Dîner avec Braquer Poitiers
Interview de Claude Schmitz, réalisateur de Braquer Poitiers
On sent que le film est porté par une réflexion sur l’aliénation au travail. Est-ce thème qui est à l’origine du film ?
À l’origine de Braquer Poitiers il y a d’abord et avant tout ma rencontre avec Wilfrid Ameuille qui n’est pas acteur et qui s’occupe d’une société de stations de lavages dans la vie. Le projet s’est mis en place lorsque je l’ai rencontré durant le tournage de Rien sauf l’été. Il était de passage pour d’autres raisons et a fini par intégrer quelques plans du film. À cette occasion et parce qu’il trouvait notre entreprise étonnante, il m’a proposé de venir tourner quelque chose chez lui du côté de Poitiers. Je lui ai dit que j’étais d’accord à condition qu’il joue son propre rôle dans le film et qu’il en devienne le protagoniste principal. Tout est donc parti de cette invitation. Ensuite J’ai inventé deux lignes de synopsis : Wilfrid est braqué par Thomas et Francis, qui sont ensuite rejoints par Hélène et Lucie. À partir de cet argument, nous avons inventé les péripéties de ce petit groupe au jour le jour. Aucune scène n’a donc été écrite ou répétée. L’enjeu de ce genre de tournage, c’est de se placer dans un état de disponibilité totale. Les acteurs n’improvisent pas, ils cherchent juste à être dans le présent. Au final, on se situe dans un équilibre qui balance subtilement entre fiction et réalité. Faire ce film, ça se résumait à ça : être dans le présent, attentif aux êtres, aux accidents et aux opportunités. Le processus même du film propose une manière de faire du cinéma autrement de façon alternative. C’est une problématique qui m’obsède mais qui, économiquement, pose évidemment pas mal de questions… Quant à ce que raconte le film : oui, bien entendu, il y est question de l’aliénation au travail. Par ailleurs, on voit bien que dans cette histoire tout arrive un peu par accident et que l’obstacle à la réussite de cette communauté qui se met en place, c’est principalement la question de l’argent. On voit bien que schématiquement, il y a deux visions du monde qui s’opposent : l’une, plus conservatrice, évoque les bocages et le partage, l’autre se base sur des valeurs contemporaines liées à l’avoir. Et pourtant, paradoxalement, Wilfrid est propriétaire d’un ensemble de carwash… Ce sont des machines qui représentent tout de même un joli symbole de notre société capitaliste. Au-delà de ces contradictions dans des moments comme celui de la chanson de Brel, on a l’impression que quelque chose est possible, que les êtres malgré leurs différences vont parvenir à inventer une façon de vive ensemble et à recréer une communauté marginale et atypique… désaliénée, en quelque sorte.
Les dialogues, le jeu sur le décalage entre les réactions de Wilfried et la situation qu’il vit, provoque un effet comique très réussi. Mais on sent que Braquer Poitier ne vise pas seulement à faire rire : quel sentiment ou quelle réflexion voulez-vous provoquer chez le spectateur ?
L’aspect comique résulte de la rencontre réelle entre les différents protagonistes du film. La comédie ne constitue pas une fin en soi car le film ne cherche pas à faire rire à tout prix… Il s’agit plutôt d’une étude de mœurs et en quelque sorte d’une comédie humaine dans le sens ou Balzac le définissait c’est à dire une “histoire naturelle de la société“ tentant de faire apparaître les groupes sociaux et les rouages de la société afin de brosser un portrait de l’époque. Mais ce portrait, je le répète, n’a pas été scénarisé, il s’est en quelque sorte auto-généré… j’en ai été l’organisateur, le catalyseur et le premier spectateur. L’idéal c’est que le spectateur qui voit le film aujourd’hui puisse avoir la même sensation d’étonnement que j’ai eu lors du tournage… cette sensation d’assister de minute en minute à la naissance d’une communauté, d’une amitié réelle – car elle l’est – entre des êtres très différents mais qui nous ressemblent tous.
Votre court métrage Rien sauf l’été a connu une sortie conjointe en salles avec le Film de l’été d’Emmanuel Marre, bénéficiant ainsi d’une audience plus large que s’il avait été seulement circonscrit au circuit du court métrage. Idéalement, comment aimeriez-vous distribuer Braquer Poitier ?
Idéalement, en salle…
Quel regard portez-vous sur la visibilité des courts métrages aujourd’hui ?
Je vois malheureusement peu de court métrages. La diffusion de ce format est compliquée, on le sait. Hormis les festivals et quelques transmissions à la télévision, cela reste difficile de faire vivre ce type de format. Pourtant, j’ai le sentiment qu’à travers Internet et certaines plateformes, quelque chose est occupé à changer à cet endroit… Et puis il y a des sorties – rares, certes – comme on l’a fait avec Les films de l’été. Ce projet est le résultat d’une association de producteurs téméraires, de l’Agence du court et du festival de Brive… comme quoi tout est possible, mais ça force à être inventif.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
C’est un format qui m’apporte toutes les libertés possibles. C’est un véritable terrain d’expérimentation qui n’est pas soumis à des impératifs commerciaux donc j’ai une paix quasi-royale dans la création de ces films… après, le revers de la médaille c’est que – pour ma part – ils ont été fabriqué avec très peu d’argent. Les films non scénarisés ne sont pas finançables. Heureusement, il existe des aides précieuses tel Cinémas 93 ou Ile-de-France.
Pour voir Braquer Poitiers, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.