Breakfast avec La fugue
Entretien avec Jean-Bernard Marlin, réalisateur de La fugue
Sabrina, votre personnage principal, dans l’attente de son jugement, est accompagnée par un éducateur qui l’encadre et la coache. La description du métier d’éducateur et les attitudes des jeunes présents dans La fugue semblent particulièrement réalistes. Avez-vous été vous-même éducateur ? Avez-vous entrepris des démarches à l’écriture pour pouvoir être au plus proche de la réalité ?
Cette fiction fut précédée d’une démarche documentaire dans des foyers de la protection judiciaire de la jeunesse. J’ai passé du temps avec des jeunes en difficulté et des éducateurs, c’est un travail que j’ai mené pendant plus d’une année et j’ai veillé à ce que mon film soit conforme à ce que j’ai vu et ressenti à ce moment-là.
Pourriez-vous resituer les étapes juridiques : Comment expliquez-vous que le travail de réinsertion professionnelle se fasse avant le jugement ?
Une affaire judiciaire peut prendre du temps avait d’être jugée. Plusieurs mois s’écoulent parfois avant une audience au tribunal, c’est-à-dire entre le moment du délit et la décision de justice. Un travail éducatif est donc mené pendant ce temps-là.
Dans La fugue, finalement, Sabrina est jugée davantage sur son comportement face au juge que pour les faits. Auriez-vous pu faire un autre film, avec des faits beaucoup plus graves ?
Non, Sabrina est jugée pour les faits qui lui sont reprochés, mais aussi pour les faits antérieurs -elle est en sursis, elle a déjà été jugée pour de nombreux autres délits. D’où l’agacement et la dureté de la juge. Le jeu de la comédienne, son attitude revêche au moment du procès était fondamentale pour qu’on puisse comprendre la situation de déni du personnage.
Du début à la fin de La fugue, vous arrivez à créer un climat d’incertitude très prégnant. A aucun moment on ne peut prédire la réaction de Sabrina. Comment avez-vous réussi à créer cet effet de funambule ? Quelles données étaient fixées en termes de rythme (scénario, montage), de direction d’actrice et de cadrages ?
Oui, j’ai ressenti d’une manière très forte ce climat d’incertitude au moment de mon travail avec des jeunes en difficultés et j’avais envie de rendre ce sentiment dans La Fugue. C’était le parti pris premier du film : rendre cette sensation. J’ai donc donné un caractère d’imprévisibilité au personnage de Sabrina au moment de l’écriture. Puis, au tournage, j’ai dirigé et poussé Médina Yalaoui, la comédienne qui interprète Sabrina, à être parfois imprévisible, en réaction face aux situations du scénario et à ce que j’avais écrit.
Le directeur de la photographie était également dirigé comme un comédien. Il a participé à donner cette liberté au film en restant attentif à filmer l’inattendu, à ce qui était aussi en dehors du scénario. Ensuite, avec le monteur, nous avons réécrit le film en travaillant ce climat d’incertitude, tout en gardant un récit tendu et tenu.
Le jugement des mineurs se situe toujours quelque part entre éducation et répression. A quel moment l’éducation perd-t-elle pied face aux réalités de ces enfants ? A quel moment la répression est-elle une bonne solution ? La répression peut-elle enfermer un jeune dans une spirale de délinquance ? Et l’éducation ?
La répression n’est jamais une bonne solution et, d’après ce que j’ai vu, la justice des mineurs est extrêmement attentive à ne pas incarcérer trop vite un mineur. Elle fait de son mieux pour chercher des alternatives et proposer des mesures éducatives. Mais si les délits commis sont graves, elle se retrouve dans une situation délicate, difficile, voire même « incohérente ». Le travail éducatif mené par un éducateur peut être alors contredit par une incarcération soudaine. La Fugue montre justement ce genre de situation.
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Pour voir La fugue, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F8