Breakfast avec Les vilains petits canards
Entretien avec Anton Balekdjian, réalisateur de Les vilains petits canards
Qu’aviez-vous envie d’explorer à travers le portrait de ces deux frères et de leur relation ?
Au départ, le film vient de mon histoire, d’un sentiment que je ressentais assez fort au moment où j’ai écrit le scénario. Et à partir de cette nécessité de parler de fratrie et de retrouvailles s’est construit doucement une dramaturgie. Très vite j’ai été stimulé par l’envie de faire un film de re-rencontre, un peu comme on ferait un film de remariage. Toute l’énergie du film venait de l’envie de filmer ces deux corps inversement polarisés qui soudainement s’attirent de nouveau parce que le mur entre eux s’est écroulé sans bruit. Mais ce qui était aussi important c’est que ce ne soient pas deux pôles si éloignés. Ce qui m’intéressait c’était le risque de l’indifférence entre deux frères, la possibilité qu’on s’éloigne doucement et qu’au bout d’un moment on devienne des inconnus. C’était surtout un film sur une incommunicabilité, entre eux et dans la famille. J’aimais donc que le film commence comme un film de famille mais qu’il se déporte très vite ailleurs. Que la question qui se pose, ce soit comment se re-rencontrer entre frères en dehors de ce cadre imposé. D’explorer une relation de fratrie défaite des injonctions primaires du devoir qu’on a envers les siens. En reconstruisant un autre groupe parfois, même s’il est temporaire, pour avoir le sentiment de se choisir vraiment à l’âge adulte après avoir été élevé ensemble. Et c’était aussi l’occasion de se poser la question de la tendresse dans des rapports virils et entre les individus en général. Les trois personnages principaux mènent une sorte de quête désespérée vers la tendresse, chacun.e.s à leur façon. Et ils et elles ont besoin des autres pour s’en rendre compte. Il faut que les deux frères échangent de rôle pour pouvoir se comprendre.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le personnage de Roman, à qui, en apparence, tout semble réussir ?
Quelque part, Roman est proche de moi, ou en tout cas de ma culpabilité de grand frère qui quitte le foyer. C’est aussi cette position qui me questionnait. En étant le grand frère, on se sent souvent le devoir d’être un ambassadeur de l’héritage familial. Implicitement, on nous impose une position de modèle alors qu’on ne sait même pas si on se sent exemplaire pour soi-même. C’est cette contradiction-là qui anime Roman. Il a une position de pouvoir qu’il rejette. Il démissionne parce qu’il se sent lui-même fragile et qu’il refuse d’être un relai du regard parental. Mariette Désert qui m’a accompagné dans l’écriture, insistait beaucoup sur l’idée qu’un changement de regard suffisait en tant qu’évènement central du film. L’idée du personnage de Roman c’était qu’il soit le centre des regards et qu’en changeant dans celui de son frère, il se permette enfin de changer tout court. Comme s’il attendait sa permission. Pour lui, la famille est à la fois un lieu de tension et un refuge, la matrice par laquelle il faut repasser pour pouvoir repartir du bon pied. Même si le film ne dit pas vraiment ce qu’il en sera. Il a surtout besoin de régresser dans l’échelle de valeur qu’il s’est lui-même imposé, de vivre un week-end d’adolescent. Il a quelque chose du bon élève qui a du mal à transgresser les règles. Et il a besoin de son frère pour ça. Mais le personnage est aussi beaucoup venu avec Andranic Manet, l’acteur qui l’a joué. Comme avec Ulysse Dutilloy-Liégeois et Lucile Balézeaux d’ailleurs et même Saadia Bentaïeb et Philippe Suner (les parents). Mais pour Roman il y a avait un travail de détachement de soi à faire qui a vraiment eu lieu en commençant à tourner. En rencontrant Andranic, j’ai vraiment repensé complètement le personnage. Sa maladresse, sa drôlerie, son assurance mensongère. C’est beaucoup venu de lui au cours du tournage.
Pourquoi ce titre, Les Vilains petits canards ?
