Dernier verre avec Les Curiosités du mal
Entretien avec Victor Trifilieff, réalisateur de Les Curiosités du mal

J’aime que le titre d’un film dégage une certaine poésie et un brin de mystère avant même que l’on en ait vu les premières images. Je préfère que le titre prenne tout son sens une fois le film visionné. Ici, je suis parti d’un échange épistolaire entre Alfred de Musset et George Sand dans lequel ils évoquent la satisfaction des curiosités. La traduction anglaise du titre, The Hunt of the Unicorn est le nom de la tapisserie médiévale que l’on aperçoit plusieurs fois dans le film. On y voit une licorne captive d’un enclos trop petit pour elle et d’une chaîne lourde et épaisse. Une métaphore de la pureté bafouée. D’habitude, je suis assez friand des titres en anglais ou en latin, cette fois-ci, je leur préfère largement le titre français.

J’avais envie de continuer à explorer des thématiques qui me sont chères comme la dépression, la violence physique et psychologique. Pour ce film, j’avais envie de les soumettre à l’effet de groupe, à l’effet de masse. Confronter ce jeune homme et ses démons intérieurs à la fièvre collective.

Je dirais que c’est un drame psychologique fantastique, si jamais cela veut dire quelque chose. Selon moi, le traitement « fantastique » s’avère être une arme redoutable pour raconter l’indicible et l’invisible avec poésie, sans être trop pompeux. J’étais super excité à l’idée de proposer un contexte et un univers très réalistes puis de venir poser un cheveu fantastique sur la soupe. Malgré le réalisme recherché, je voulais que cette créature fasse partie de la réalité, en témoigne la réaction des kids, pas étonnés de croiser un être aussi étrange dans les bois à 3h du mat’.

Froid. Surtout pour Nicolas Foray, l’acteur qui incarne la Créature. En dehors du make-up et du slip couleur chair qui le recouvraient partiellement, il a passé 4 jours et nuits à poil dans les bois relativement frais des Hautes-Pyrénées. Big up à lui. D’un point de vue personnel, c’est super exaltant de tourner en forêt. C’est régressif, c’est flippant, c’est excitant. Les bois font partie de ces décors sur lesquels tu t’es dit que tu es quand même super heureux de faire ce métier.


Je me suis fait un peu tout seul comme on dit. J’ai aussi eu la chance d’être très bien entouré et accompagné. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je n’avais pas nécessairement de contact dans le milieu, je n’ai même pas mon bac pour être honnête. J’avais juste vraiment la dalle, une soif de création insatiable. J’ai commencé par la musique qui a été mon métier pendant une dizaine d’années puis je suis venu à la réalisation en bricolant les clips de mon groupe de l’époque. Un de mes meilleurs potes m’a ensuite « engagé » pour créer plusieurs films pour sa marque de caleçons qui ont bien marché en festivals. J’ai pu réaliser Libera Me, mon premier court de fiction en 2019. Et me voici à Clermont aujourd’hui, avec Les Curiosités du mal. J’ai aussi eu la chance d’intégrer la résidence SoFilm long métrage de genre l’année dernière. Du coup je bosse sur mon premier long en ce moment.

Les formats courts qui m’interpellent le plus sont en grande majorité de l’animation et viennent directement d’internet. Je suis fan d’artistes comme David Firth ou Don Hertzfeltd qui parviennent, par le biais de dessins faussement simplistes, à raconter les zones les plus sombres de nos esprits, nos pulsions réprimées, les douleurs incommensurables. De manière générale je suis un gros consommateur d’absurde et de glauque. Côté prise de vue réelle, je suis tous les travaux de Alan Resnick. Un petit génie du court sur YouTube.

Un bon film c’est un film qui m’accompagne des heures, des jours, des années après que je sois sorti de la salle. Un bon film laisse en moi une empreinte fantôme qui ressurgit de temps à autre pour me rappeler à son bon souvenir. C’est ce que j’essaie de faire avec mes projets, laisser une trace dans l’esprit des gens.
Pour voir Les Curiosités du mal, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11.
