Dîner avec Empty Places
Entretien avec Geoffroy de Crécy, réalisateur de Empty Places
Comment avez-vous eu l’inspiration pour ce film sans personnages ?
Je travaille en animation 3D depuis de nombreuses années, mais j’ai un problème avec la représentation des êtres humains dans cette technique. Je trouve que ce n’est pas adapté, et c’est très rare qu’un personnage soit bien incarné en 3D. C’est peut-être une déformation professionnelle, mais quand je vois un bonhomme animé en 3D, je vois des courbes, des paramètres, du travail. Du coup, presque par défaut, j’ai exploré le mouvement mécanique et répétitif des machines, qui est beaucoup plus cohérent avec l’outil 3D : froid, précis, numérique. La plupart des machines d’aujourd’hui ont été conçues et designées sur des logiciels 3D, donc on ne trompe personne en utilisant les mêmes logiciels pour les mettre en scène.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au fonctionnement automatique et perpétuel des machines en mouvement dans Empty Places ?
D’abord le côté purement cinétique : le mouvement répété et hypnotisant, le pur plaisir du mouvement pour lui-même. Le cinéma c’est d’abord des plages de couleurs qui bougent sur un écran. (D’ailleurs le premier plan du film est un clin d’œil à un procédé optique utilisé par Marcel Duchamp pour créer des boucles visuelles : les rotoreliefs). Cela correspond à la première partie du film. Mais j’ai décidé de faire un choix précis dans le type de machines représentées : uniquement des automatismes qui aident les humains au quotidien, dans l’espace public. Cela m’a permis d’amener le film, dans sa deuxième partie, par un simple mouvement de dézoom, vers un message plus social, vers une représentation en creux de l’humanité. L’animation désespérément répétée de ces machines solitaires, normalement dédiées aux gens, prend un sens autre.
Vous êtes-vous demandé si l’ordinateur, machine exécutrice de programmes informatiques, pourrait créer des films en mode automatique, sans animateur ni monteur ?
J’ai essayé d’automatiser autant que possible le processus de fabrication de ce film : l’animation est faite avec des courbes dans un graphique, elle se répète automatiquement en boucle. La modélisation est autant que possible faite avec des formes primitives : cercles, rectangles, sphères. Et les textures sont procédurales, c’est à dire générées par l’ordinateur à partir de paramètres purement numériques. Mais en fait bien sûr on est là très loin d’un film généré par ordinateur. En revanche, il existe déjà des algorithmes qui réalisent des films sur un thème donné (montage, choix des images et des plans, musique), en allant piocher des images sur le net. En général, ces programmes cherchent à reproduire les réalisations les plus likées. Donc ce n’est pas passionnant en soi, sauf à parvenir à les détourner. Ce serait un bon sujet.
À quel moment de la réalisation avez-vous choisi la composition de Beethoven en accompagnement ? Avez-vous testé la possibilité d’entendre les bruits émis par ces machines ?
Je cherchais un morceau de piano, car c’est un instrument très mécanique. C’est une machine. Je voulais une structure en boucle, mais avec des variations amenant de l’émotion, un côté humain et émotionnel qui est dans le film malgré l’absence des gens. Ce morceau de Beethoven est venu très tôt, mais je pensais m’en servir seulement pour la maquette, car c’est un morceau un peu trop entendu je trouve. Finalement je n’en ai pas trouvé d’autre qui réunisse aussi bien les critères recherchés. Concernant les bruits des machines, ils sont présents dans la bande son. Le mix, prévu pour des salles de cinéma, fait qu’ils sont peut-être peu perceptibles sur un ordinateur ou une tablette. Mais quand le film a la chance d’être projeté en salle, ils sont bien là.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je ne sais pas trop. Je fais un court métrage tous les dix ans, du coup je ne suis pas très au courant des tendances. Je pensais qu’avec Empty Places je reprendrai contact, dans les festivals… mais ce n’était pas la bonne année !
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Créer, lire, regarder des films, cuisiner.
Pour voir Empty Places, rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.