Dîner avec Les chiens
Entretien avec Angèle Chiodo, réalisatrice de Les chiens
Votre précédent court métrage La sole, entre l’eau et le sable a remporté le prix spécial du Jury en 2012. Qu’est-ce que l’attribution de ce prix a changé dans la carrière du film et pour vous personnellement ?
Je crois que ça lui a donné du crédit, c’était un film fait maison, donc un peu fragile. On m’a parfois demandé combien on était dans l’équipe de tournage, combien j’avais eu d’argent pour le faire, alors que j’étais bêtement seule avec ma grand-mère. Je ne connaissais pas du tout le milieu du cinéma, ni son organisation. Donc ça m’a aussi donné l’idée de faire des films, ce que je n’imaginais pas avant, je pensais que c’était une infrastructure compliquée, et qu’il fallait jouer les chefs. Moi je faisais des vidéos comme de la peinture.
Aussi il a été acheté par la chaîne Canal+, et l’argent de la vente m’a permis aussi de pouvoir travailler surtout sur mes projets et de me dire que ça pouvait être spontané et quand même viable. Mais on a fait Les Chiens avec l’argent de mes productrices et un appel de fonds en ligne, parce que je voulais aller vite, on n’a pas vraiment attendu les aides.
Des rencontres faites à Clermont ont-elles permis d’aider à la création de votre nouveau court métrage Les chiens ?
J’y ai rencontré des gens qui font du cinéma et qui étaient inspirants, qui donnaient envie.
Ça m’a donné confiance, et peut-être aussi les gens m’ont fait confiance grâce à ça aussi. Et la préparation s’est finie au festival l’an dernier, tous mes amis y étaient alors je les poursuivais avec des réunions de travail, on a fait des tests de feux d’artifices par exemple.
Comment avez-vous choisi le couple de comédiens et, surtout, comment avez-vous choisi les chiens ?
J’ai fait les choses assez instinctivement, et c’est bien tombé au niveau des équilibres chiens-maîtres.
Au début j’avais commencé l’histoire avec Pierre Mazingarbe (réalisateur de Ce qui me fait prendre le train), un ami de mon collectif, on pensait jouer nous-mêmes les deux personnages, avec nos chiens. Donc la chienne blonde c’est à Pierre, et le petit insupportable c’est le mien, je venais de l’avoir, et je demandais naturellement des conseils à Pierre, qui a toujours eu des chiens.
Et puis après j’ai pensé à Maud Roulet qui est une amie d’enfance, qui communique assez mal avec les chiens, mais qui est une comédienne géniale, elle a une super présence sur scène, et dans la vie aussi. Slimane Yefsah c’est un acteur qui a tourné avec Pierre, je me rappelais l’avoir rencontré des années auparavant, et qu’il dégageait une bonne énergie aussi – et ensuite j’ai su qu’il a toujours eu des chiens, c’était parfait.
On a fait des impros et j’ai ré-écrit le scénario au fur et à mesure en fonction d’eux.
Jérémy Tate, le père-noël-clochard, c’est un ami, je lui ai proposé le rôle parce qu’il fait tout le temps des feux d’artifices et que j’adore sa démarche, je ne savais pas qu’il était acteur parfois.
Sans trop spoiler, j’entrevois au moins deux raisons au choix de la jeune femme après sa longue quête infructueuse : conséquence de son errance ou pulsion de lucidité issue de sa prise de conscience. Avez-vous volontairement laissé le doute ou êtes-vous surprise qu’on puisse faire de ce passage deux interprétations aussi opposées ?
Souvent dans la vie on n’est jamais sûr, on ne sait pas si c’est la fatalité ou la volonté qui régissent les choses, c’est une question de point de vue, on invente les causes en fonction des conséquences, c’est des choix. Par exemple le choix entre « c’est triste » ou « c’est drôle », je préfère faire en sorte que ça puisse être les deux en même temps.
Je voulais qu’elle ait perdu le contrôle, comme quand on perd définitivement quelque chose qu’on aime.
