Breakfast avec Les mauvais garçons
Entretien avec Elie Girard, réalisateur de Les mauvais garçons
Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre film, Les mauvais garçons, qui s’intéresse à un groupe de trois jeunes hommes dont l’amitié est chamboulée par la future paternité de l’un d’eux ?
J’ai d’abord écrit ce projet sous une forme de fiction radiophonique pour France Culture. Une série d’une dizaine d’épisodes, qui comportait à l’origine 4 personnages. La forme était assez proche d’une pièce de théâtre, contenant essentiellement des dialogues. J’ai voulu adapter ce projet pour le cinéma quand est venue l’envie d’une scène, très simple, qui nécessitait d’être filmée : des garçons reçoivent sur leur téléphone, à la même seconde, le faire-part de naissance de leur ami commun. J’aimais le contraste de cet instant, qui juxtapose l’ordre souverain du monde (la natalité) avec un contemporain très trivial (un sms). C’est le point d’orgue du récit, en aval duquel s’est construit la temporalité du film, fait de rendez-vous manqués, parallèles à cette grossesse qu’on ne voit pas. Pour nourrir ces moments, je me suis inspiré d’anecdotes et de personnes de ma propre vie. J’ai besoin de garder un lien assez fort avec le réel, qui est pour moi la seule manière de s’assurer que les choses sonnent vraiment juste.
L’une des réussites du film réside dans le portrait des personnages et l’amitié qui les unit. Comment avez-vous écrit ces personnages ?
Je n’ai jamais essayé de forcer les ressemblances entre mes deux personnages pour induire l’amitié. Ça se joue plutôt dans la situation, dans le fait qu’ils se retrouvent ensemble dans la même « galère ». Leur groupe de trois amis est soudain amputé d’un membre, et les deux qui restent se retrouvent en tête à tête, peu à l’aise avec cette situation. Ainsi, c’est leur amitié même qui est mise en danger, et qui devient de fait le sujet du film. En ce sens, leur manière un peu mélancolique et maladroite de vouloir à tout prix préserver un lien me semble raconter mieux l’amitié que ce qu’aurait pu faire une complicité au présent. En somme, c’est l’histoire de deux amis qui essaient de continuer à l’être… ce qui confère à leur amitié une dimension un peu extraordinaire.
Comment avez-vous travaillé avec les comédiens pour parvenir à leur faire incarner ces liens complexes et interpréter ce moment de basculement ?
On a fait quelques lectures et répétitions tous les trois. Cela m’a permis de valider le texte, certaines intentions de rythme, de réécrire aussi quelques détails, etc. Mais en vérité, c’était surtout une manière d’apprendre à mieux connaître Aurélien et Raphaël, pour mieux pouvoir les diriger ensuite. Ils sont très différents : Aurélien a appris tout le texte méticuleusement, dans les moindres recoins et tics de langage que j’avais écrit, m’a interrogé sur l’intention de chaque scène, chaque réplique, jusqu’à les incarner pleinement, comme un acteur de théâtre. À l’opposé, Raphaël est plus instinctif. On a peu répété ensemble, car j’ai vite compris que ça ne l’intéressait pas, qu’il tournait à vide. Au tournage, je l’ai quand même forcé à entrer dans un cadre assez rigoureux (il n’y a pas d’impros dans le film), que son énergie tentait de déborder en permanence (dans le texte, les gestes, les déplacements, etc). Cette tension m’a semblé produire un effet saisissant avec lui. On pourrait parler de dérapage contrôlé. Ce sont deux comédiens incroyables, très professionnels chacun à leur manière. Je leur suis à jamais reconnaissant d’avoir été si généreux avec le projet.
À l’écran, on ne voit que les personnages masculins, les femmes ne sont présentes qu’à travers les messages qu’elles écrivent ou leur voix au téléphone. Mettre en scène ce trio (puis ce duo) en évacuant l’extérieur, c’est un parti pris très intéressant et efficace. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Je crois que si l’on veut raconter le vide ou l’ennui sans ennuyer le spectateur, rien n’est plus efficace que de construire une attente forte chez les personnages, même abstraite (comme dans En attendant Godot). Mes personnages attendent Victor, et ça devient presque un gimmick : on comprend vite je pense qu’il ne réapparaitra pas. Mais on continue de l’attendre, et le film impose son rythme comme ça. En ce qui concerne la solitude, c’est un peu la même chose. Une absence totale et absolue me semble forcément un peu moins tragique qu’une absence « quasi » totale. J’ai donc voulu préserver en périphérie de l’histoire des traces, des indices, des évocations. D’où la silhouette muette de Victor au début du film (un grand merci à Jonas Bloquet qui a imprimé le film de sa stature charismatique), la voix de Nora, l’évocation de Claire Kaplan, etc. Il y avait deux autres présences féminines dans le scénario d’origine (une silhouette et une voix-off) mais elles ont peu à peu disparu au montage. Il fallait que ça reste un « film de garçons », mais aussi un film sur le fantasme. Mes personnages ont tendance à se bercer de ce qui n’est pas tout à fait là (comme cet enfantôme, concept inventé par Cyprien). C’était aussi le sens des intertitres de chapitres, nommés comme autant de soirées mémorables qui n’auront jamais vraiment lieues. Quelqu’un m’a parlé récemment du ballon de basket imaginaire qui clôt le film, y voyant une ultime variation sur le thème de l’absence. Je n’étais pas conscient de ça, mais cette analyse m’a beaucoup plu.
Quel est l’avenir du format court-métrage d’après vous ?
Je suis un spectateur très impatient, tout à fait à l’image du monde sur-stimulé (je ne sais pas si on peut dire ça) dans lequel on vit. Je vois bien que les programmes se raccourcissent d’années en années, que les séries qui faisaient 50 minutes en font 22 et qu’on préférerait parfois qu’elles fassent 15. Au milieu de tout ça, on pourrait donc imaginer que le court métrage de fiction se fraie un chemin et s’impose comme une norme alternative. Regarder un ou deux court métrages sur une plateforme de streaming avant d’aller se coucher deviendrait alors une habitude banale et répandue. Ce n’est pas le cas encore. Sans doute on se cantonne à voir le genre comme un « laboratoire » ou un « tremplin » et non comme une fin en soi. Je n’imagine pas les choses changer à ce niveau, même si j’en serais le premier ravi.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Je dirais une BD de Brecht Evens (elles sont toutes excellentes) en écoutant Mansfield Tya (dont le dernier album vient de sortir). Le podcast de Louis CK et Blanche Gardin (Long Distance Relationship) permettra de rire en bonne compagnie avant d’aller se coucher. Les reportages de l’émission Les pieds sur Terre (France Culture) ou une interview de Thinkerview assureront un contact indispensable avec le monde réel. Le monde imaginaire quant à lui sera fourni par un abonnement OCS mensuel (sans engagement). Cela étant, ce qui a sauvé mes confinements en vérité c’est le coloriage au feutre, mes plantes, les échecs et le vin. J’ai beaucoup écrit pendant ces mois-là, donc j’avais besoin de moments pour reposer mon cerveau.
Pour voir Les mauvais garçons, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.