Dîner avec Campo de Viboras (Champs de vipères)
Entretien avec Cristèle Alves Meira, réalisatrice de Campo de Viboras (Champs de vipères)
Votre film contient pas mal d’ingrédients du film d’horreur ou policier (les masques qui font peur, le carnaval, le son inquiétant de la cloche à la fin, la mort mystérieuse). C’est un genre qui vous attire particulièrement ?
Ce que je voulais en faisant ce film, c’est imaginer un « fait divers » peu ordinaire. Depuis mon enfance, j’ai entendu beaucoup d’histoires terrifiantes de morts horribles ou de crimes qui se passaient dans les alentours du village de ma grand-mère, dans les montagnes du Nord-Est du Portugal. Des tragédies réelles ou parfois inexpliquées, par exemple une prof qui avait disparu pendant le carnaval – tous les habitants pensaient qu’elle avait été enlevée par le Diable ! Toutes ces légendes ont inspiré l’histoire de mon film. Je crois vraiment que pour toucher l’âme et le mystère, il faut raconter des histoires dramatiques. Je voulais mélanger réalisme et imagination. Tous mes films ont un côté documentaire, mais une intrigue surnaturelle.
Pourquoi avoir opté pour une fin plutôt ouverte ? Quelle impression vouliez-vous laisser au spectateur ?
Je souhaitais laisser un goût de mystère. Ce que je raconte, c’est un événement inexplicable. Personne ne dit ni ne sait ce qui s’est passé dans cette maison. Où est passée Lurdes ? A-t-elle tué sa mère ? Et pourquoi son départ coïncide-t-il avec l’invasion de serpents ? J’utilise l’ellipse avec parcimonie pour créer cette impression d’étrangeté, toute la narration est construite rétrospectivement. Je souhaite que les spectateurs ressentent la même chose que les gens du village : que s’est-il donc passé ? C’est une légende contemporaine, différents interprétations sont possibles.
Vous êtes-vous inspirée d’une histoire vraie ?
Le personnage principal m’a été inspiré par ma tante, qui a vécu quarante ans avec ma grand-mère avant de décider un beau jour de partir. Elle a fait une crise d’adolescence un peu tardive. Le feu dans lequel la foule veut brûler Lurdes si elle revient au village est inspiré d’un fait réel qui s’est produit dans mon village dans les années 1990. Un homme avait tué sa femme par amour, un crime passionnel. Il avait quitté le village pour se rendre à la police mais les habitants ont fait un grand feu pour l’immoler si jamais il revenait. Cette justice privée me fascine. Avant cet événement, je croyais qu’à notre époque, plus personne ne se faisait justice soi-même. Eh bien, maintenant j’y crois.
Pourquoi ne voit-on jamais la mère ?
Je voulais tourner en jouant sur le hors-champ. Le cinéma, c’est idéal pour ça. J’ai fait de la mise en scène au théâtre pendant plus de dix ans et je jouais beaucoup sur ce qui se passait en coulisses. J’ai trouvé intéressant de mettre en œuvre cette méthode avec une caméra, et c’est très différent car sur scène, l’acteur doit se montrer face au public. Au cinéma, il est possible de ne jamais le montrer ! C’est super ! La mère devient une sorte de fantôme. Mais cette technique ajoute aussi un côté humoristique à ces scènes. J’aime aussi le côté théâtral des scènes où Lurdes parle avec sa mère (hors-champ). Mais surtout, cela m’a permis de mettre une certaine distance entre ce personnage-là et le spectateur, pour qu’on se s’attache pas trop à elle étant donné qu’elle meurt à la fin, peut-être même assassinée par sa propre fille !
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
John From de João Nicolau, pour son incroyable luminosité et l’été enchanté qu’il décrit. Et aussi Toni Erdmann de Maren Ade, pour la virtuosité de la mise en scène et la liberté de ton (et de longueur). En tant que réalisatrice qui prépare son premier long métrage, j’ai besoin de sentir que tout est possible !
Si vous êtes déjà venue à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
C’est la première fois que je viens au festival. Je suis enchantée et j’espère que le film aura un bon accueil. J’ai hâte d’entendre les réactions, les analyses et les ressentis du public. Clermont-Ferrand, c’est un peu la Mecque du court métrage, et je sais que le niveau de compétition est très élevé, c’est pour cela que je suis flattée d’avoir été sélectionnée, et que j’ai également hâte de voir d’autres courts métrages et de rencontrer des réalisateurs pour échanger sur nos expériences respectives.
Infos supplémentaires sur votre film :
Campo de Viboras sera projeté au festival du court métrage de Clermont-Ferrand en compétition internationale. Est-ce que d’autres sorties sont prévues ?
Oui, le film sera projeté à Angers fin janvier dans le cadre d’un programme dédié aux seconds courts métrages (mon premier, Sol Branco, était en compétition il y a deux ans). Puis le film ira au Portugal pour participer à l’excellent festival Cortex, à Sintra. Je suis contente car il sera projeté en première partie d’un long métrage portugais (qui était en compétition cette année à Locarno) qui va sortir au Portugal en mars prochain.
Pour voir Campo de Viboras, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I2.