Goûter avec Hors-saison
Entretien avec Francescu Artily, réalisateur de Hors-saison
Comment vous est venue l’inspiration pour Hors-saison ?
Le récit est né dans mon vécu, l’histoire a une résonnance avec ma première expérience professionnelle dans l’audiovisuel. Mes études de cinéma venaient juste de se terminer quand j’ai trouvé un emploi en CDI comme caméraman dans une société de production en Corse. Cet emploi représentait l’espoir de gagner ma vie, en pleine période de crise sociale. La société de production était spécialisée dans la réalisation de magazines de divertissement et de voyages, avec pour objectif de vendre du rêve à des téléspectateurs. Mes missions consistaient à réaliser du flux d’images, en parcourant des territoires de bord de mer ou de montagne à la recherche de vues panoramiques et de gens heureux de vivre dans ces espaces. Les méthodes de management de la société étaient déshumanisées, sans échanges ni points de vue. Les producteurs agissaient par injonctions au téléphone ou par mails pour boucler les tournées. Progressivement, j’ai glissé dans un cercle professionnel formaté et sans composantes créatives. À force de produire des images lisses et neutralisées comme des cartes postales, je suis rentré dans une traverse d’effacement. Et après quelques années, j’ai réussi à rompre avec cet enfermement.
Comment avez-vous choisi les lieux de tournage ?
Comme mon personnage principal, j’ai traversé ces paysages désertiques à la recherche d’images panoramiques pour une société de production. Ils étaient donc déjà identifiés et j’ai choisi de les garder pour mon film. Ces paysages ont de l’importance puisqu’ils renvoient à l’intériorité du personnage. Ils induisent le vide, la solitude et le silence comme souvent dans les tableaux d’Edward Hopper.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la question de la perte de sens ? Envisagez-vous de réaliser d’autres films sur cette thématique ?
Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre le mécanisme de la perte de sens qui conduit à la crise existentielle. Dans le film, il existe une porosité entre l’espace professionnel et personnel de mon personnage. Il s’interroge sur le sens de sa vie, sur le bien-fondé de ses choix et sur sa place. Dans ce cas, sa crise existentielle l’exhorte à faire des changements. Une crise existentielle n’est pas une maladie en soi. Elle peut même avoir des côtés positifs, car elle oblige la personne à s’interroger dans tous les domaines de sa vie et à redéfinir ses priorités et ses envies. Autrement dit, elle engage la personne à évoluer dans une direction plus conforme à ce dont elle a besoin. On peut admettre que la plupart du temps, les gens ne choisissent pas ce qui leur arrive. Mais ils peuvent déterminer eux-mêmes le rapport qu’ils auront vis-à-vis de circonstances particulières et influencer ainsi le caractère de leur vie. C’est politique en ce sens. Actuellement, j’écris un long métrage de fiction avec des personnages qui se confrontent à la perte de sens dans leur vie. Et leur marge de manœuvre reste périlleuse.
Comment avez-vous travaillé sur la lumière ?
Le sujet de la lumière est une responsabilité partagée avec Aurélien Py, mon directeur de la photographie. Nous nous entendons au préalable pour inscrire la lumière et l’intensité de la couleur dans le processus créatif du film. Je dirais que dans mon travail, la lumière concorde avec la composition d’un espace pictural. Hors-saison débute dans la lumière naturelle et chaude du jour qui illumine le paysage. Plus le personnage avance dans sa quête existentielle et plus l’ambiance s’assombrit. La lumière suit le personnage en déclinant progressivement du jour, vers le demi-jour, jusqu’à la nuit. Elle se dilue dans la solitude et le vide qui lui ronge les entrailles.
Quel est votre court métrage de référence ?
S’il faut en choisir un, c’est Nest de Hlynur Palmason. Le réalisateur réussit remarquablement l’équilibre d’un récit de fiction aux allures de documentaire sur le sujet du vivre ensemble de sa famille. Il nous laisse entrer, à partir d’un plan fixe tout au long du film, dans le mouvement de l’univers poétique du passage des saisons qui enveloppe les personnages dans leur environnement. Cette fenêtre ouverte sur un paysage éblouissant de lumière et de sensibilité à l’intime, interroge notre rapport au temps. Le traitement est brillant.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Quand j’étais étudiant en école de cinéma, je regardais le festival comme une sorte de graal du court métrage. D’ailleurs, cet événement exigeant soulevait un imaginaire surpuissant pour toute ma promotion. Aujourd’hui, dans mon esprit, le festival de Clermont-Ferrand existe comme un lieu emblématique de la liberté d’expression des auteurs et de rencontres, loin des formes de standardisation de la pensée.
Pour voir Hors-saison, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.