Dîner avec Bon voyage
Entretien avec Marc Raymond Wilkins, réalisateur de Bon voyage
Votre film comporte tous les ingrédients du thriller (la musique, le suspense, les plans). Quelle impression souhaitiez-vous laisser au spectateur ?
Ce thème des réfugiés qui fuient la guerre et la peur pour se heurter à une société riche mais paranoïaque n’est pas nouveau au cinéma. Pourtant, ce qui se passe dans la mer Méditerranée depuis quelques années est une des crises migratoires les plus tragiques, du moins depuis que je sais lire un journal. En tant que navigateur passionné, j’ai été horrifié de voir la destination de vacances « Méditerranée », ancien paradis pour les marins, devenir un charnier. J’aime transformer mes émotions (peur, colère ou tristesse) en élan créateur constructif, j’ai donc décidé d’écrire Bon voyage. Je voulais faire un film qui montre au public la situation en pleine mer, sans prendre parti. Je voulais éviter de pointer du doigt ou d’éduquer. Je crois très fort au cinéma social engagé, mais je veux aussi sortir des sentiers battus et toucher un public différent. Je voulais créer un film à suspense qui se passe sur un bateau. Un thriller marin. Un film que le public a envie de voir, non par engagement social, mais pour l’aventure cinématographique. J’espère que les questions et les provocations que soulève Bon voyage vont toucher un large public au niveau international, car ce n’est pas un drame social mais un thriller haletant.
Comment s’est constituée cette équipe internationale ?
Cela n’a pas été facile. Il était important de trouver des acteurs qui connaissent la navigation, car nous tournions en pleine mer, en Méditerranée. Susan Müller, notre fabuleuse agente de casting suisse, m’a présenté Annelore Sarbach et Stefan Gubser. Il faut préciser que Stefan Gubser a rejoint l’équipe seulement dix jours avant le tournage, car l’acteur que nous avions sélectionné à l’origine a dû renoncer pour raisons personnelles. C’était un vrai défi de travailler avec un acteur principal choisi à la va-vite. Mais Stefan s’est avéré un formidable partenaire, pour moi et pour toute l’équipe. Quant aux réfugiés, je tenais à travailler avec de vrais Syriens, et pas seulement des « acteurs de langue arabe ». En plus de cette authenticité, je souhaitais une réelle « collaboration ». Je voulais un film fait par des réfugiés syriens, pas seulement un film qui en parle. Il n’est pas évident de recruter des acteurs originaires d’un pays déchiré par la guerre. Mais grâce à mon équipe turque, j’ai eu la chance de dénicher Amal Omran, qui m’a enchanté dès la première audition. C’est elle qui m’a présenté Jay Abdo, qui a fui Damas pour Los Angeles, et qui est devenu un précieux collaborateur pour incarner le personnage de Karem, le porte-parole des rescapés du film. Au cours de mes recherches, j’ai trouvé Hala, l’actrice qui joue le rôle d’une petite réfugiée. Elle vient d’une famille qui a fui le bombardement du camp de Yarmouk en Syrie. Pour les rôles secondaires, j’ai eu la chance de découvrir des acteurs amateurs incroyables, d’Istanbul mais aussi de Kas, le port qui a servi de base au tournage.
Pouvez-vous nous parler du financement du film ?
J’avais complètement sous-estimé le budget nécessaire au tournage en mer, surtout en ce qui concerne la sécurité. J’ai commencé par une campagne de financement participatif. Plus de 250 personnes du monde entier ont contribué au budget de départ sur Kickstarter. Mais heureusement, mon producteur, l’indestructible Joel Jent, a trouvé des partenaires très motivés en Suisse, comme Swiss Films, la Fondation zurichoise pour le cinéma et la télévision suisse. Sans ces institutions, le film n’aurait pas vu le jour.
Avez-vous l’intention de passer au long métrage ? Quels sont vos projets ?
Tout à fait. J’adore le court métrage, mais je souhaite réaliser des longs métrages. Nous sommes en train de terminer deux longs métrages : The Electric Girl, une coproduction ukrainienne et canadienne, un récit initiatique et thriller engagé qui se passe à Kiev. The Saint of the Impossible est l’adaptation d’un roman de Arnon Grünberg, qui propose un regard doux-amer sur la chute du rêve américain.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma l’an dernier ?
J’ai adoré Moi, Daniel Blake. J’admire Ken Loach pour son grand sens de la narration dans un film militant, brûlant, dramatique mais à la fois très divertissant et grand public. C’est une grande inspiration de voir un cinéaste qui a déjà produit autant de chefs-d’œuvre continuer à se renouveler, malgré son âge. Peut-on dire que The Lobster est un film de l’an dernier ? Voilà un film impitoyable, sombre, beau, intelligent, percutant. Je demeure un idéaliste optimiste, mais la noirceur dans laquelle nous enveloppe Yorgos Lanthimos est pénétrante et inoubliable.
Si vous êtes déjà venu à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
J’ai eu l’honneur de présenter mon dernier court métrage, Hotel Pennsylvania, à Clermont-Ferrand. C’est le meilleur festival du court métrage d’Europe car il traite le format court aussi sérieusement que Cannes ou Berlin traitent le long. Pour quelques jours, on oublie que le long métrage existe. Le format court semble être de mise, et c’est très bien. En outre, l’enthousiasme du public français pour le court métrage est tout simplement incroyable. Et si je peux me permettre un élan de pathos : la salle Jean Cocteau avec ses 1400 places est la meilleure du monde pour montrer un court métrage !
D’autres projections de prévues ?
C’est Ouat Media qui se charge des ventes internationales de Bon voyage. On a des sorties intéressantes qui se profilent, mais il est trop tôt pour en parler. Soit dit en passant, j’ai rencontré Ouat Media à Clermont-Ferrand, où ils ont découvert et signé mon court métrage Hotel Pennsylvania. J’ai l’intention de venir à Clermont-Ferrand avec mon film et de participer à un maximum de choses.
Pour voir Bon voyage, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.