Lunch avec I Made You, I Kill You (Elle dort à jamais ma jeunesse)
Entretien avec Alexandru Petru Badelita, réalisateur de I Made You, I Kill You (Elle dort à jamais ma jeunesse)
Dans I Made You, I Kill You, vous questionnez la déception et l’incompréhension dans une relation parents-enfant. Pourquoi étiez vous intéressé par le fait de montrer cet échec ?
Je suis convaincu qu’une grande partie de ce que nous sommes en tant qu’êtres humains vient de notre relation à nos parents ou à nos modèles maternels et paternels dans le cas d’enfants qui n’ont pas connu leurs vrais parents. Je me suis intéressé à l’échec de cette relation à cause de mes rapports houleux avec mes parents quand j’étais petit. Aujourd’hui je lutte encore pour me remettre de cette période qui a profondément influencé mon regard sur moi-même et ma capacité à tisser des liens solides avec mon entourage.
Comment avez-vous eu l’idée de traiter de l’impact de l’enfance et des souvenirs que l’on garde de cette période dans la construction de soi ?
Je me suis tout simplement livré à l’introspection, j’ai observé que je n’étais pas bien remis de mon enfance et que j’étais prisonnier d’une mentalité de victime, et même si j’ai effectivement été victime de mauvais traitements, cela ne m’a jamais aidé à surmonter la souffrance de mon passé. Quand j’étais enfant, devenir « soi » c’était devenir quelqu’un qui n’ait rien à voir avec ce que je voyais chez mes parents, surtout mon père. Et pourtant, même si la personne que je suis devenue est très différente de mes parents, elle a tout de même été marquée par la violence, la peur, la honte, etc. Ce qui m’a fait comprendre que lorsqu’on est enfant, on est à la merci de ses parents. Et j’ai toujours trouvé injuste de m’entendre dire : « Bon, tu es adulte maintenant, tu es responsable de tes actes, tu ne peux plus accuser tes parents… », alors je réponds « Qui est cette personne adulte ? Quelle est son histoire ? ». Ce n’est pas parce qu’on a 18 ans qu’on a un nouveau cerveau ou un nouveau passé. On est plus mûr, on est censé être plus sage, mais cela n’efface pas toutes les horreurs que les parents nous ont fait subir quand on était petit.
Qu’est-ce qui vous intéressait aussi dans le questionnement du « pouvoir » des parents « créateurs » vis-à-vis de leurs enfants « créations » ?
Ce qui m’intéressait, c’est cette mentalité détestable que j’ai vue partout autour de moi. Les enfants forcés de vouvoyer leur père et leur mère. Les parents qui voyaient leurs enfants comme de petits humains que l’on devait instruire et non pas éduquer, et que l’on punissait quand ils se trompaient, sans leur expliquer pourquoi telle chose est bonne ou mauvaise. Je déteste l’idée que les enfants sont la propriété des parents, qui pensent avoir le droit de leur faire ce qu’ils veulent. Les parents qui croient que, s’ils ne leur crient pas dessus ou qu’ils ne les battent pas, leurs enfants se retourneront contre eux… À la moindre occasion, ils se sentent « obligés » de leur montrer qui commande.
Pourquoi étiez-vous intéressé en particulier par les souvenirs de violences éducatives et les non-dits que les parents du protagoniste ont eux-mêmes vécus ?
Je suis parti de la théorie selon laquelle la violence prend souvent sa source dans l’enfance de l’agresseur. Je me suis donc penché sur la maltraitance subie par les parents durant leur enfance, et qu’ils prolongent en étant violents avec leurs enfants. Il était trop simple de tout mettre sur le dos des parents et d’en faire l’unique thème du film, et cela n’aurait pas bien reflété la vérité. Ce qui est tragique pour les parents du film, c’est qu’ils ne voient pas le mal dans le comportement de leurs propres parents. Pour moi, c’est un constat affligeant. Du coup, cela justifie ce qu’ils font subir à leurs enfants. Certes, il n’est pas facile d’admettre qu’on a été de mauvais parents ou des parents violents.
Comment avez-vous assemblé votre composition animée ? Êtes-vous parti du montage sonore ou avez-vous travaillé l’image et le son en même temps ?
Je voulais trouver un moyen d’illustrer la cruauté de la maltraitance mais sans me contenter de représenter le texte, par exemple, quand la voix off dit « couteau », je ne voulais pas montrer un couteau, je ne cherchais pas à mettre en scène des souvenirs. Et là, je me suis souvenu que j’avais de vieilles photos de famille prises à des enterrements et en les regardant de plus près, j’ai vu qu’il y avait de jeunes enfants (4 à 7 ans) qui participaient à ces veillées auprès du cercueil. Ce fut mon point de départ. On a fait l’animation d’abord et la voix off ensuite. On a ajouté les éléments petit à petit dans la composition de l’animation. Pareil pour la voix off et le choix des mots.
Quelle est la part d’images réelles ? Et comment y avez-vous intégré les dessins d’enfant ?
Il n’y a pas de secret, le personnage principal du film, c’est moi, le réalisateur, et les voix sont celles de mes parents. L’enregistrement vidéo, c’est moi gamin en train de chanter ou de lire des poèmes. Les dessins sont aussi de moi, j’adorais dessiner quand j’étais petit. Les photos proviennent de notre album de famille. Le documentaire est un mélange de tous ces « vieux documents » avec des photos que j’ai prises des maisons de mon village et des gratte-ciels de New York. Seul un dessin a été fait juste pour le film, le portrait de famille que l’on voit au tout début. C’est une idée qui m’est venue une nuit et le lendemain, je l’ai fait.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
En 2016 je n’ai pas vu beaucoup de films, mais j’ai bien aimé The Neon Demon, Premier contact, The Lobster.
Si vous êtes déjà venu à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
J’espère trouver des pistes pour de futures collaborations. J’ai très envie d’intégrer une équipe de tournage en tant que monteur vidéo ou pour faire de l’animation…
Pour voir I Made You, I Kill You, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.