Dernier verre avec Eva voudrait
Entretien avec Lisa Diaz, réalisatrice de Eva voudrait
Le film, plus long que la moyenne pour un court, nous permet de suivre le parcours complexe de notre protagoniste et de lui en faire un portrait nuancé. Qu’est-ce qui vous a décidé à adopter ce format et cette durée ?
J’ai réalisé précédemment cinq courts métrages de fiction. J’avais envie de tester un format plus long : pour éprouver la construction d’un récit, d’un parcours de personnage sur une durée supérieure mais aussi expérimenter un tournage sur plusieurs semaines – c’est-à-dire tester ma résistance, voir ce que ça ouvrirait en termes de rapport aux comédiens et ce que cela permettrait au montage le fait de disposer d’une matière plus ample. Il s’agit évidemment d’une étape importante sur la voie du long métrage. On pourrait se dire aussi que chaque film nécessite une durée qui lui soit propre et qu’Eva voudrait réclamait ces 55 minutes. Mais on pourrait se dire aussi que faire un moyen métrage c’est se compliquer la vie (de réalisatrice !), puisqu’en terme de diffusion ce format est compliqué, qu’en terme de financement ma productrice Colette Quesson s’est arrachée les cheveux. Mais ce qui reste de l’expérience, après tout ça, c’est que je n’ai jamais été aussi libre qu’avec ce film à toutes les étapes de sa fabrication.
L’histoire est-elle basée sur une expérience personnelle ? Qu’est-ce qui vous a poussé à la raconter ?
L’histoire ne part pas directement de ma propre expérience puisque j’ai moi-même deux enfants qui jouent d’ailleurs dans le film (ils sont les enfants de Marinette, une copine d’Eva). C’est un peu ça au départ mon point de vue : l’amie. Il y avait des femmes dans mon entourage proche, abordant comme moi la quarantaine, qui n’avaient pas d’enfant et qui étaient travaillées parfois douloureusement par cette question d’en avoir ou pas. Comment faire avec cette horloge biologique qui pèse symboliquement et concrètement sur nos corps de femmes ? Leurs paroles, leurs expériences se sont agrégées pour faire naître le personnage d’Eva. En poussant les situations vers plus d’absurde, en cherchant le rire et un peu la mélancolie, j’ai dessiné ce parcours chaotique d’Eva. Car au fond, Eva voudrait, mais quoi ? Je souhaitais faire de ce désir une question ouverte. C’est précisément parce que la question est ouverte que le personnage peut se mettre en mouvement.
Parlez-nous un peu du casting.
Au centre du casting, il y a bien sûr Caroline Ferrus qui interprète Eva. Caroline fait partie d’un collectif de cinq comédiennes, le collectif Brut.e, avec lesquelles j’ai collaboré alors que j’étais en réécriture du film : on a travaillé deux jours ensemble, à improviser, retravailler certaines scènes… Il m’a fallu passer par un long casting ensuite pour me rendre compte que mon Eva, je l’avais déjà rencontrée et c’était Caroline. Elle a cette solidité et cette capacité à se métamorphoser que je cherchais pour mon personnage. Et aussi elle a ce côté brut de décoffrage que j’aime trouver chez les comédiens avec lesquels je collabore. Autour de Caroline, il y a Marie Rivière (parce que le rayon vert), Franc Bruneau (parce que longtemps je n’arrivais pas à trouver qui jouerait ce prince charmant, jusqu’à ce que je comprenne, à une terrasse de café de la gare du Nord que c’était lui, évidemment); et puis il y a aussi des comédiens autour de Nantes (où j’habitais alors), des amis et des amis d’amis, des rencontres hasardeuses que j’ai pu saisir au vol (et c’est ainsi que par hasard j’ai rencontré Claude Guilloussou qui interprète le paysan du bar, un paysan dans la vraie vie avec un regard d’une profondeur infinie ).
Qu’espérez-vous comme réactions de la part du public ?
Si seulement j’avais des réactions du public ! Nous avons terminé le film en juin 2020 et la plupart des projections se sont faites en ligne. Il y a du public tout autour de la toile mais la salle manque. En même temps, j’ai eu des retours de plein de gens qui habituellement ne voient pas mes films (la belle-sœur du cousin de Langouëlan, la grand-mère de la copine des Cévennes etc). Alors oui, qu’est-ce que j’attends du public ? Déjà qu’il soit là, réuni, dans une salle, qu’éventuellement il rit, qu’il accepte de d’asseoir à côté d’Eva dans sa vieille Peugeot break en direction de la Belgique (elle a refait les niveaux, la voiture devrait finir par arriver à bon port).
Sur quoi aimeriez-vous travailler par la suite ?
Si tout va bien, je tourne mon premier long métrage cet été. Nous avons obtenu l’avance sur recettes. Le casting est en cours. Nous sommes en financement. Ce sera l’été. On tournera dans les Cévennes (oui les Cévennes parce que c’est là que tout commence pour moi !). Je suis aussi en train d’adapter un roman. Un très beau roman.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Alors ces temps-ci j’envisage malheureusement l’avenir (tout court) comme un vaste mur en parpaing. Mais équipé d’une bonne scie circulaire spécial parpaing, on peut peut-être envisager de faire un trou suffisamment grand pour voir ce qu’il y a de l’autre côté. Et de l’autre côté, il y a forcément toujours la culture comme moyen de résistance, donc aussi du cinéma, donc aussi du court métrage. L’avenir du court métrage derrière le mur en parpaing, c’est qu’on en fait, par tous les moyens, avec des bouts de pellicule, un téléphone portable, n’importe quoi en fait. Pour se raconter des histoires, brasser des intuitions vagues, hurler quand il faut… parce qu’il le faut.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous ?
La saison 3 de Twin Peaks, même si c’est la quatrième fois que vous la regardez. Un film fleuve comme Fanny et Alexandre de Bergman (parce qu’on n’a pas fait grand chose de plus beau autour de l’enfance) (si peut-être ex-aequo La maison des bois de Pialat). Un film récent vu juste avant la fin du monde, La vie invisible d’Eurydice Gusmão, mélo politique, poème pour les yeux. Par les routes de Sylvain Prudhomme ou Le grand jeu de Céline Minard pour nourrir ses plans de fuite. La poésie de Carver, de Pasolini ou de Thomas Vinau (à prendre en alternance). Hate, un spectacle de et avec la fabuleuse Laetitia Dosch qui était en ligne à un moment donné (mais je veux retourner au théâtre !)
Pour voir Eva voudrait, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.