Breakfast avec Au loin les dinosaures
Entretien avec Arthur Cahn, réalisateur de Au loin les dinosaures
Comment avez-vous eu l’idée d’Au loin les dinosaures ?
Je venais de finir La Fémis et l’écriture d’un long métrage après avoir eu l’aide à l’écriture du CNC. Je ne trouvais pas de producteur pour le produire. C’était un peu naïf de ma part de penser directement passer au long et un peu déprimant de ne pas y parvenir… Après quelques mois, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive un nouveau court pour aller de l’avant.
Je regardais un clip sur Youtube, une chanson de Sky Ferreira, « Sad Dreams », dans lequel on voit la chanteuse, entre autres scènes, dans une robe à pois au milieu d’un champ. C’est une image un peu cliché mais que j’ai trouvé tout de même très belle, elle a comme résonné en moi, tout comme la moue boudeuse de la chanteuse, et c’est là qu’est venue tout d’un coup la première scène du film : Aurore qui aguiche un agriculteur dans un champ avant de s’enfuir.
Puis le reste a suivi. Ce sont différentes idées que je couvais en moi et des souvenirs de mon adolescence qui se sont imbriqués les uns avec les autres, comme un puzzle qui se construit presque tout seul, et j’ai vu le film.
Pourquoi étiez-vous intéressé par l’adolescence ?
C’est une question que je ne me suis pas vraiment posée, mes personnages se sont imposés à moi, et je n’ai pas vraiment réfléchi à leur adolescence. Je crois qu’à trente ans, je continue encore à me construire et à évoluer comme quand j’en avais 16.
Si, rétrospectivement, j’y réfléchis, je crois déjà que je peux dire m’être intéressé à l’adolescence parce que j’ai mis beaucoup de moi dans le film, de mes souvenirs, et je n’ai que 31 ans, donc mes souvenirs sont surtout des souvenirs d’ado.
Ce qui est certain, c’est que leur adolescence les rend certainement plus libres et plus vulnérables à la fois. Et aussi plus isolés. Donc, ils ont plus que jamais besoin l’un de l’autre. Et c’est cet isolement, entre autres, qui me touchait, et que je voulais raconter : la rencontre de deux solitudes.
Enfin, concernant les questions que se posent Aurore et Loup, les deux personnages du film, elles sont de celles que l’on peut se poser à tout âge, et leurs problématiques – faire face à un deuil, se confronter à la réalité de ses désirs –, sont des questions qui se retrouvent à tout âge.
Pourquoi avez-vous créé un contraste si fort entre Loup, qui vit très connecté à ses rêves d’enfants, et Aurore, qui est complètement ancrée dans le réel ?
Mes amis qui me connaissent vous diraient qu’Aurore et Loup sont deux facettes de ma personnalité. Mais je ne sais pas si c’est intéressant pour le spectateur…
Au loin les dinosaures, c’est avant tout la naissance d’une amitié, il y a un équilibre qui se crée entre Aurore et Loup, ils fonctionnent comme deux vases communicants. La résolution du film d’ailleurs se trouve là : Aurore a permis à Loup de se confronter au réel, Loup a permis à Aurore d’injecter un peu d’onirisme à sa vie trop dure.
Ce contraste, on a voulu le préserver au casting. La complicité qui naît entre Aurore et Loup fonctionne grâce aux talents de Marie Petiot et Constantin Vidal qui les interprètent et qui ont fini par vraiment devenir amis lors du tournage.
Pourquoi avoir situé votre action à la campagne plutôt que dans une ville ?
Il fallait de la solitude. Aurore et Loup, ce sont deux solitudes, deux isolements qui se rencontrent. Ils sont dans un espace-temps en suspens et c’est ce qu’offre la campagne dans laquelle ils évoluent. Nous avons eu la grande chance de pouvoir tourner en Pays de la Loire, à l’automne, en plus. La nature que nous avons filmée participe beaucoup à l’atmosphère douce, triste et belle du film. C’était un plaisir et une vraie excitation qu’a connu l’équipe du film à tourner dans ces très grands espaces, en cinémascope en plus ! Le chef opérateur du film, Benjamin Rufi, a vraiment sublimé ça. On a travaillé main dans la main pour que cette campagne soit un personnage en creux du film.
Pourquoi avoir choisi l’allégorie des dinosaures ?
