Dîner avec À marche forcée
Entretien avec Vladilen Vierny, réalisateur de À marche forcée
Quel a été le point de départ de À marche forcée ?
Au printemps 2017, alors que je vivais en Russie, je m’étais retrouvé à une manifestation non-autorisée organisée par l’opposition dans le centre de Moscou. J’ai été surpris d’y voir beaucoup d’adolescents qui m’ont semblé extrêmement déterminés. D’autres manifestations ont eu lieu dans le courant de l’année. L’apparition de cette jeune génération politisée et informée a été un phénomène nouveau pour la société russe. Dans certaines écoles, des cours obligatoires ont été rajoutés les jours des manifestations pour empêcher les élèves de s’y rendre. J’ai rapidement senti qu’ancrer mon histoire dans une école le jour d’une manifestation allait me permettre de parler des rapports de pouvoir qui pouvaient se mettre en place entre l’institution scolaire, les adolescents et leurs parents.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la figure de ce jeune adolescent dépassé par la tournure des événements, par les réactions des adultes ?
Kirill, l’adolescent, est pris entre deux feux : celui de l’institution scolaire et celui de la cellule familiale. Même si les parents prennent la défense de leur enfant, ceux-ci cherchent en même temps à éviter un conflit trop frontal avec la directrice. Les parents sont alors dans le compromis et rapidement un système de masques se met en place. Si Kirill est dépassé par la tournure des événements, c’est parce qu’il ne joue pas encore à ce jeu de masques qui permet à bon nombre d’adultes de survivre dans le système russe actuel.
Comment s’est déroulée la réalisation du film, de l’écriture à la post-production ?
Avec le coscénariste, dès l’écriture, nous avons réfléchi en détails à chaque scène, notamment aux mouvements des personnages, à la distance qu’il y avait entre eux, s’ils étaient assis ou debout, à quelle hauteur, etc. Les rapports de force qui se mettent en place passent ainsi non seulement par les répliques mais également par la position des corps et les gestes des acteurs. Nous avons eu six jours de tournage, ce qui était suffisant pour travailler chaque scène avec précision. Travailler en huis clos avec plusieurs acteurs professionnels sur des scènes parfois très dialoguées était pour moi un défi car j’ai jusqu’ici réalisé des courts métrages avec un personnage unique et peu de texte. La question du théâtre et de la mascarade à laquelle se prêtent les adultes est au centre du film : j’ai essayé de renforcer cette idée en créant un parallèle avec le spectacle d’enfants que l’on voit dans l’avant-dernière scène. La cheffe décoratrice a pensé à de nombreux éléments dans les décors et les accessoires pour renforcer cette idée à l’image. Avec le chef opérateur, nous avons cherché à traduire cette idée de théâtre par le découpage : la caméra, souvent frontale et en avance sur les personnages, laisse ces derniers rentrer dans le plan comme s’ils entraient sur une scène de théâtre. Nous avons monté le film assez rapidement juste avant le début du premier confinement. Le montage son a été fait à distance et nous avons pu terminer toutes les autres étapes de la post-production dans le courant de l’été.
On a envie de suivre le personnage, de connaître sa vie, de le voir grandir. À marche forcée pourrait-il avoir une suite ? Voire devenir un long métrage ?
Lors de l’écriture et de la préparation, j’ai effectivement eu le sentiment qu’il était possible de faire de ce film un long métrage : au-delà de l’adolescent, je trouve chaque personnage intéressant et porteur d’une vérité. Cependant, une histoire et un système de personnages restent à mes yeux liés au rythme d’un film et à une idée de mise en scène. Transposer le parcours de ces personnages sur une forme longue affaiblirait probablement l’intensité que m’a offert la forme courte.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Pour moi, chaque histoire a une durée qui lui est propre. Je voudrais peut-être voir plus de cinéastes de longs métrages revenir de temps à autre à des formes courtes car c’est le temps juste pour raconter leur histoire. Sinon, je pense que le court métrage va continuer à être beaucoup vu, peut-être plus en ligne qu’avant.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Lecture et nature !
Pour voir À marche forcée, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.