Dîner avec Cum înalți un zmeu? (Comment faire voler un cerf-volant ?)
Entretien avec Gábor Loránd, réalisateur de Cum înalți un zmeu? (Comment faire voler un cerf-volant ?)
Votre film montre le passage à l’âge adulte d’un jeune garçon. Qu’est-ce qui vous plaisait dans ce thème ?
Le film s’inspire d’un fait divers, arrivé il y a deux ans, dans lequel la victime était accompagnée d’un garçon de 13 ans au moment du drame. Ça m’avait fait réfléchir sur les conséquences d’un tel événement sur une personne aussi jeune, et sur le fait que l’adulte que nous devenons est déterminé par le contexte social, géographique, politique et économique dans lequel nous grandissons. J’ai grandi dans un endroit où je craignais les gens comme le jeune Aurel – toujours imprévisibles, parfois violents, souvent impulsifs, pleins de colère… Je ne me souviens pas m’être demandé une seule fois comment ils vivaient, ce qu’ils avaient connu dans leur enfance, ce qui avait les avait fait grandir trop vite. Quand j’étais jeune, mes parents m’ont appris que je pouvais devenir ce que je voulais, mais en réalité, nous sommes le produit de notre environnement. Je n’avais jamais réfléchi au fait que la peur des Roms est une construction mentale, jusqu’au jour où je me suis rendu compte qu’une phrase apparemment aussi anodine que « si tu n’es pas sage, les tsiganes vont venir te chercher » peut marquer durablement le subconscient. Je me suis rendu compte que je mettais la main sur mon téléphone chaque fois qu’un tsigane me demandait l’heure dans la rue. Voilà les questions que je soulève dans ce film.
Cum înalți un zmeu? a obtenu le Grand Prix du Jury au Poitiers Film Festival. Félicitations ! Quel a été l’impact de ce succès sur votre carrière et sur votre travail ?
Merci ! C’est la meilleure marque de reconnaissance, car j’aime et je respecte particulièrement ce festival. Ils arrivent à attirer plein de jeunes à des séances de courts métrages, c’est très étrange pour moi, car dans mon pays, je ne peux pas imaginer une projection de films d’étudiants qui affiche complet et une salle de 500 places remplie d’adolescents. Ça m’a aussi apporté un peu de sérénité. Je viens de finir mes études, je me demande encore comment je vais gagner ma vie, je travaillais comme livreur à vélo quand j’ai eu le prix. Ce qui était super, d’ailleurs, je ne veux pas donner l’impression de me plaindre. Je voulais être indépendant et continuer l’écriture en parallèle, mais je n’avais pas pensé qu’après une journée sur mon vélo, je serais trop fatigué pour écrire. Maintenant, c’est l’hiver et je peux me consacrer à l’écriture de mon prochain projet.
Pouvez-vous expliquer le titre Comment faire voler un cerf-volant ?
Cum înalți un zmeu? évoque ce concept de déterminisme dont j’ai parlé dans la première question. Il s’agit de se demander, d’une façon un peu poétique, comment Aurel va bien pouvoir devenir quoi que ce soit après un tel drame. C’est aussi un clin d’œil à un souvenir de mon enfance. Nous vivions en banlieue d’une grande ville, je voyais la forêt de chez moi, notre immeuble était à la lisière. Des familles tsiganes vivaient dans la forêt voisine et traversaient le terrain de jeux où on trainait. Un après-midi, on faisait du cerf-volant avec mes parents et ma sœur, et un petit garçon rom a surgi de nulle part et a demandé à mon père s’il pouvait le laisser monter sur le cerf-volant et s’envoler avec lui. Quelques instants plus tard, son grand frère est arrivé, a fondu droit sur lui et l’a frappé nonchalamment sur la tête avec un tuyau métallique pour le punir de nous avoir dérangés.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Il m’est difficile de répondre à cette question car je n’ai pas encore réalisé de long métrage, le format court est donc tout ce que je connais pour le moment, je n’ai pas d’éléments de comparaison. Ce n’est peut-être pas tant le format court, mais plutôt le fait que ce soit un film d’études qui m’a donné une totale liberté au niveau créatif. De plus, j’ai eu la possibilité de passer rapidement au tournage, environ deux mois après avoir choisi le sujet.
Quelles sont vos références cinématographiques ?
Je pense que tous les films que j’ai vus m’ont influencé d’une façon ou d’une autre. Quand j’ai commencé à envisager des études de cinéma, j’étais obsédé par Tarr Béla, je regardais ses films et je n’y comprenais rien. Il y a beaucoup de films et de réalisateurs qui m’ont influencé. Pour ce film, on peut citer les films des frères Dardenne et de Pawel Pawlikowski. Et je dirais aussi que les idées de Cristi Puiu sur le cinéma m’ont beaucoup marqué, ainsi que les films de Jim Jarmusch, Noah Baumbach, John Cassavetes, Mohsen Makhmalbaf, Sohrab Shahid-Saless, pour n’en citer que quelques-uns.
Pour voir Cum înalți un zmeu? (Comment faire voler un cerf-volant ?), rendez-vous aux séances du programme I2 de la compétition internationale.