Dîner avec Du plomb pour les bêtes
Interview de Théodore Sanchez, réalisateur de Du plomb pour les bêtes
Comment vous est venue l’inspiration pour Du plomb pour les bêtes ?
En tout premier lieu je souhaitais mettre en scène la figure du bouc-émissaire. Ce questionnement est né à la suite des attentats de Janvier 2015 et de l’atmosphère extrêmement anxiogène qui a fait suite à ces événements. Il fallait évidement trouver des responsables, et comme bien souvent, c’est la figure de l’étranger qui a cristallisé toutes les angoisses. L’étranger est alors devenu la figure sur laquelle nous pouvions décharger toutes nos angoisses, le responsable de tous les problèmes et donc la source de tous les maux de notre société. C’est ainsi que j’en suis venu à me demander : de quelle manière est-ce qu’un salaud pourrait profiter d’un tel monde ? Car les salauds – et c’est bien cela qui les caractérisent – se débrouillent toujours pour profiter de toutes les situations, bonnes ou mauvaises…
En grand admirateur des livres de Jim Thompson, je souhaitais néanmoins que ce film n’aborde pas ces questions de manière trop frontale, mais qu’il s’agisse plus de décrire un monde en désintégration.
Enfin, je dois confesser une chose : j’ai toujours détesté voir les méchants perdre au cinéma ! En effet, je n’ai jamais compris comment, les méchants, qui sont si intelligents et pervers dans l’élaboration de stratagèmes plus tordus les uns que les autres, se débrouillent systématiquement pour perdre ! Dans la vraie vie, ils finissent toujours par l’emporter, le pire étant qu’ils finissent souvent même par devenir des héros car nous savons bien que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire…
Pourquoi ne vouliez-vous pas donner plus d’indications sur le passé et l’histoire de Yanis, le personnage principal ?
Il me semblait vraiment important que ce personnage nous apparaisse comme sorti d’un brouillard. Qu’on se pose des questions sur son passé, mais que tout cela reste mystérieux. Comme s’il n’était qu’un fantôme, une âme errante. Il devait être le coupable idéal : sorti de nulle part, sans attaches, avec un passé obscur. Mais ce sont des choix qui se sont en réalité faits relativement tard dans le processus de création. Pendant longtemps, le scénario explicitait bien plus la situation de ce personnage. Je pense que cela était une étape nécessaire pour qu’avec Mehdi Ramdani – qui en est l’interprète -, nous puissions nous faire notre film à nous. Mais au tournage, et encore plus au montage, nous avons méthodiquement effacé tous ces éléments qui, au final ne nourrissaient pas tant que ça l’histoire. L’important était de montrer comment les faibles sont exploités par les forts. Nous n’avions alors plus autant besoin de raconter toute la vie de ce personnage.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans les rapports à la chasse et à la fuite ?
Tout d’abord la question de la fuite, car cela a été la première pierre de ce scénario. Cette construction en deux parties distinctes avec cette fuite dans la forêt a été centrale dans la construction de ce film. L’idée était que ce personnage de Yanis passait sa vie à fuir avant d’arriver dans cet hôtel. L’armée comme fuite d’un monde trop dur, puis, fuite de l’armée, et enfin la fuite du monde avec sa marginalisation…. L’arrivée dans cet hôtel était donc une forme de renaissance. Une manière de se re-sociabiliser, enfin un endroit qui lui accordait de l’intérêt… Sa vie allait peut-être pouvoir commencer. Cette scène de fuite, de nuit et dans les bois marque donc le retour de la violence et d’une forme de destin inéluctable. Concernant la chasse, il y a bien évidement une référence aux Chasses du comte Zaroff et donc sur le plaisir malsain de chasser un gibier humain, mais ce qui m’intéressait, c’était surtout de construire tout le film autour du fait que le personnage principal soit perçu comme une proie. Il y a quelque chose d’éminemment pervers dans le fait calculateur de valoriser quelqu’un alors qu’on s’apprête à le tuer.
La chasse apparaît donc comme une partie d’échecs en train de se jouer.
Comment avez-vous trouvé le comédien qui interprète le directeur d’hôtel et sa voix si troublante ?
Très simplement Gabriel Le Doze est le père d’un très vieil ami. Déjà lorsque nous étions jeunes, il s’amusait à nous terroriser ! Inconsciemment, j’ai sûrement dû aller puiser dans ces souvenirs pour écrire ce rôle ! Nous avions déjà tourné ensemble sur mon film de fin d’études et il avait été d’une grande générosité et d’une très grande implication, donc il me semblait assez naturel de travailler avec lui et de poursuivre notre travail pour ce film.
Concernant sa voix, effectivement il s’agit de quelque chose d’extrêmement intéressant chez lui car c’est aussi un comédien qui travaille dans le doublage – il est notamment la voix française de Franck Underwood ! – et ce travail très précis de la voix lui permet de dégager des sensations très complexes et de malaise sans être obligé de mobiliser tout son corps. Ainsi, nous avons essayé de créer des sensations ambiguës qui correspondent très bien à ce personnage calculateur et pervers.
Pourquoi était-ce important qu’il s’agisse d’un hôtel, plutôt que d’une maison individuelle ou même un village ?
La dimension du travail était une étape importante dans l’aspect “reconstruction” du personnage de Yanis. C’est par le travail, et parce qu’on a besoin de lui qu’il peut enfin se projeter dans un avenir. Je pense que cela aurait été très différent s’il était simplement hébergé chez quelqu’un du coin ou dans une maison vide d’un village. D’autre part, la vision que l’on peut avoir d’un hôtel est très souvent associée au luxe et au plaisir. Ces notions étaient très importantes pour entrer en contraste avec la question de la mort.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Dernier train pour Busan ! Sans être particulièrement un grand amateur de films de zombies, je trouve que ce genre cinématographique est très intéressant car derrière ses aspects qui peuvent paraître grotesques il est un formidable outil pour raconter notre époque, sur les relations humaines et sur la question de la fin de l’Humanité. Pas de l’espèce humaine, mais de ce qui fait que nous sommes des Hommes.
Et je citerais aussi Midnight Special et Ave, César! (bizarrement renommé ainsi tandis que le titre original, fortement porteur de sens, était Hail Caesar!), tout d’abord parce que je suis – comme beaucoup – très intéressé par le cinéma de Jeff Nichols et des frères Coen, et parce que ce sont deux films qui ont déçu alors qu’ils donnent tous deux à montrer une vision du monde très singulière.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Ce sera une première pour moi ! Comme pour chaque personne qui a la chance de pouvoir montrer son film ici, je pense qu’il y a en premier lieu l’envie que le film rencontre un public. Il s’agira aussi de la toute première projection du film, et notamment pour l’équipe technique, donc j’espère que le film sera à la hauteur de leur engagement. En effet, si je suis bien évidement extrêmement heureux d’avoir la chance de pouvoir présenter ce film ici, je suis aussi heureux que toutes les personnes qui ont porté ce projet à bout de bras puissent avoir la chance de le voir dans de telles conditions.
Pour voir Du plomb pour les bêtes, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F4.