélectionnés
14 pays représentés
10 fictions animées
9 documentaires en prises de vue en continu
6 fictions
4 fictions expérimentales
4 premier films