Goûter avec City Plaza Hotel
Entretien avec Anna Paula Hönig et Violeta Paus, coréalisatrices de City Plaza Hotel
Quelle est la part de réalisme dans City Plaza Hotel par rapport à l’ensemble du film ?
L’idée du film est née d’une inquiétude du monde actuel, de cette réalité que nous vivons tous. Nous avons opté pour une forme majoritairement documentaire et nous avons utilisé la fiction comme une narration cinématographique pour nous permettre de transmettre ce que nous avons ressenti. Le rêve (ou le cauchemar, selon la manière dont le spectateur le perçoit) a été créé à partir des sensations et des conversations que nous avons eu avec les réfugiés pendant notre mois de tournage. À notre arrivée au “City Plaza Hotel“, nous avons d’abord observé de tout près la vie des habitants. Ensuite nous avons recréé des situations, qui à leur tour devenaient de pures improvisations que nous avons filmées. Nous n’avons pas voulu montrer l’horreur et le danger que représentent ces traversées pour arriver en Europe, nous les voyons régulièrement aux informations. Mais ces histoires existent en permanence hors-champ. C’est le côté humain qui nous intéressait, nous avons voulu montrer que ces réfugiés sont avant tout des personnes qui ont des rêves, des angoisses, des aspirations… Avant de devenir des “migrants“, ils avaient des vies et des idées sur le monde. Zhenos est Afghane mais elle aurait pu avoir n’importe quelle autre nationalité, à travers elle, nous avons voulu montrer leur histoire.
Pourquoi vouliez-vous aborder la situation de réfugiés ?
Nous sommes chilienne (Violeta) et germano-argentine (Anna-Paula). Nous avons eu la chance de beaucoup voyager pour étudier et travailler. Nos proches ont vécu des migrations forcées à cause des dictatures d’Amérique latine. Ce sujet nous touche donc intimement. Lorsque nous avons décidé de faire ce film, nous étions en plein mois d’août à Paris.Les réfugiés périssaient par milliers en Méditerranée et faisaient la une des journaux. Nous trouvions que la manière dont était traité ce sujet était anxiogène, qu’il était impossible d’éprouver de l’empathie pour ces familles. On parlait de “péril“, de “maladies“ qui allaient arriver sur l’Europe. Cela nous semblait surréaliste. Nous avons fait une analogie aux zombies : la terreur diffusée par une couverture média qui montraient une “vague de réfugiés”, comme une invasion. Cela nous semblait éloigné de la réalité, absurde. Nous nous sommes donc demandé comment faire un film qui donne un visage pour humaniser les réfugiés. Les frontières sont une construction politique, faites par le pouvoir et qui deviennent de plus en plus importantes et puissantes pour empêcher les migrants des pays pauvres de pénétrer ces espaces. Il nous paraît insensé que des personnes qui fuient la guerre ne puissent trouver de refuge. Naître dans un pays en guerre ne peut pas être la condamnation à rester dans ces pays alors qu’ils sont prêts à tout, même à mourir pour un avenir meilleur. Plusieurs membres d’associations nous ont parlé du City Plaza Hôtel. Un squat où s’organisait la vie de migrants à Athènes, une organisation collective, qui permettait aux réfugiés de ne pas vivre dans des camps exposés à la violence et qui fonctionnent en autogestion. Un lieu d’espoir. Mais un lieu qui risquait d’être évacué par la police à tout moment et où les familles s’entassent à 4-7 personnes dans la même chambre. L’hôtel est “fully booked“, donc il faut faire des devoirs collectifs pour pouvoir y rester. Après le traumatisme de l’exode, les gens deviennent fous à cause de l’angoisse et l’incertitude (de devoir partir à nouveau). Très souvent les parents ne parlent pas de langue occidentale et ce sont les enfants qui traduisent tout. Au City Plaza Hotel, tout était intense, dans la survie du présent parce qu’en Grèce il n’y a pas de futur. Les réfugiés n’attendent que de travailler, pour avoir une vie normale et donner une éducation à leurs enfants. D’un côté nous étions contentes de voir une organisation humaine comme celle de l’Hôtel City Plaza, mais très déçues par les politiques européennes.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le personnage de Zhenos ?