Ah ! À un moment donné du film, Loup confie à Aurore qu’enfant il pensait que nous étions tous des dinosaures endormis et que nous faisions tous un rêve en commun et que ce rêve, c’était notre vie d’humain. Je ne suis pas aller chercher cela très loin : c’est une idée que j’ai eue quand je devais avoir 5 ans, je m’imaginais que c’était possible. Ce que dit Loup à Aurore, c’est mot pour mot ce que j’aurais pu vous raconter.
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Dans Au loin les dinosaures, les épreuves de la vie semblent éloignées, aussi irréelles que les fantasmes de Loup. Comment avez-vous pensé cet effet et dans quel but ?
Je ne sais pas si les épreuves paraissent irréelles, mais effectivement, elles sont hors champs et lointaines, Aurore et Loup sont mis à côté. C’est un peu la même chose lorsque je disais qu’ils étaient comme en suspens. Je trouve ça assez beau de filmer non pas, par exemple, disons un accident de voiture, mais les traces de pneus sur l’asphalte. Je ne sais pas vraiment pourquoi, peut-être de la pudeur. Je ne sais pas.
Aurore occulte la maladie de son père, ce n’est qu’une rumeur au loin. Elle préfère écouter la voix de son désir naissant, en allumant les agriculteurs comme au début du film. Elle ne peut pas faire face au drame invisible qui se joue à Paris sans elle, et c’est en passant par le prisme du rêve que lui offre Loup qu’elle pourra intégrer la disparition de son père et le pleurer.
Mais la maladie du père d’Aurore est réelle. Je n’ai pas l’impression qu’elle soit au même niveau que les fantasmes de Loup. Je dirai plutôt, et c’est ça la bonne réponse, que les fantasmes de Loup sont aussi réels que le reste. Trop souvent, les gens sous-estiment l’imaginaire, le rêve. Mais un rêve c’est une chose réelle. Les rêves existent. Et quand je me réveille le matin, mes rêves peuvent avoir un impact sur moi, sur ma journée.
D’ailleurs, il était important que l’amoureux imaginaire de Loup possède un vrai corps, une présence charnelle. Et pendant longtemps j’ai souhaité que les dinosaures qui apparaissent à la fin du film soit des marionnettes, pour qu’on sente qu’ils possèdent une tangibilité. Mais pour des raisons de budgets de fabrication, ça n’a pas été possible.
Pensez-vous écrire d’autres films sur le thème de l’amitié ?
C’est un très beau thème qui permet de se connecter à de très belles émotions lors de l’écriture, et de ressentir beaucoup d’amour. En général, j’ai toujours beaucoup d’amour pour mes personnages, qu’importe le thème. Je ne sais pas si je ferai d’autres films sur l’amitié. J’ai remarqué que souvent, on découvre le thème d’un film après l’avoir écrit. Mon prochain court métrage, Herculanum, que j’ai tourné cet automne avec Jérémie Elkaïm, parle d’amour, cette fois.
Quand vous avez écrit Au loin les dinosaures, vous êtes-vous interrogé sur le concept de réciprocité dans les relations amoureuses ?
Ah, je crois que je ne m’interroge pas beaucoup lorsque j’écris. J’interroge plutôt mon intuition, mes personnages, et leur vérité. Aurore, lorsqu’elle rencontre Loup, pense qu’elle pourrait sortir avec lui, c’est sûr. Mais très vite, il lui fait comprendre qu’il est homosexuel. Au final, elle n’a pas ce qu’elle pensait vouloir, mais elle gagne beaucoup plus.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner les relations humaines ?
Je ne suis pas un grand spectateur de courts métrages, si bien qu’il ne m’était pas facile d’en écrire au début. D’ailleurs, notre film Au loin les dinosaures fait 30 minutes. Mais plus j’en écris, et plus j’en vois, plus je me réjouis de la liberté que ce format offre. Il permet de saisir des choses très vite sans forcément s’étendre. Je ne sais pas si c’est un bon moyen pour questionner les relations humaines, pour reprendre votre formule, mais je pense que certaines histoires se racontent parfaitement quand on les saisit avec la rapidité du court.
Au loin les dinosaures a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un cadre ou un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Le film a été produit grâce à l’argent du CNC et de la région Pays de la Loire. Nous n’aurions pas pu faire le film tel qu’il est sans ces aides.
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Pour voir Au loin les dinosaures, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.