Breakfast avec Beach Flags
Entretien avec Sarah Saidan, réalisatrice de Beach Flags
Vous vous appelez Sarah Saidan et l’une des femmes de Beach Flags se prénomme Sareh. Vous sentez-vous plus proche d’elle ou du personnage principal, Vida ? Sont-elles des parties de vous, issues de votre propre parcours ? Et êtes-vous iranienne de nationalité ?
Je suis iranienne et j’ai vécu presque toute ma vie en Iran. J’ai rencontré beaucoup de Sareh et de Vida. Toutes sont mon inspiration pour ce film.
J’ai grandi en ville et avec une famille qui me soutenait dans mes désirs, alors je ne peux pas dire que je me sente proche de Sareh.
Sareh s’exerce au métier de sauveteuse. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec le terme « sauveuse ». Pensez-vous que les femmes iraniennes ont besoin d’être sauvées, ou de se sauver elles-mêmes ?
En fait non, Sareh travaille dans les rizières, elle n’a pas de formation de sauveteuse. C’est juste une villageoise qui va être mariée de force. Un jour, la coach des sauveteuses la voit courir et elle est si rapide qu’elle la recrute pour l’équipe. Sareh n’a aucune idée des enjeux mais après, elle comprend que cela peut sauver sa propre vie.
Je raconte deux histoires, pas l’histoire de toutes les femmes iraniennes. J’ai choisi d’écrire autour d’une athlète car elles rencontrent de nombreux problèmes et des interdictions dont peu de gens se doutent.
Quelle est la part de fiction dans Beach Flags : la réalité de la restriction de la présence des femmes dans les compétitions est bien expliquée dans le film, mais qu’en est-il du rapport au travail et de la place des femmes dans la société ?
Je suis simple réalisatrice et je ne cherche pas à évoquer les problèmes sociaux des femmes. J’ai juste appris que les nageuses n’avaient pas le droit de participer aux compétitions internationales et ça m’a choquée. Je voulais en parler, et comme je suis réalisatrice de films d’animations, j’ai fait mon court sur ce sujet. Mais c’est sûr, le chemin est encore long avant l’égalité.
Dans Beach Flags, vous questionnez les rapports humains sous deux aspects diamétralement opposés : l’esprit de compétition et la solidarité. Vouliez-vous créer un effet particulier ou défendre un propos quant au mélange de ces deux rapports humains ?
Je traite de l’humanité. Parce que c’est tout ce qui compte au final. La joie qu’apportent les médailles d’or n’est que temporaire.
Le scénario de Beach Flags est complexe, avec une forte incursion dans l’intimité de Vida, dont on voit même les rêves. En réalisant ce film, aviez-vous particulièrement envie de donner à voir du rêve et pensez-vous que la réalité peut rejoindre le rêve ?
Vida est le personnage principal et elle est sauveteuse. Ses rêves reflètent ce qui n’est jamais dit à voix haute mais qui fait sa réalité. Ce sont ses émotions.
L’animation développée dans Beach Flags est particulièrement délicate et travaillée. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec le long métrage Persépolis (réalisé par M. Satrapi et V. Paronnaud). Quelles sont vos sources d’inspiration en matière de Cinéma ? Y a-t-il de bonnes écoles en Iran pour le cinéma d’animation ? Les femmes y sont-elles admises et considérées à égale valeur avec les hommes ?
Le style graphique du film aurait pu être influencé par des artistes que j’apprécie, bien sûr. J’aime la simplicité dans l’image, j’adore les films de Toril Cove par exemple. Il y a quelque chose de très touchant dans ses personnages et son style simple.
A l’Université des Arts de Téhéran, le cursus d’animation est un niveau Master. J’ai étudié le graphisme, le design, l’animation. J’ai fait deux petits films à très petit budget. Malheureusement, par rapport à d’autres pays, il y a très peu de financement pour les films d’animation en Iran.
Combien étiez-vous à travailler sur le dessin de Beach Flags et comment vous répartissez-vous les rôles dans la construction du film ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser tout l’aspect visuel du film ?
J’ai créé l’aspect graphique et les personnages. Mon ami Chen Chen a travaillé sur le storyboard avec moi, Jean Bouthors a fait tous les décors. Ensuite il y a eu deux animateurs, Eloic Gimenez et Jumi Yoon. Plus tard, Lizete Murovska et Armelle Mercat m’ont aidé sur les ombres qui ont été dessinées au papier. Enfin, sur la colorisation, il y a eu 5 ou 6 personnes pour m’aider, et 2 pour l’édition, le montage, la bande sonore et la musique. Il y a vraiment beaucoup de personnes investies, c’est difficile de tous les citer. J’ai choisi chacun en regardant leur travail, la plupart sont eux-mêmes réalisateurs de films d’animation. C’est difficile de séparer les pôles, parce qu’on travaille tout en même temps : le script, la musique, etc. En tout, la production a duré deux années.
Avez-vous enregistré les voix des personnages avant de procéder à tout le travail d’animation ? Qu’en est-il de la musique ? Comment avez-vous travaillé sur la composition musicale et était-ce plutôt après le dessin ?
On travaillait sur la maquette de la musique en même temps que l’animation. J’ai eu plein de conversations téléphoniques et ai personnellement rencontré le musicien Yan Volsy. Je voulais une musique qui nous fasse penser à la musique iranienne mais qui ne soit pas la musique traditionnelle iranienne.
Beach Flags a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Pour moi c’était la première fois que je travaillais avec une vraie production donc je ne peux pas comparer car je n’ai jamais travaillé ailleurs avec une équipe et un producteur. Mais je pense que même en France, cela dépend avec qui vous produisez le film. Pour moi, c’était une bonne expérience car j’ai travaillé avec un très bon producteur qui m’a fait confiance, on a eu tout ce dont on avait besoin pour la fabrication du film et j’ai été libre de choisir avec qui je voudrais travailler.
Enfin, avez-vous déjà diffusé Beach Flags en Iran et si oui, quel accueil reçoit le film ? Pensez-vous qu’il sera perçu de la même manière qu’en France ?
Je n’ai pas encore envoyé le film en Iran mais je suis très curieuse d’avoir les commentaires des femmes athlètes sur le film.
Je ne pense pas qu’il puisse être diffusé au sein du festival d’animation de Téhéran. Mais on ne sait jamais avec l’Iran !
Beach Flags était présenté en compétition nationale F5 et dans le programme Solaire en 2015.