Pour cette inversion des rôles qui permet enfin un partage. Et puis en les identifiant à des canards ça les rend un peu bancals tous.tes les trois. Ça leur imprime quelque chose de burlesque physiquement. Ça les désigne comme des gens qui ont du mal à trouver leur place dans le groupe et qui s’en veulent de ne pas y arriver.
Comment s’est déroulé la réalisation du film, de son écriture à la post-production ?
C’est mon film de fin d’études de la Cinéfabrique où j’ai étudié dans le département scénario. J’ai beaucoup tourné autour du pot avant d’accepter que c’était cette histoire-là qu’il fallait que j’écrive. Mais il y avait l’image insistante de deux frères et d’une copine dans un lit qui ne me quittait pas. Alors j’ai remonté le courant pour savoir ce qui les avait amenés là. Et le scénario est né comme ça. Après la première version, j’ai demandé à Jules Brisset, un ami de longue date qui fait aussi des films de m’aider à écrire. On a ré-attaqué ensemble avec l’aide de Mariette qui lisait régulièrement des versions. C’est elle qui m’a fait comprendre que la force du film résidait dans sa simplicité. Qu’il fallait laisser le sens advenir à partir de situations claires et vivantes. Le tournage a été un moment intense. Je tenais à tourner dans le quartier de mon enfance à Paris avec mes vrai.e.s ami.e.s dans l’équipe technique, parmi les acteur.ice.s, en figuration, dans des appartements que je connaissais… J’étais très travaillé par l’envie de rendre justice à toute cette histoire. Et puis j’avais envie d’une fabrication qui parte des acteur.ice.s, aux frontières de l’écriture de plateau, très en lien avec Augustin Bonnet, le chef opérateur. Je suis allé au bout de cette méthode même si ça s’est avéré parfois compliqué à tenir dans le temps imparti. Heureusement l’équipe technique et les acteur.ice.s se sont vraiment fondu.e.s dans le film. Avec César Simonot, le monteur, on s’est retrouvé confinés ensemble et on a pu monter pendant un mois et demi de manière très libre. On a fait sortir le film de certaines idées arrêtées. C’était très agréable. Et la monteuse Laure Gardette a porté un regard très encourageant sur ce qu’on faisait. On a aussi été aidé dans le rythme par la musique. J’avais en tête depuis longtemps une reprise de Vivaldi au hautbois de Gabriel Pidoux et Nikhil Sharma. On est parti de là et on a trouvé toutes les ponctuations au hautbois qui ont un rapport assez direct aux vilains petits canards en plus… Et le travail a continué au montage son et au mixage avec Léo Couture. Ça a été une vraie phase de création lors de laquelle on a encore trouvé des éléments de narration et des sentiments qui m’ont permis de finir le film.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
J’ai l’impression qu’on est dans un moment étrange où à la fois d’un côté il n’y a jamais eu autant de formes courtes sur internet et en même temps de l’autre ça se professionnalise beaucoup avec des processus proches du long métrage, des attentes d’aides, un vrai marché, une forme de carte de visite… Je crois vraiment au court et au moyen métrage comme des formes propres (que je pratique beaucoup en tant que spectateur). Et qui permettent d’aller très loin dans la simplicité. De chercher des façons radicales de faire un film. Pas forcément dans une démarche expérimentale mais même narrativement, politiquement. Ce sont des formes de cinéma qui peuvent se faire sans grands enjeux commerciaux et qui sont donc très précieuses. J’aimerais beaucoup les voir revenir plus en salle. Mais internet aussi ouvre des portes qu’il ne faut pas sous-estimer et qui permettent de casser la hiérarchie des formats.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Je penserais d’abord à ceux.elles qui n’auront pas le temps de s’ennuyer parce qu’il faut travailler ou que la situation est encore plus compliquée que d’habitude en confinement. Sinon, je prévois de revoir tout Skolimovski et Jacky Chan. Et puis continuer d’écrire les prochains.
Pour voir Les vilains petits canards, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.