Dîner avec Jupiter !
Entretien avec Carlos Abascal Peiró, réalisateur de Jupiter !
Jupiter ! est un court corrosif sur les arcanes du pouvoir, un genre difficile et finalement assez peu présent sur les écrans français. Ce film est-il né de l’envie de combler ce manque ?
J’ai fait des études de Littérature à Madrid avant de me tourner très vite vers le journalisme. À un moment, un peu par hasard, je me suis retrouvé à couvrir l’info de l’Assemblée Nationale espagnole. C’est en côtoyant ce milieu que j’ai eu l’envie de faire un film qui s’y déroulerait : une formation politique me semblait un simulacre de famille, surtout dans ses formulations les plus perverses. J’aime les univers où la parole est fondamentale, même si souvent elle ne sert à rien. (En général, dans le cinéma et en dehors, j’aime les choses qui ne servent à rien.) Et puis je suis très attaché à l’idée qu’on puisse plaquer du romanesque dans l’actualité. C’est une façon modeste de raconter le présent. Peu après la fin de l’écriture, Mariano Rajoy, alors chef du gouvernement espagnol, a offert un jambon à Donald Trump lors d’une visite officielle à Washington.
La mise en scène, notamment la focalisation sur le jambon, n’hésite pas à tendre vers le burlesque, tout en n’occultant rien des compromissions et bassesses propres au monde politique. Qualifieriez-vous le ton de Jupiter ! de tragi-comique ?
Absolument, je suis incapable de penser en dehors de la tragicomédie. Les films qui m’ont fait grandir sont des tragicomédies, et puis, en tant qu’Européen du sud, je n’ai pas eu trop le choix. J’ai toujours été fasciné par les récits dits picaresques où l’on retrouve souvent un ou plusieurs personnages prêts à franchir les codes (moraux ou pas) pour saisir les occasions qui se présentent. C’est presque autobiographique.
Par son humour acerbe et son rythme soutenu,Jupiter ! évoque le travail d’Armando Iannucci (In the Loop, The Death of Staline mais aussi la sérieThe Thick of it). Êtes-vous familier de son travail, constitue-t-il une référence ?
Super question ! Ado, j’adorais The Thick of It de Iannuci, et j’ai y pas mal pensé lorsqu’on fantasmait sur le film. Pour le ton, et parfois même pour la forme (ce style télévisuel très british et un découpage agressif). Sinon, je suis fan de Macaulay Culkin et ces enfants odieux qui peuplaient la télé des années 90 ; Jupiter !leur doit quelque chose. Et puis il y a certains films d’Altman, avec ce fourmillement de personnages dans un lieu unique, ainsi que les tragicomédies italiennes des 60s, Monicelli ou Risi notamment. Dans Una Vita Difficile (un top personnel), Risi crée l’une des plus belles ellipses de l’histoire du cinéma… à partir d’un jambon ! C’est comique certes, mais le film se sert du jambon pour incarner le douteux engagement idéologique du personnage joué par Alberto Sordi : brillant.
Quel regard portez-vous sur la visibilité du court métrage aujourd’hui ? Dans quel cadre aimeriez-vous voir projeté Jupiter !, qui pourrait séduire un large public ?
Je découvre les festivals avec ce film et je trouve très émouvant la rencontre avec le public. Pour un film court comme Jupiter ! il n’y a pas beaucoup de cadres plus excitants que celui offert par Clermont. Je crois beaucoup à l’idée de la séduction, un mot perçu trop souvent comme péjoratif mais que je trouve fondamentale, cela m’évoque une forme de générosité. Je me sens plus proche du mot public que du mot réalisateur, je suis en train d’apprendre à faire du cinéma et ma cinéphilie restera toujours enfantine, faite d’onomatopées, de mythologies et de partage. Séduire, c’est aussi partager. Et puis ma conception, c’est que si je fais des films qui puissent plaire à ma grand-mère, c’est assez sain (et ambitieux), comme objectif.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Jupiter !, qui a été tourné dans le cadre de ma troisième année à La Fémis, est presque mon premier film, donc je n’ai pas une expérience du long (ni de court) qui puisse me permettre une analyse pertinente. Ce qui est sûr, c’est que j’aime la profusion de personnages et d’intrigues, tout en adoptant une dramaturgie plutôt classique, et cela me donne vraiment très envie d’explorer les possibilités du long.
Pour voir Jupiter !, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.