Nous sommes deux femmes réalisatrices : faire le portrait d’une jeune fille nous paraissait naturel. Nous avons réfléchi à la façon de représenter les femmes, à montrer leur force et travailler à faire écouter leur voix. Zhénos vivait dans les montagnes d’Afghanistan, sa famille a dû fuir le pays car les talibans voulaient la marier de force. À 12 ans elle commençait son adolescence dans un nouveau pays et son avenir était encore incertain. La Grèce, pour les réfugiés, est seulement une partie du chemin, les limbes avant d’arriver dans un nouveau pays pour s’y installer. Aujourd’hui, la Grèce ne permet pas aux réfugiés de refaire leur vie là-bas. Zhenos a des rêves comme toutes les filles, elle aime la musique, parler avec ses amies. Elle voudrait étudier pour devenir professeure de mathématiques. Son arrivée en Grèce était seulement une partie du chemin avant de pouvoir s’installer définitivement et pouvoir imaginer construire sa vie. Aujourd’hui, elle vit tout seule à Brême, où elle va à l’école. Elle parle très bien l’allemand. Zhenos ne sait pas quand elle pourra revoir sa famille. Nous voudrions que toute la famille vienne vivre à Brême avec elle. La famille a déjà passé deux ans en Grèce sans pouvoir travailler, dans une incertitude exaspérante puisque tous les 6 mois ils doivent renouveler un visa très précaire, sans jamais savoir s’ils vont être renvoyés en Afghanistan. Comme nous l’avons dit, ce pays est un endroit transitoire, tout le système politique est fait pour qu’ils ne restent pas. Le cas de Zhenos est un cas typique, il y a beaucoup des jeunes Zhenos ailleurs, qui attendent faire une vie.
Pourquoi ne vouliez-vous pas entrer davantage dans le quotidien de la cellule familiale ?
Pour le format d’un film court, nous avons préféré nous concentrer sur un personnage. Faire le film sur la “cellule familiale” aurait été parler d’un problème plus grand, moins intérieur et avec le risque de perdre l’intimité, le contact plus sensoriel et plus profond avec le personnage. Nous avons aussi eu envie de créer un véritable lien avec Zhenos, ne pas la montrer comme une victime, mais comme une fille forte qui devient une adolescente, avec son monde intime, ses cauchemars, ses envies d’être seule et de sortir de cette chambre d’hôtel, la filmer dans ces limbes qui deviennent très oppressants mais que lui permettent de prendre “un souffle d’air” avant de continuer son chemin.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le court métrage est un conte, un long métrage est un roman et nous avons eu envie de raconter un conte. Le format court est plus dynamique, plus synthétique. En 14 minutes, l’idée doit rester claire, précise tout en restant un objet de beauté, de sensorialité et d’émotion. Nous avons voulu tenter de donner une clé pour comprendre le monde à travers les yeux d’une jeune fille. L’art peut nous donner une vision plus humaine de choses et nous connecter à l’amour. Nous espérons que ce film donne une vision plus humaine et intime de ce qu’est être un migrant. Nous voudrions produire des idées qui permettent de changer et de sensibiliser sans reproduire les systèmes réactionnaires, même si nous sommes conscientes que nous vivons dans une société où sortir des paradigmes est très difficile. Encore plus vivement, nous essayons d’être critiques et de toujours questionner nos idées. C’est une des raisons pour laquelle travailler à deux a été si extraordinaire, deux têtes peuvent couler dans le dialogue, s’aider dans les moments difficiles et dès qu’on fait taire l’ego, nous pouvons aller encore plus loin que toute seule.
Pour voir City Plaza Hotel, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.