Breakfast avec The Exquisite Corpus
Rencontre avec Peter Tscherkassky, réalisateur de Cadavre exquis
On vous connaît pour vos films réalisés à partir d’archives. Quelle a été votre méthode pour Cadavre exquis ? D’où viennent ces images d’archives ?
Je ne cherche pas mes archives. La plupart du temps, je les tiens de mon entourage qui m’en fait cadeau. La méthode est très libre, car je ne recherche aucun style en particulier. Pour ce film, les archives viennent de Hollande, de France et d’Italie.
En général, je commence par regarder les images en boucle sur DVD. Au bout d’un certain temps, les idées me viennent. Ici, j’avais des images fabuleuses de nudistes courant sur des plages et à vrai dire, l’histoire du film est assez classique, sauf que les personnages sont tous à poil. C’est un film des années 1960, et à l’époque c’était un genre à part entière : le film nudiste.
Est-ce que vous utilisez les images du film terminé ou exclusivement les rushes ?
Le générique de début annonce « The Rushes Series ». La première partie de cette série était mon film précédent, Coming Attractions.
Coming Attractions est réalisé à partir de rushes de publicités pris avant montage. J’avais six heures de rushes, et tout le film était fait avec. Mais pour Cadavre exquis, j’ai utilisé à la fois des films dans leur version définitive et des rushes avant montage, peut-être trois ou quatre, et parfois ces rushes sont un seul plan séquence sur toute une bobine, comme les premiers films des frères Lumière.
Mon prochain projet sera basé sur des publicités des chemins de fer autrichiens. On voit des trains qui avancent et la caméra fait des panoramiques dans les deux sens. J’ai dix plans comme ça, sans montage. Juste les images. Rasoir, mais absolument fascinant !
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Le titre Cadavre exquis fait référence à la technique surréaliste. Avez-vous collaboré avec d’autres personnes ?
Non. Mais d’habitude, je n’utilise qu’une seule source pour mes films. Ici, j’ai des sources multiples, ce qui explique la référence au cadavre exquis. Mais j’ai fait le film tout seul.
Votre travail n’est pas qu’un assemblage ou un montage d’images d’archives. Vous composez avec les images, mais vous travaillez aussi les substances, les textures et les objets. Comment cela débouche-t-il sur des représentations innovantes ?
Tout mon travail parle du cinéma, de l’époque du cinéma argentique. Ici, par exemple, j’ai pris des ciseaux et coupé la pellicule en bandes que j’ai ensuite placées sur l’image d’origine, puis j’ai travaillé plan par plan. J’ai utilisé plein d’autres techniques… C’est un travail organique, qui ne peut se faire qu’avec le cinéma argentique. On peut s’immiscer entre les plans et oublier la notion de plan fixe. Ça bouge tout le temps sur la verticale.
Mon boulot consiste à éviter d’être dans le pur chaos. Pour empêcher le chaos, je dois être hyper structuré. Utiliser le hasard pur afin de me maintenir entre le chaos et l’évolution de la structure. Ordre et désordre. C’est très humain. Une métaphore de la vie, en somme.
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Vos films renvoient souvent aux rêves. Pourquoi ce thème récurrent dans votre œuvre ?
Il n’est pas facile d’évoquer le rêve, car un rêve est quelque chose de visuel et non d’optique comme une caméra ou notre perception. C’est pour ça qu’il est très difficile de montrer un rêve. Ma technique de collage permet de se rapprocher d’une vision onirique. Il faut aussi se distancier par rapport à une logique narrative, car les rêves ont une logique d’interprétation plus large et plus ouverte.
Comment a été faite la bande son ?
J’ai enlevé les bandes son d’origine de tous les films utilisés. J’ai chargé Dirk Schaefer de la réalisation de la bande son. C’est un génie. On n’était pas ensemble pendant la réalisation du film, mais je lui ai fait passer la version définitive. Il travaille minute par minute, on en discute, puis peu à peu il réalise toute la bande son.
Que diriez-vous si quelqu’un remixait vos films dans quelques années ?
C’est déjà arrivé ! (rires) Il y a une dizaine de personnes qui ont remixé mon travail. Il s’agit souvent d’une nouvelle bande son, surtout pour Outer Space !
Cadavre exquis était en compétition Labo dans le programme L3.