Breakfast avec BobbyAnna
Entretien avec Jackson Kroopf, réalisateur de BobbyAnna
Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter l’histoire de Bobby et Anna ?
J’ai travaillé trois ans avec des jeunes dans une association des quartiers est d’Oakland qui s’appelait « Youth UpRising ». Une fois, j’y ai rencontré une jeune femme qui venait de se faire virer d’un foyer pour sans-abris parce qu’elle était enceinte et qu’il était contraire au règlement du foyer d’accueillir les femmes enceintes. J’ai cherché à l’aider dans l’urgence mais je n’ai rien trouvé pour la nuit qui venait. J’aurais voulu l’héberger chez moi, mais, encore une fois, c’était contraire au règlement de l’association qui m’employait. J’ai donc voulu faire un film qui parle des gens bien intentionnés qui se retrouvent démunis quand il faut vraiment venir en aide à quelqu’un. Les personnages de Bobby et Anna sont nés de cette période de ma vie où je bossais à Youth UpRising, où je croisais à la fois des jeunes pleins de talent qui luttaient pour garder la tête hors de l’eau et des travailleurs sociaux instruits, bien intentionnés, issus de la classe moyenne aux prises avec les limites complexes que l’on s’impose entre travail et vie privée.
Pouvez-vous nous parler du casting et des chansons que l’on entend dans le film ?
Pour Bobby, on a cherché dans la rue. J’ai appris à faire ça aux côtés d’Andrea Arnold en travaillant sur son film American Honey, en discutant avec une personne chargée du casting. Avec ma productrice, Lorraine DeGraffenreidt, je suis allé à des soirées pour femmes dans des lieux comme The Abbey ou Jewel’s Catch One, qui a fermé ses portes (un lieu culte dont la fermeture est vraiment un sale coup pour Los Angeles). Lors de la dernière soirée de Jewel’s, on a rencontré une personne nommée Destiny qui aurait été idéale, mais elle a refusé et nous a indiqué Legacy Bailey. Legacy a passé une audition et au bout de quelques minutes, on savait que le rôle de Bobby était pour elle. Dès qu’elle a été engagée, nous avons planché ensemble sur de nouvelles idées pour les scènes du film. Lors de son audition, elle avait chanté « Destination », la deuxième chanson du film, et elle a apporté trois autres de ses chansons, qui constituent la plus grande partie de la bande originale du film. Certes, Legacy est différente de Bobby sous bien des aspects, mais si l’on écoute attentivement les paroles de ses chansons qui apparaissent dans le film, et qui ont toutes été écrites avant notre rencontre, il est évident que c’était elle LA personne idéale pour incarner ce rôle.
La conversation téléphonique avec sa mère, à la fin du film, est très émouvante. Quelle en est la signification ?
C’est au spectateur de se faire un avis. Je pense que la plupart des gens ont eu un jour ou l’autre une conversation de ce genre avec un proche. Pour ce qui est de la performance, pendant les répétitions, Legacy et moi nous sommes rendu compte que nous avions une connaissance en commun, Marcus, que l’on aimait tous les deux beaucoup et qui avait été assassiné un an auparavant. J’avais un badge « RI.P. Marcus » dans ma poche et je l’ai donné à Legacy en début de tournage – un hommage et un porte-bonheur. La scène du téléphone était la dernière après une nuit de quinze heures de travail. On était épuisés. Au bout de la troisième prise, on était tous les deux en larmes. C’est ce qui a donné la scène du film. On a tous bossé sur ce projet avec nos tripes, et cette scène résume bien le film, dans l’idée que le monde peut être pourri mais que les gens qu’on aime jouent un rôle crucial dans notre parcours.
Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans le cinéma ?
Je fais des films de fiction sous une forme ou une autre depuis l’adolescence, mais cela fait cinq ans que je me consacre entièrement au cinéma, après des années passées à travailler dans le social avec des jeunes à New York et Oakland. Mes histoires gravitent en général autour des gens qui m’ont le plus apporté, des gens que l’on voit rarement à l’écran. Avec mes collaborateurs, je m’efforce de réaliser des films qui montrent leur force, leur créativité, leur combat contre l’indifférence systématique. Je partage mon temps entre la fiction et le documentaire, mais quel que soit le projet, l’objectif reste le même : raconter l’histoire des gens en insistant sur les émotions et en invitant le spectateur à élargir ses horizons. En ce moment, je termine mon Master sur le documentaire social à l’université de Santa Cruz, un cursus qui fait se croiser la production de documentaires et l’engagement social, où j’ai beaucoup appris sur la réalisation d’un film à petit budget et à une seule personne, ainsi que sur les aspects éthiques de la représentation.
Des coups de cœur cinématographiques l’année passée ?
Si je vous comprends bien, vous me demandez ce qui m’a inspiré l’an dernier ? Il y a des tas de films qui sont source d’inspiration. J’ai eu l’occasion de voir Chevalier et de rencontrer Athina Tsangari lors de la projection. C’est une référence, et elle excelle dans l’art du débat, c’est vraiment la meilleure toutes catégories confondues. Aux États-Unis, Khalil Joseph place la barre de plus en plus haut dans tout ce qu’il touche, et Moonlight, de Barry Jenkins, est à mon sens le meilleur film de ces dernières années – bouleversant, énorme. Je suis également toujours touché par tout ce que fait Apichatapong Weerasethakul après avoir vu Cemetery of Splendour, un autre chef-d’œuvre. Ah, j’ai vu aussi P’tit Quinquin… Content de voir un réalisateur de l’envergure de Dumont se mettre à un format long.
Si vous êtes déjà venu à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
C’est la première fois que je viens sur un grand festival européen. J’ai vraiment hâte de rencontrer d’autres passionnés de cinéma et de voir ce qui se fait en format court dans les autres coins du monde.
D’autres projections du film sont-elles prévues ?
On va montrer le film au Frameline Film Festival à San Francisco au mois de juin. C’est tout ce qu’il y a de fixe pour l’instant.
Est-ce que vous participerez à d’autres événements pendant le festival de Clermont-Ferrand (Expressos, conférences ou autre) ?
Oui. J’irai partout où on me laissera entrer.
Pour voir BobbyAnna, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I8.