C’est horrible de perdre quelque chose à quoi l’on tenait, mais parfois on tient aux choses comme on agrippe la barre du métro. Ça peut faire du bien de perdre l’équilibre et de se dire qu’on avait choisi de sauter (même si dans les faits on a plutôt été forcé). Et dans cette sensation de n’avoir plus rien à perdre on est très libre, même si ça ne dure pas, un retour à zéro c’est positif, on doit changer de posture, se remettre en question.
Les chiens marquent leurs territoires. Dans Les chiens, les personnages masculins semblent eux aussi marquer leurs territoires. Votre personnage féminin par contre, est « en visite ». Elle semble déconnectée de son propre territoire. Comment imaginez-vous l’espace de ce personnage ? Lui avez-vous inventé un appartement, un salon, un lit, des livres et des films préférés, etc. ?
Cette fille travaille beaucoup, parce que dans le travail on peut obéir à des règles précises, on sait ce qu’on doit faire, c’est hiérarchisé, on ne monte pas sur les canapés. Son chien lui a été refilé par un collègue, et finalement elle l’aime bien, parce qu’elle doit le nourrir, ça lui donne une raison de rentrer le soir.
Par contre elle n’a toujours pas déballé les cartons de son déménagement, parce qu’elle ne voit pas l’intérêt de s’installer « chez elle », puisque personne n’y vient jamais. Elle est venue à ce repas de Noël parce que c’était férié, en pilote automatique.
Le garçon au contraire c’est sa famille, sa maison, il est super bien dans ses baskets, il gère les rapports humains. La fille névrosée et le garçon droit-au-but, j’aurais pu faire le contraire mais j’aime bien les lieux communs, on sait où on va, c’est comme les jardins publics, on n’y perd pas les gens pendant la journée.
Dans Les chiens, comme dans La sole, entre l’eau et le sable, vos personnages proposent des univers singuliers, bien marqués et qui donnent beaucoup de place à la construction créative de l’espace. Chaque « présence » semble avoir une signification, aussi bien les présences animées (humains, animaux) que les présences inanimées comme les objets. Attachez-vous une importance particulière aux objets ?
Oui, j’aime bien. Quand on fait de l’animation on est un peu animiste. Et puis c’est comme au théâtre, chaque chose sur scène doit être signifiante. Dans la vraie vie je ne sais pas quoi faire des objets, ça ne sert à rien mais on s’y attache, ça prend de la place, quand on les jette on croit qu’on va s’amputer d’une jambe mais ensuite on respire mieux.
Les habits c’est pareil, je déteste choisir des habits, mais on ne peut pas se balader tout nu. Mais je me dis qu’en fait c’est comme des déguisements ça multiplie les rôles à jouer, et les gens deviennent tous très beaux et drôles, un petit spectacle continuel dans la rue.
Pourriez-vous travailler tout type d’environnement ? Une cuisine Smiss, par exemple, ça vous inspirerait autant ? Comment la considéreriez-vous dans le scénario ?
Si je trouvais une cuisine Smiss il faudrait que ce soit du grand luxe, ne pas faire les choses à moitié. Hygiénique comme un incinérateur. Avec cache-frigo, porte-sopalins, marbre et voyants électriques partout. Souvent les décors m’ennuient, ça empêche d’aller droit au but, ça compose mal l’image, alors il faut que ce soit un personnage, au même titre que les objets en fait.
J’aurais envie qu’on danse dans une cuisine Smiss, comme à la télé, avec le carrelage dur et le désinfectant. Souvent les supermarchés ça donne envie de faire des chorégraphies avec les aliments, peut-être que c’est pour ça qu’ils mettent de la musique dedans, c’est tellement bien rangé les rayons, c’est du cache-misère.
—
Pour voir Les chiens, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F12
Angèle Chiodo expose avec le collectif Babouchka au sein de l’exposition Illuminacion (voir détails ici) une installation réalisée avec Morgane Le Péchon : « Mes présidents en fleurs », à partir du court métrage Le Quepa sur la Vilni.
Vous pourrez aussi la rencontrer au sein des Expressos (de 9h30 à 13h30 salle Gripel à la Maison de la Culture). Date envisagée, à préciser ultérieurement : mercredi 5 février.