Dernier verre avec Champ de bosses
Entretien avec Anne Brouillet, réalisatrice de Champ de bosses
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de situer l’action dans un environnement rural ? L’environnement dans lequel se déroule le film n’a pas été choisi en fonction de son caractère rural mais a été simplement déterminé par mon histoire : il s’agit du village dans lequel, enfant, je passais mes vacances. C’est un lieu entouré par la forêt, que j’ai chargé de toutes sortes de fantasmes et de démons au cours du temps : ce sont eux qui ont inspiré le film.
Pourquoi avez-vous choisi la couleur rouge pour habiller Camille lors de sa sortie en forêt ? Cette forêt est, pour moi, celle du Petit Chaperon rouge – et du loup, bien sûr. Alors il était naturel d’habiller Camille en rouge, dans ce manteau un peu vieillot, un peu ridicule pour son âge. Et puis le rouge ressort particulièrement bien sur la couleur vert-bleue des sapins vosgiens.
Êtes-vous particulièrement intéressée par les thématiques de la pré-adolescence et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur ces sujets ?
Les thématiques de la pré-adolescence m’intéressent parce que je les ai bien sûr traversées et qu’elles m’ont marquée. J’ai aussi travaillé au scénario sur plusieurs films mettant en scène cette période. Mais pour mes projets suivants je travaille plus sur le début de l’âge adulte, peut-être parce que je vieillis…
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au corps et pourquoi en particulier le nez ?
Il se trouve que je me suis déjà cassé le nez, et que personne sauf moi ne le voyait jusqu’à ce qu’on me fasse une radio. Mais heureusement ce n’est pas la seule raison pour laquelle j’ai fait ce film ! J’ai toujours été fascinée par les formes étranges que peuvent prendre les corps, ou les parties de corps quand elles sont vues de très près, ou sous un angle inhabituel par exemple. Le corps est ce qui nous est le plus familier mais il peut nous devenir totalement étranger dans certains contextes et être source, en tout cas pour moi, de grandes angoisses. C’est ce sentiment paradoxal qui m’intéresse, l' »étrange familiarité ». La variété des formes de nez est un terrain super pour l’explorer…
À quel point êtes-vous intéressée par la question des premières expériences sentimentales dans ce film et dans votre processus créatif en général ?
Je ne connais personne qui n’ait pas été marqué par les premières expériences sentimentales, mais ce n’est pas à proprement le sentiment amoureux que je voulais explorer. L’expérience que je raconte dans le film, et qui est fictionnelle, m’intéressait surtout en ce qu’elle renvoyait l’héroïne à elle-même, à la forme de son corps par rapport à celle des autres corps, à son angoisse de mort, parce que passer d’un âge à un autre, c’est aussi se rapprocher de la mort. Heureusement la rencontre avec Fabio qui est pour moi un personnage très lumineux, vient apporter de la grâce et de l’espoir à ce tableau très sombre, en tout cas je l’espère !
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Je pense que faire un film avec un sujet aussi petit, aussi ténu qu’une petite fille qui tombe sur son nez et en tire une grande angoisse est impossible dans le circuit de financement du long métrage. Le court métrage m’a permis d’explorer ce sujet-là sans que personne ne me demande de « tendre l’intrigue », ce qui est une demande permanente quand on écrit des longs métrages.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Pour ce film et le suivant, j’ai beaucoup pensé à certains films de Polanski : Rosemary’s Baby, Répulsion et Le locataire. Il est difficile de passer à côté quand on est intéressé par le sentiment d’étrange familiarité. Mais pour Champ de bosses il y avait aussi, pour les questions de casting, les films de Bruno Dumont, et pour les décors, Under the Skin de Jonathan Glazer. Et tellement d’autres !
Pour voir Champ de bosses, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F10.