Dîner avec Nachtschade
Entretien avec Shady El-Hamus, réalisateur de Nachtschade
Pourquoi avez-vous choisi de centrer le film sur le transport d’immigrants clandestins ?
Tout a commencé avec une séquence de CCTV que j’ai vue en ligne et qui montrait un minivan sur une autoroute Européenne – soudainement, elle s’est retournée à 180 degrés et s’est arrêtée là. Le conducteur est sorti et s’est enfui, et à l’arrière du van ont commencé à sortir une trentaine de personnes, y compris des enfants. J’ai réalisé qu’avec la crise des réfugiés que nous traversons, il y a tellement d’histoires différentes et de tragédies, et que je n’avais jamais rien vu de ces personnes qui conduisent les vans. Ce conducteur qui s’enfuit m’a marqué – je voulais savoir ce que pouvait être son histoire.
Pourquoi avez-vous choisi que un transporteur qui pourrait lui-même être identifié comme immigrant ?
Dans les recherches que nous avons menées, il nous est apparu que les passeurs se servent souvent de conducteurs qui peuvent parler de nombreuses langues, l’Arabe et le Turc par exemple. Cela rend la communication entre passeur, conducteur et réfugiés beaucoup plus simple. Je trouvais cela particulièrement intéressant parce que cela montre que dans le monde actuel, et ce sera le cas plus encore dans le monde de demain, chaque individu a des racines de quelque part. Le conducteur du film est peut-être né aux Pays-Bas mais ses parents ont immigré de la Turquie. L’importance de notre histoire familiale et de notre nationalité comptera moins j’espère. Tout le monde évolue.
À quel point êtes-vous intéressé par les questions père-fils et pensez-vous réaliser d’autres films sur cette thématique ?
C’est globalement mon sujet principal. À peu près tous les films que j’ai réalisés jusqu’ici traitent de cette question. Je prévois d’écrire un long métrage dans lequel je pourrais explorer mon regard sur ce sujet plus en profondeur.
Avez-vous écrit cette nuit particulière comme une forme de rituel pour Tarik ? J’ai pensé que ce n’était pas sa première nuit de transport avec son père, mais y a-t-il une forme d’initiation dans Nachtschade ?
Moi et l’auteur Jeroen Scholten van Aschat avons totalement considéré cette histoire comme un passage à l’âge adulte sinistre. Nachtschade (Nightshade) est une famille de plantes qui ne grandit que dans l’obscurité. Le garçon devient adulte cette nuit-là – il est finalement reconnu comme tel par son père à la fin du film, ce qui est ce qu’il a toujours espéré, mais qu’il paie le prix fort. Le film est une tragédie – chaque enfant admire ses parents, mais n’arrive souvent pas à voir qui ils sont vraiment.
Comment avez-vous travaillé la lumière et le son ? En particulier pour l’ambiance de la cabine de pilotage du camion ?
Nous avons tourné toutes les scènes de conduite dans une remorque alors on avait beaucoup de liberté avec la lumière. L’approche du film était de raconter l’histoire du point de vue du fils. Dans l’éclairage, on a voulu travailler avec la couleur parce que nous pensions que pour le fils, cette soirée était comme une virée. C’est un monde assez lugubre que nous dépeignons, mais pas de son point de vue. Pour lui, la route et les lumières de la ville, c’est une aventure. Pour le son, nous avons passé beaucoup de temps à enregistrer les gens à l’arrière du van pour réussir à obtenir ce que nous voulions. Je les ai dirigés sans caméra, uniquement pour le son. Il y a une longue séquence où tout l’aspect dramatique du film est porté par le son alors cela nous a pris beaucoup de temps pour avoir l’intention juste.
Avez-vous entrepris des recherches sur les réalités des accidents mortels des passeurs transportant des immigrants clandestins et sur les lois qui sont appliquées dans ces situations ?
On a fait beaucoup de recherches. Je pense que c’est obligatoire pour faire un portrait réaliste d’un monde qui n’est pas le nôtre. Mais à un certain moment, je pense qu’il faut se détacher du réel pour juste se lâcher et écrire sa propre histoire. La chose la plus importante dans ce développement a été que nous ne voulions jamais tomber dans le sentimental, pour avoir une narration honnête en ce qui concerne le drame. J’espère que ça fonctionne.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Je pense que les courts métrages sont indispensables pour les jeunes réalisateurs qui veulent expérimenter et trouver leur ton. Mais cependant, je me suis senti limité par le format court car je n’ai pas pu explorer ce sujet autant que je le voulais. Je veux faire un long métrage pour approfondir ma narration.
Pour voir Nachtschade, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I14.