Dîner avec Hasta Siempre, Comandante
Entretien avec Faisal Attrache, réalisateur de Hasta Siempre, Comandante
Où avez-vous tourné le film ?
Le tournage a eu lieu dans le cadre d’un stage animé par Abbas Kiarostami début 2016 à Cuba, organisé par Black Factory Cinema (Espagne). Nous étions à environ trois quarts d’heure de La Havane, à l’école nationale de cinéma et télévision (Escuela Internacional de Cine y TV, EICTV), et nous avons tourné à Pueblo Textil, un village voisin.
Comment avez-vous rencontré les personnages ?
Chaque participant au stage était libre de faire un film sur le sujet de son choix et avec l’équipe de son choix. Bien que j’aie rencontré Ernesto et son père, Andrés, dès mon arrivée au village, ce n’est qu’à la fin du stage que j’ai décidé de faire un film sur eux. J’avais déjà réalisé un court métrage documentaire sur un coiffeur, un réfugié syrien du camp de Zaatari en Jordanie, j’ai donc immédiatement été attiré par l’échoppe d’Ernesto. J’ai passé une journée à étudier la relation entre le père et le fils, mais sans savoir où cela allait me mener, j’ai donc laissé les choses se faire. Après avoir essayé deux fois, sans succès, de trouver une histoire avec d’autres personnages (Maître Kiarostami me disait toujours que mes idées étaient « trop compliquées » !), j’ai visionné la scène où Andrés dit que si Ernesto se faisait faire un tatouage sur le bras, il l’effacerait au fer à repasser ! L’idée de ce conflit me séduisait et elle était suffisamment simple pour en faire un court métrage. Je tenais mon sujet.
Ernesto s’est-il réellement fait faire un tatouage, ou sa famille était-elle juste opposée à cette idée ? Dans quelles proportions les choses étaient-elles fixées à l’avance ?
Ernesto ne s’est pas fait tatouer pour de vrai. Ce qui explique que nous ayons au générique un nom pour les « effets visuels », aussi étrange que cela puisse paraître, mais le spectateur, s’il a l’œil, comprendra en voyant le film. Le concept du film était très fluide et en constante évolution tout au long du tournage. J’ai emmené Ernesto dans la ville voisine pour trouver un salon de tatouage. En chemin, je lui ai demandé ce qu’il choisirait comme tatouage s’il décidait de s’en faire faire un. Il n’avait pas d’avis sur la question, mais soudain, j’ai eu le déclic. Comme son père était un grand admirateur de Che Guevara, tout collait : l’intention serait bonne mais il irait tout de même contre la volonté de son père. Cela résumerait à la fois le conflit entre les générations et les divergences de leurs idéaux. Nous avons trouvé un tatoueur et nous lui avons demandé de faire semblant de lui tatouer le Che sur le bras. J’aimais beaucoup l’idée que le tatouage, avec son caractère permanent, définitif, puisse déconcerter le public et susciter des interrogations sur sa véracité. Si on voit quelqu’un se faire tatouer dans un « documentaire », c’est forcément pour de vrai, non ?
Che Guevara est-il toujours une référence pour les Cubains ? Pourquoi avoir choisi ce personnage emblématique ?
C’est principalement une question de génération. Les anciens ont un immense respect pour Che Guevara et l’idolâtrent comme un héros national. Il a joué un rôle primordial dans leur vie et dans la libération de Cuba. Beaucoup, comme Andrés, ont sa photo dans leur salon. Cependant, dans tous les pays, chaque génération qui passe voit l’histoire déformée, transformée, réinterprétée au fil des changements qui se produisent dans le monde. Dans les années 1950 et 1960, Che Guevara représentait quelque chose de réel, de concret. Aujourd’hui, il est plus difficile pour la jeunesse de comprendre le retentissement qu’il a pu avoir, de comprendre qu’il représentait une période de résistance et de révolution pour les peuples du monde entier. À bien des égards, il a été simplifié à l’extrême, réduit à un dogme nationaliste et à une figure de la culture populaire. En résumé, un visage qu’on se fait tatouer sur le bras ! C’est avec cette version floue et édulcorée du Che que les jeunes d’aujourd’hui doivent composer.
Vous semblez vous intéresser à la relation entre parents et enfants. Aimeriez-vous aborder ce thème dans vos prochains films ?
C’est mon premier film qui traite des relations parent-enfant, mais j’ai compris que c’était un thème important que j’avais envie de développer. Je travaille actuellement sur une comédie dramatique entre un père et son fils, qui se déroule à Amman, en Jordanie – comment recréer les liens brisés, comprendre son histoire familiale, son passé. Je travaille aussi sur un projet qui me tient particulièrement à cœur, sur mon arrière grand-père, chef de la grande révolte syrienne de 1925. C’est un projet familial, aussi bien dans son contenu que dans sa mise en œuvre. Donc oui, c’est un thème que j’aborde dans mes films, ainsi que bien d’autres encore.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
De tous les courts métrages que j’ai réalisés, c’est celui-ci qui m’a apporté le plus de libertés. Après mes études de cinéma, je me suis retrouvé pris dans un mode de pensée selon lequel faire du cinéma était nécessairement synonyme de grosse production. Pour mettre en œuvre un projet, il faut un budget, une équipe au complet, du matériel, des lieux de tournage etc. C’est une énorme entrave et souvent, par manque de temps, la créativité, les idées sont étouffées dans l’œuf. Je n’avais pas envie de me jeter à l’eau car je n’avais pas les moyens suffisants pour faire les choses correctement. Mais le fait de réaliser Hasta Siempre, Comandante a complètement changé cette vision des choses, pour de bon, j’espère. J’ai fait ce film en quelques jours, tout seul, sans équipe (par nécessité), avec ma petite caméra DSLR et très peu de matériel. Il ne m’a presque rien coûté. Faire cette expérience et arriver au final avec un film qui passe dans les festivals me rappellera toujours que cela est possible.
Pour voir Hasta Siempre, Comandante, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I11.