Breakfast avec Boomerang
Entretien avec David Bouttin, réalisateur de Boomerang
Malheureusement, la situation – touchante – dans laquelle se trouve Paul n’est pas unique. Y a t-il un événement en particulier qui vous a inspiré la trame du film ?
Non, aucun événement en particulier, mais plutôt une somme de choses et d’injustices sociales qui me touchent. J’ai bien entendu pensé à ces gens sur Paris qui ont un boulot et qui dorment dans leur voiture car ils ne gagnent pas assez d’argent pour se payer un logement. J’ai repensé également au livre de Florence Aubenas, Les Quais de Ouistreham, dans lequel elle décrit le monde des chômeurs qui viennent faire les ménages sur les ferrys. Tout accepter pour quelques euros de plus par mois, pour ne pas mourir et continuer à vivre, à vivre pour travailler encore et encore. Il y a une forme d’absurdité dans le monde d’aujourd’hui. Nous sommes, il me semble, de plus en plus civilisés et philosophes, nous avons un vrai regard critique sur le passé, et à la fois nous sommes toujours dans un système féodal, colonial et esclavagiste dans lequel les puissants exploitent les faibles. Dans Boomerang, Paul se retrouve à terre alors qu’il a toujours été un bon petit soldat, et il doit trouver des solutions pour s’en sortir. « Il faut imaginer Sisyphe heureux », écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Cette idée est également à la base du film car dans sa vie absurde, Paul n’a pas d’autres choix que d’avancer.
[ATTENTION SPOILER] D’où vous est venue l’idée du cheval ?
Le fait qu’un homme n’ait pas d’autres solutions que d’aller travailler à cheval est la vraie idée du film, son point de départ. Une sorte de retour en arrière, de régression inconcevable et inacceptable en 2017. Une image d’un autre temps, celui du 19e siècle sûrement et qui semble inconcevable aujourd’hui. Je suis sûr qu’on serait tous choqués si on entendait à la radio une info déclarant qu’on a retrouvé à proximité d’une usine un cheval car un des ouvriers n’ayant plus les moyens d’avoir une voiture, n’a pas eu d’autres solutions que d’aller travailler à cheval. On serait tous choqué, mais je crois qu’on ne serait pas étonné.
Votre précédent court racontait aussi l’histoire de personnes qui sont victimes de réalités socio-économiques qui les dépassent. Quels sujets aimeriez-vous explorer par la suite ?
Ce sujet me touche particulièrement. Les réalités socio-économiques, voilà bien le cœur du problème de notre humanité. « La haine vient de la hiérarchie sociale » chantait le groupe Kanjar’Oc. Toutes les inégalités de notre société sont issues de l’exploitation des hommes. Je travaille en ce moment sur l’écriture de mon premier long métrage. Il traitera de ce sujet-là. L’économie libérale est en train de ruiner les rapports humains, mais elle n’est que la suite logique de systèmes comme l’esclavagisme ou la colonisation. Le monde a changé et il faut aujourd’hui réfléchir différemment en remettant les valeurs humaines au centre de nos priorités et non pas l’économie comme seule valeur absolue à notre épanouissement. En ce sens, le cinéma est pour moi un bon moyen d’expression car il me permet d’ajouter de l’émotion aux idées et de redonner de la sensibilité à une réalité souvent trop dure à accepter.
Vous réalisez également des documentaires. Souhaitez-vous vous concentrer plus sur la fiction ou continuer à travailler avec ces deux formats ?
J’aimerais en effet aujourd’hui me concentrer sur la fiction, mais une fiction qui n’est jamais très loin du travail de documentariste. Un cinéma « du réel » fortement inspiré par la société et les rapports humains avec un travail d’enquête sur le terrain. Ce que j’aime avec la fiction, c’est l’émotion des comédiens, la liberté de la mise en scène, le processus de création et d’invention dans l’écriture du scénario. Pour capter la réalité, l’idée de travailler avec des comédiens non professionnels me plait bien. C’est le cas de la juge dans Boomerang, qui est une avocate dans la vie, ou des femmes qui font le ménage au début du film, qui sont les vraies femmes de ménage du ferry.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le court métrage permet d’aller facilement au bout d’une idée. Il a un côté percutant qui me plaît. Il apporte à la fois une grande liberté car il n’est pas soumis à une économie, mais en contrepartie il bénéficie de moins de moyens pour pouvoir aller au bout de sa création. Mais je crois que ce qu’il y a de plus fantastique dans le court métrage, c’est l’énergie avec laquelle tout le monde le fait. On est une petite équipe avec peu de moyens mais avec de grandes idées. Ça permet d’être vif et créatif et d’aller à l’essentiel, de l’écriture au tournage, et ce jusqu’au montage. C’est sûrement cette énergie là qu’il faut arriver à garder pour le long métrage.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
Je ne suis jamais venu ni à Clermont-Ferrand, ni au festival et ça sera donc une double première. J’étais invité en 2015 pour le film, Je suis un Migrant, mais je n’avais hélas pas pu venir. Je suis vraiment très heureux d’y participer cette année. Clermont-Ferrand, c’est un peu le rêve de l’étudiant en cinéma que j’étais il y a longtemps. J’attends de ce festival de belles rencontres humaines bien sûr, mais aussi de l’inspiration. Ce sont des moments dans lesquels il faut justement faire le plein d’énergie et repartir gonflé à bloc avec la seule envie de continuer à faire des films.
Pour voir Boomerang, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.