Lunch avec Gros chagrin
Entretien avec Céline Devaux, réalisatrice de Gros chagrin
Pourquoi vouliez-vous aborder le thème de la rupture sentimentale ?
Je voulais surtout parler de la première rupture amoureuse dans une vie. Je me suis rendue compte que, comme toutes les premières épreuves, la rupture amoureuse revêt une unicité absolue. On est incompris, solitaire, non seulement parce qu’on souffre mais aussi parce que le réconfort vient souvent comme une insulte : on a rarement envie d’entendre que notre douleur a été la même pour d’autres individus, y compris certains que l’on trouve idiots ou antipathiques.
Quand vous est venue l’idée du mélange entre vidéo et dessin ? Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Je voulais mettre des scènes de dialogues dans le film, ce que je n’avais pas fait auparavant. Je n’aime pas dessiner pour des dialogues, ou alors je les transforme, j’en fais des voix off, je décale l’image et le texte. Là, il me fallait une véritable confrontation physique. J’en ai profité pour expérimenter en 16mm.
Comment avez-vous travaillé les dessins, formes, couleurs, mouvements ? Y a-t-il dans votre style une forme d’abstraction ?
Je travaille seule, et Rosalie Loncin, qui m’a assistée sur mes deux derniers films, intervient lorsque j’ai terminé la scène. J’essaie de visualiser ce qui correspond le plus à une émotion ou à une action, visuellement. J’arrive quasiment toujours à quelque chose d’opposé au réalisme. C’est une méthode très libre, mais qui demande de la patience. Si je n’aime pas mon image, je la redessine.
Le côté épuré m’a donné une impression de dessin thérapeutique, que pensez-vous de ce concept ? Vaut-il mieux dessiner ou faire du yoga pour se remettre d’un chagrin d’amour ?
Je pense que quand on va vraiment mal, on ne peut pas dessiner, ni écrire. On se contente de documenter. Le fait de consigner ses émotions a certainement un aspect thérapeutique, mais ce n’est pas le cas des dessins de ce film.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le personnage de Jean et sa verve acide ?
Jean est un homme qui cherche à construire un amour qui résiste à tout. Si l’amour peut survivre à la méchanceté, à la franchise à tout crin, à la provocation, alors il est véritable. C’est compréhensible, il y a une forme d’absolu dans une relation qui ne repose pas sur la politesse. En revanche, il faut un partenaire dans cette expérimentation. Clairement, Mathilde n’est pas cette partenaire.
Enfin, à quel point étiez-vous intéressée par le fait de comprendre comment et pourquoi l’attirance s’efface au frottement du quotidien ? S’agissait-il davantage de sublimer un moment de vie ?
Je ne pense pas que l’attirance s’efface, je pense qu’on vit avec des modèles un peu éculés parfois, qui impliquent un surinvestissement, une fusion dans des couples qui pourtant ne doivent plus se marier ou faire des enfants pour être légitimes, en 2017. Pour certaines personnes, il est impossible de survivre amoureusement à ce manque d’espace, à cette tyrannie du mimétisme. Mathilde parle à Jean de la personne qu’elle était quand ils se sont rencontrés, et qu’il semble avoir oubliée. C’est un élément important, je suppose. Bien sûr, ils ont évolué au contact l’un de l’autre. Cependant, elle reste un individu, qu’il peut toujours « regarder du fond de la pièce », avec son langage, ses goûts, les livres qu’elle a lus, les journées qu’elle passe sans lui. C’est de cette personne qu’il est tombé amoureux.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le court métrage est une forme d’expression extraordinaire. Je suis triste qu’il faille aller en festival (même s’ils sont extrêmement nombreux et vivaces) pour en voir. La publicité les a remplacés avant les longs métrages au cinéma, mais ils y avaient parfaitement leur place je pense !
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
J’ai eu l’immense chance de pouvoir présenter tous mes courts métrages au festival de Clermont-Ferrand. J’y ai gagné trois prix et fait la rencontre de personnes qui sont devenus de très proches amis. Ce festival a eu une importance capitale dans ma vie professionnelle et personnelle ! Je suis donc très heureuse et fière qu’il continue à me faire confiance et que Gros Chagrin ait été sélectionné.
Pour voir Gros chagrin, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.