Breakfast avec Bethlehem 2001 (Bethléem 2001)
Entretien avec Ibrahim Handal, réalisateur de Bethlehem 2001 (Bethléem 2001)
Pourquoi avoir choisi de revenir sur cet événement – traumatisant, j’imagine – en court-métrage ?
À dire vrai, j’essaie encore de comprendre ce que j’ai fait et pourquoi. Néanmoins, j’ai retenu en moi ces souvenirs et ces sentiments durant toutes ces années dans le but de les partager à travers un court-métrage. D’autres réalisateurs ont sans doute déjà raconté cette histoire différemment, mais j’ai tenté d’utiliser mes propres souvenirs pour montrer des événements qui se sont produits. Ces événements ne sont peut-être même plus aussi traumatisants pour moi aujourd’hui, justement parce que je les ai partagés avec le monde. Je ne suis pas le seul à avoir vécu cette période de l’Histoire ; de nombreux enfants et parents ont vécu leur propre histoire, mais collectivement, nous avons des jalons en commun, ce sont seulement les arcs narratifs et les intrigues qui différent.
Comment avez-vous abouti à la décision de mettre des photos et des images d’archive dans le film ? Qu’est-ce qui a dicté votre choix de tel extrait plutôt qu’un autre ?
Quand je filmais la partie fictive, qui occupe une part importante du film, j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose, qui s’est avéré être les images d’archive. J’ai dû faire beaucoup d’essais avec ces images, avec leur rythme, et j’ai dû m’assurer que chaque image contribuait réellement à la narration du film. Dans la partie fiction, on entend également les sons lourds de la Seconde Intifada ; c’est quelque chose qui fut assez difficile à construire. Il me semblait que ces sons réclamaient une traduction visuelle. C’est pourquoi j’ai intégré des scènes et des images marquantes de cette période. Je les ai passées en noir et blanc, accentuant ainsi la différence avec la partie fictionnelle qui est si colorée, afin d’en tirer un certain effet.
La musique est très troublante. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à son sujet ?
Lors du choix de la musique, j’ai écouté tout ce qui s’était fait à cette époque, en particulier pendant la Seconde Intifada. Des chanteurs célèbres comme Ahmad Kaabour et beaucoup d’autres. Quand j’ai écouté les chansons d’Ahmad Kaabour, en particulier « A’daffa » et « Ounadikom », sur l’album Ounadikom, ça m’a fait remonter des souvenirs et images terrifiantes de l’Intifada, et ça m’a vraiment fait revivre cette période. À l’époque, cette musique était principalement utilisée pour accompagner les bulletins d’information, mais pour ce qui concerne mon film, il n’a pas été facile de savoir où la placer, mais elle s’est automatiquement calée sur la scène de fin, et lui a vraiment apporté quelque chose de magique.
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir cinéaste ?
Ce qui m’y a poussé, c’est la possibilité de fabriquer des images et de prendre part au récit visuel d’une histoire. Ma vocation, c’est d’être un directeur de la photographie professionnel. J’aimerais travailler avec des réalisateurs, visualiser des images, pour ensuite leur donner forme, faire des essais, peindre avec la lumière, choisir le bon objectif, les couleurs, et choisir la manière de raconter une histoire visuellement. J’aimerais aussi partager mes propres histoires et pensées à travers des films. C’est un sacré défi que je me lance, de devenir à la fois réalisateur et chef opérateur.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre travail de cinéaste en Palestine ? La scène cinématographique palestinienne est très active. Avez-vous rencontré des difficultés pour réaliser et distribuer votre travail ?
C’est assez compliqué d’être réalisateur et chef opérateur en Palestine. La plupart des films palestiniens sont des films indépendants, parce que ce n’est pas facile de faire financer un projet. Par conséquent, les cinéastes palestiniens ont principalement recours à la co-production, de manière à pouvoir financer leurs projets en dehors de la Palestine. Quand ces films sont produits en Palestine, j’ai parfois l’occasion d’y prendre part en tant qu’assistant à l’image ou à la lumière sur des longs-métrages, ce qui n’est pas toujours facile non plus, car cela dépend beaucoup du financement. De temps en temps, j’ai la chance de pouvoir être chef opérateur sur de petits projets, la plupart du temps des courts-métrages, pour des amis. Parfois je tourne mon propre court-métrage pour me former en tant que chef opérateur. C’est un défi d’un autre niveau encore, dans la mesure où je suis derrière la caméra en plus d’être le réalisateur. Mais c’est aussi une excellente manière de développer mes compétences cinématographiques et d’acquérir de l’expérience en tant que directeur photo.
C’est aussi un film très personnel qui rend hommage au courage de vos parents. Qu’est-ce que vous espérez transmettre au public ?
Je voulais transmettre l’idée que le courage n’est pas réservé aux grands coups d’éclat d’audace. Quand nous étions petits, on puisait toujours notre courage chez nos parents, et ceux-ci faisaient en sorte qu’on se sente toujours en sécurité. C’est très important pour moi de pouvoir rendre hommage à cela.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
L’avenir du court-métrage, à mon avis, est grand ouvert mais aussi semé d’embûches. Il y a beaucoup de concurrence dans cette industrie. Ce n’est pas facile de faire un bon film et que celui-ci soit également accepté. Ceci dit, faire des courts-métrages est une expérience très enrichissante, très instructive, peu importe le poste qu’on occupe dans l’équipe de tournage. Quand on fait un court-métrage, on fait l’expérience de l’intégralité du processus, à chaque plan. C’est comme faire un long avec moins d’argent et de plus gros défis à relever. Il faut aussi raconter une histoire en un temps réduit, ce qui peut parfois donner l’impression d’être limité, mais ça nous pousse à faire preuve de créativité pour la raconter quand même, et chaque expérience permet de s’améliorer et de gagner en compétence.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Ce que j’essaie de faire personnellement, c’est de regarder des films qui peuvent m’apprendre des choses et m’inspirer en tant que réalisateur et chef opérateur. J’essaie aussi de lire et de regarder des analyses de films et de technique cinématographique. Malheureusement, j’ai encore du mal à trouver certains films que j’aimerais voir, même en ligne. J’aimerais bien les trouver ! J’aime aussi demander aux gens de l’industrie cinématographique ce qu’ils aiment faire, car cela peut m’inspirer. Comme on a vécu plusieurs périodes de confinement, ça m’a donné la possibilité de développer mon premier long-métrage et, bientôt, je me mettrai à l’écriture de mon nouveau court.
Pour voir Bethlehem 2001 (Bethléem 2001), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I7.