Édito – compétition nationale 2021
La tête haute
La 43e compétition nationale du festival découle d’un nombre vertigineux de films proposés au comité de sélection. 1921 courts métrages que nous n’attendions pas, que nous n’espérions plus, quelque peu découragés par cette crise sans pareille, nous pensions alors que la production cinématographique pâtirait également des restrictions imposées dans les autres secteurs. C’était sans compter sur l’incroyable vitalité du format court.
Il est difficile de ne pas penser aux équipes de tous ces films, qui ont dû composer avec toutes les contingences que l’on peut imaginer en termes de production, réalisation, montage, post-production. Il est, de la même façon, difficile alors, de ne pas saluer leur travail et leur signifier toute notre admiration pour ces propositions providentielles.
Nous sommes donc heureux que nos pronostics se soient avérés faux, et très fiers de pouvoir vous présenter maintenant ces 51 films.
Comme chaque année, certaines tendances semblent émerger dans les sujets abordés par les films sélectionnés. Nous rencontrons des hommes et des femmes qui nous paraissent évidemment familiers, des trajectoires particulièrement contemporaines, mais aussi des personnalités à part, embarquées dans de drôles d’aventures. Engoncés dans nos confinements et couvre-feux, nous avons pris un plaisir particulièrement vif à accompagner les personnages des films dans les espaces qu’ils nous ouvrent : forêts, montagne ou océan. Et nous oserons nous aventurer avec eux à visage découvert dans des nuits non encore écrites, approcher des inconnus, danser, réapprendre les gestes non distanciés…
Il y a des films qui collent à leur époque et nous efforcent de repousser notre vision étriquée du confinement, situation universelle so 2020. Sous un angle excentré avec un étudiant italien coincé en Chine, tout juste installé dans un appartement d’où il va puiser dans ses souvenirs et passer au crible son histoire familiale dans The Nightwalk. Ou d’un point renversé, aux côtés de Julien Goudichaud qui met en exergue des SDF Confinés dehors par la force des choses.
D’autres films, toujours très ancrés dans le réel, nous ramènent quelques décennies en arrière, pour nous confronter à la grande Histoire dans différents coins du globe. Quand la mémoire collective encore marquée au fer rouge d’un passé colonial douloureux se mêle aux rémanences intimes des proches, cela donne : l’urgence de déterrer les souvenirs de la guerre d’Algérie dont Alzheimer menace d’effacer toute trace (Souvenir Souvenir), redonner la paroles aux populations passées sous silence lors de la création de la base de Kourou en Guyane dans les années 60 (Écoutez le battement de nos images), ou enfin, le constat que l’indépendance durement acquise d’une femme libre se confond douloureusement avec celle du Niger et de la Côte d’Ivoire, où elle a trouvé refuge (Vas-y voir).
Plus intimes, nous retrouverons des histoires familiales, d’amitié ou d’amour, peuplées de personnages féminins forts sans être écrasants. Il y a d’abord les mères bien sûr, souvent bouleversantes, embarquées dans des situations complexes. Elles sont confrontées au départ d’un fils cadet ou au contraire à la présence trop envahissante de leur fille unique, à des galères financières, à la difficulté de gérer seule l’éducation de deux enfants, ou à un profond désir de maternité contrarié. Les pères sont aussi bien représentés dans cette sélection, et souvent à travers le regard de leurs enfants : en supporter convaincu de l’OL, en professeur astronome improvisé, ou en ancien hippie adepte de l’évitement.
Mais le rapport au clan familial n’est pas toujours facile alors il faudra parfois exploser une bonne fois pour toutes, lors d’un road trip dans la Vallée de la mort ou en s’affrontant dans un match de tennis au milieu du salon.
Au-delà des liens filiaux, il y a aussi les liens fraternels, les amitiés que l’on pense indestructibles et celles qui naissent à peine. Ces relations qui promettent de trouver en l’autre un vrai filet de sécurité, un miroir que l’on refuse d’affronter, un complice absolu pour aller au-devant de passages à vide, d’errances nocturnes ou de fêtes mémorables. C’est ce prisme-là que nous avons souhaité privilégier en choisissant Princesses de Margaux Elouagari et On n’est pas des animaux de Noé Debré pour représenter la France en compétition internationale : les copains d’abord !
Plus improbables et intimes, certains films passent littéralement à la loupe la génération Z en nous offrant à regarder un atelier d’auto-gynécologie dans un squat de Nantes, à assister à un premier baiser estival en pleine nature ou à admirer le rappeur Jul dans un intense ciel étoilé suite à une rencontre Tinder saugrenue.
Autre thématique forte cette année, cruellement actuelle : celle de la violence sociale et politique. Nous la rencontrons dans cette compétition via différents portraits de travailleurs : celui de l’inactif aux yeux des administrations, celui brisé après un limogeage brutal, ou encore un autre, perdu, blessé à la suite d’une chute sur un chantier. L’effort commercial et Dieu n’est plus médecin s’attardent sur des jeunes femmes laborieuses exerçant des métiers que l’on qualifie aujourd’hui « de première ligne » : déshumanisées par leur travail d’hôtesse de caisse ou d’interne en médecine, elles font preuve d’abnégation et de solidarité jusqu’au point de rupture.
Une violence plus concrète et physique marque la vie d’hommes prêts à tout. Prêts à apprendre une nouvelle langue et à s’exprimer en public pour obtenir en refuge en France loin des matchs de bouzkachi afghans, prêts à se plier au groupe pour trouver un avenir fait d’affrontements à travers la formation au métier de CRS, ou prêts à jouer un double-jeu, flic ripou au cœur tendre.
Bien sûr, notre époque ne peut pas se résumer à ces aspects brutaux, même si apparemment, une histoire d’amour passionnelle peut aussi naître d’un fight club improvisé en bord de l’océan (Love Hurts). Il nous reste tout de même le dépaysement, l’onirisme, l’absurde et évidemment la musique pour vivre d’ahurissantes péripéties et pour nous déjouer avec entrain de la morose réalité. Nous écouterons le chant d’une sphinx à couper le souffle poussé du haut d’un célèbre immeuble clermontois, nous partirons en vacances à Lanzarote avec (presque) Michel Houellebecq, nous nous loverons dans la poésie aux parfums d’enfance d’une fiction animée italienne, nous irons à Choulequec où le port des palmes est obligatoire, nous tenterons une séance de spiritisme interrompue par un livreur de soupe, et nous dodelinerons de la tête au rythme imposé par Felix Kubin et de fantasques sorcières…
Mais diable, nous sortirons la tête haute de cette terrible année !
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Chiffres-clés
9 co-productions
10 documentaires (dont 3 docu-fictions, 1 docu expé et 1 docu animé)
35 fictions en prise de vue continu
6 fictions animées
2 fictions expérimentales