Dîner avec Kachalka
Entretien avec Gar O’Rourke, réalisateur de Kachalka
Comment avez-vous imaginé Kachalka ? Pouvez-vous nous parler un peu du processus de tournage ?
Comme le producteur et moi vivons en Irlande, le film s’est en quelque sorte fait « à distance ». Nous l’avons conçu lors de trois visites à Kiev, sur une période de plus d’un an et demi. Lors de nos deux premières visites à Kiev, nous avons fait des repérages sur le site et rencontré certains des sportifs. Nous y sommes allés en hiver, donc nous ne savions pas encore à quoi cela ressemblerait en été. Grâce à Serghiy, notre formidable fixeur, nous avons pu entrer en contact avec des personnes aux profils très différents, qui selon moi incarnaient des aspects intéressants de la salle de musculation. Il y avait des hommes qui venaient s’entraîner au beau milieu de l’hiver, alors qu’il faisait -5 voire -10 °C. Lors de notre deuxième voyage à Kiev, nous avons enregistré environ 14 heures d’interviews audio avec ces hommes, qui ont ensuite été transcrites en anglais. Avec ces interviews, nous avons monté et conçu un arrière-plan audio et narratif qui, au départ, devait constituer la colonne vertébrale du film. En fin de compte, nous avons supprimé toutes ces interviews pour n’en garder qu’une, celle de Petro, le gardien. Mais nous ne l’avions pas encore tournée : nous nous en sommes chargés lors de notre troisième visite et du tournage à proprement parler, qui s’est déroulé sur quatre jours, en mai 2019. Nous n’avions qu’un délai limité et beaucoup de choses à faire, donc le planning était chargé. De nombreux plans que vous pouvez voir ont été imaginés en amont de notre tournage en Ukraine. Pour être honnête, le tournage a été une expérience vraiment amusante. Évidemment, nous avons connu des moments de stress, des insomnies et nous étions inquiets presque en permanence, mais finalement ça a été une fantastique expérience. Il y avait beaucoup de sportifs à Kachalka pendant notre tournage, car c’était presque l’été. Ils étaient tous très gentils et intéressés par notre projet. À plusieurs reprises, nous avons repéré quelqu’un ou quelque chose d’intéressant, puis couru demander si nous pouvions filmer. Beaucoup de mes plans préférés ont été tournés comme ça. Très peu d’entre eux parlaient anglais, donc nous avons eu besoin de l’intervention de notre interprète et de nos preneurs de son.
Pouvez-vous nous parler un peu des sportifs de Kachalka et de la manière dont vous les avez approchés ?
Nous les avons approchés de deux manières différentes. D’abord par l’intermédiaire de Serghiy, notre fixeur, qui s’est rendu sur le site pour nous (en hiver) et a discuté avec eux. Nous étions alors toujours en Irlande. Nous avons constitué une grande base de données sur les sportifs qui souhaitaient figurer dans notre film, soit un peu plus de 20 hommes et quelques femmes. C’étaient des personnes d’horizons très différents : des stars de cinéma locales, des responsables de magasins, des étudiants ou encore des soldats de l’Armée rouge à la retraite. Pour ne rien vous cacher, nous avons offert quelques « cadeaux », comme des bouteilles de whiskey ou des maillots de football irlandais, aux hommes les plus renfermés pour les convaincre de participer. Sinon, nous les avons également approchés lors du tournage : tout simplement, dès que nous voyions quelqu’un d’intéressant, nous l’abordions pour lui dire que nous faisions un film sur ce club de gym et que nous voulions le filmer. Ils se sont presque tous laissés convaincre. Certains d’entre eux, notamment les plus massifs et imposants, étaient plus rusés et n’hésitaient pas à nous demander de l’argent !
Qu’espérez-vous que le public retire de ce film ?
Tout d’abord, j’espère que le public appréciera le film ! J’espère qu’il saisira ce qui rend ce lieu si spécial et unique. J’ai tiré de nombreuses leçons de mes visites à Kachalka, comme l’importance d’utiliser ce que vous avez à disposition, l’importance d’avoir une communauté pour améliorer votre quotidien et les bienfaits de l’exercice physique pour être en bonne santé. Si en plus de cela, le public rit un peu alors j’espère qu’il ne regrettera pas d’avoir vu ce film.
Y a-t-il des libertés que le court métrage vous a apportées ?
Étant donné que c’est mon premier film, je n’ai pas de point de comparaison. Mais, j’ai eu un grand sentiment de liberté tout au long du processus. Screen Ireland, le principal organisme cinématographique en Irlande, a financé ce film. Ils m’ont beaucoup encouragé à m’orienter vers quelque chose d’artistique et d’original, peut-être parce qu’ils ne cherchaient pas à faire de ce film un produit commercial.
Quelles sont vos références cinématographiques ?
Au risque de paraître un peu arrogant, Stanley Kubrick a été ma principale inspiration visuelle pour ce film. Comme Kachalka est un lieu visuellement incroyable, j’avais le sentiment que ce film méritait un style visuel fort. Je voulais que la cinématographie de ce court métrage capture une impression de puissance et de force. Je me suis inspiré des machines présentes sur le site et j’ai choisi d’utiliser beaucoup de plans fixes symétriques, de zooms lents et une caméra fixe. Le site regroupe des machines de l’époque soviétique, dont l’usage a été détourné. L’équipement sportif est fait de machines puissantes et précises, qui ont des mouvements très mécaniques. Ce que j’aime dans les techniques visuelles de Stanley Kubrick (et c’est la raison pour laquelle il est une de mes références), c’est que ses plans sont également très puissants et précis. Je me suis également inspiré de vieux films soviétiques : nombre d’entre eux possèdent cette puissance visuelle qui s’adapte parfaitement à notre sujet.
Kachalka est présenté en compétition internationale, dans le programme I10.