Lunch avec La Ducasse
Entretien avec Margaux Elouagari, réalisatrice de La Ducasse
On sent que derrière l’histoire de ce flirt entre adolescents, l’enjeu de ton film est de questionner certains stéréotypes et de provoquer la discussion. Quel public, en particulier, aimeriez-vous toucher avec votre court métrage ?
Je ne pense pas à un public en particulier que j’aimerais toucher plus qu’un autre. Par contre, j’ai très envie de parler de gens qu’on voit peu au cinéma. J’ai aussi très envie de défendre les femmes. Mais là, présentement, c’est une question que je ne me suis pas posée. En fait, je veux parler d’un monde et de situations que je connais très bien et qui me questionnent, mais je ne me pose pas la question du public, je pense à tout le monde ! Le film met en scène le sexisme quotidien (l’homme qui passe en voiture et interpelle les deux jeunes filles, par exemple).
On devine votre volonté de rendre visible ce type d’actes, longtemps peu ou pas traités au cinéma. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cet aspect du film ?
Bien sûr, j’ai envie de montrer que les hommes sont des gros lourds, ils sont à l’aise à dire des conneries… et ce, simplement par des petites scènes qui ne font pas avancer le récit, (comme l’homme qui passe à côté d’elles) mais qui plantent un décor et qui sont des clins d’œil à notre monde. Il s’agit aussi d’accorder des victoires aux femmes, ici lorsque Shanna gagne au tir à la carabine et, sans le vouloir, humilie Jordan. Dans ce film c’est encore assez timide, mais j’aimerais aller beaucoup plus loin dans cette direction.
Vous abordiez dans Jouons, votre précédent court métrage, l’éducation sentimentale et sexuelle des adolescentes. Mettre en scène les évolutions qu’ont connu les rapports hommes/femmes récemment vous semble nécessaire ?
(Vous avez vu Jouons???! Haha)
Je ne sais pas si c’est nécessaire, mais en tout cas moi ça m’obsède, savoir dans quoi les jeunes évoluent et voir comment cela influe sur leur rapport à l’autre… Analyser notre éducation sexuelle/amoureuse et comprendre pourquoi on agit de telle façon. Notre environnement culturel/médiatique/social influence nos rapports aux autres et ça m’intéresse beaucoup d’essayer de créer des ponts entre tout ça au cinéma, pour le coup. Dans tous les scénarios que j’ai écrits jusqu’ici, il s’agit de parler de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. Je trouve que l’adolescence est une période très malheureuse et cette transition, cette évolution, ce passage, cette compréhension du monde et de notre futur est hyper intéressante. Les ados sont sincères, spontanés et sauvages, quand on passe à l’âge adulte, c’est fini.
Dans La Ducasse, Shanna est une adolescente volontaire, qui n’hésite pas à approcher directement le garçon qui lui plaît. Lui, en revanche, assume beaucoup moins cette relation naissante. Que vouliez-vous dire à travers ce décalage dans leur attitude ?
Ce que je veux dire, c’est que Shanna est pleine d’amour, pleine de rêves, qu’elle s’accroche très vite à Jordan car il représente pour elle une porte de sortie, une sortie hors de son village qu’elle déteste. Elle voit cette possibilité en lui. Jordan s’en tape, il est là pour les vacances chez ses cousins les bouseux. Ça l’amuse qu’elle le drague comme ça mais lui n’est pas plus intéressé que ça par cette fille.
Comment s’est passé le travail avec les comédiens ? De quelle manière avez-vous abordé avec eux cet enjeu du film, qui consiste à renouveler la représentation des jeunes filles au cinéma, mais aussi des rapports hommes-femmes ?
On n’a pas beaucoup parlé de ce décalage avec les comédiens, des rapports hommes/femmes, etc. On a surtout évoqué le fait de grandir à la campagne, de s’ennuyer. Ils ne le vivent pas de la même manière que moi ado, mais ils ont pu le comprendre. C’était ça le plus important pour moi, qu’ils comprennent cette vie, pourquoi ils vont devenir un peu zinzin pendant cette journée à la Ducasse, pourquoi Shanna va autant s’accrocher à Jordan.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Non le court métrage ne m’a pas laissé de liberté, après je n’ai pas de point de comparaison, à part l’autoproduction, mais ce que je peux vous dire c’est qu’assez souvent on m’a demandé de renoncer à des partis pris de réalisation peu communs et que j’ai dû me « battre » pour garder plusieurs de mes choix.
Pour voir La Ducasse, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.