Goûter avec Las Cruces
Entretien avec Nicolas Boone, réalisateur de Las Cruces
Pourquoi vouliez-vous tourner à Bogota ? Comment avez-vous connu le quartier de Las Cruces ?
Julien Naveau, producteur chez Noodles Production, m’a proposé de réaliser un film à Bogota. J’y suis parti en repérage. Nous avons visité alors plusieurs quartiers de la ville. Quand j’ai découvert « Las Cruces », j’ai su très vite que le film se ferait là-bas car il y a quelque chose de très vivant, d’intense, de brut
Comment avez-vous choisi les différents décors ? Sont-ils représentatifs ou y a-t-il des espaces moins délabrés qui n’ont pas retenu votre attention ?
J’ai commencé par trainer autour de la place du marché, et j’ai observé les passants. Certains d’entre eux sont venus à ma rencontre, et m’ont raconté leurs histoires… j’ai retenu dans mes errances des points de vue. Pour ouvrir le film à la ville, j’ai étendu le tournage avec d’autres lieux : un vieil hôpital abandonné, une recyclerie, une forêt en bordure… des lieux très représentatifs de la ville et ses mouvements. Bogota est une ville qui s’organise autour du délabrement et de la construction. Ces paradoxes m’intéressent : le chantier (dernier plan du film) et la ruine. La fin d’un cycle et le début d’un autre.
Pourquoi vouliez-vous donner à voir ces personnages marginaux et leur rapport à la délinquance ? Et dans quelles proportions avez-vous préparé et tourné le film avec les habitants ?
Le casting s’est fait naturellement, j’ai réalisé qu’il était important pour certaines personnes de raconter leurs propres histoires et d’être dans le film. Je n’ai jamais dirigé les acteurs et je ne leur ai jamais dit ce qu’ils avaient à dire… J’ai juste construit une bonne relation avec eux, puis j’ai dessiné une circulation, des rencontres. Ils ont improvisé les dialogues à partir de leurs expériences de vie. Je pose des situations qui créent du décalage et permettent aux acteurs de réagir avec leur imaginaire. Tous les personnages de ce film, comme le quartier lui-même, ont deux visages : ils peuvent être très amicaux et terriblement violents. La nature humaine est comme ça, mais ici en particulier, le contraste est énorme. Pour les acteurs, comme pour moi, le film est cathartique. Le cinéma est une manière de regarder le monde, c’est pourquoi j’avais envie de montrer les endroits où nous n’avons pas envie d’aller ou pas envie de voir. Montrer les choses telles qu’elles sont et les sublimer par le cinéma. En Colombie, le réel est très fort, donc il faut faire peu de choses pour qu’il devienne fiction, cinéma.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait de suivre les déplacements successifs des personnages pour tracer le cheminement du film ?
Traverser un moment dans un territoire avec une multitude de personnages. Les personnages comme la caméra dessinent peu à peu l’espace et le temps du film.
Avez-vous d’autres projets cinématographiques de déambulations dans un territoire mettant en scène son « délabrement » ?
Je suis en post production sur une fiction tournée en Estonie, à la frontière russe, la déambulation d’un personnage unique dans un paysage désert dévasté. Entre le conte et la science-fiction, c’est une traversée dans les ruines et l’étrangeté, la fin d’un monde.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Le court métrage permet à mes films d’être très spontanés, ici le repérage et l’écriture sont une seule étape, au tournage les décors comme les acteurs ont été bloqués un minimum de temps pour rester bien en vie, et le montage fait dans la foulée…
Pour voir Las Cruces, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.