Goûter avec Lokoza
Entretien avec Isabelle Mayor et Zee Ntuli, réalisateurs de Lokoza
Themba semble beaucoup plus jeune que Khanya, sa meilleure amie. Quels âges les personnages étaient-ils supposés avoir à l’écriture ? Pourquoi ce choix, était-ce une nécessité ?
La différence d’âge entre les deux personnages est totalement voulue et consciente, afin d’explorer la délicate différence entre la vision du monde selon un pré-ado et une ado. Le rôle a été spécialement écrit pour Thembalethu Mncube, l’acteur qui joue Themba. Zee Ntuli, qui est le co-réalisateur Sud-Africain, le connaissait déjà et ensemble on a construit ce rôle dans l’esprit du comédien.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la description de l’environnement de Lokoza, entre plage et raffinerie ?
La raffinerie est un décor central du film, elle représente un danger très réel et concret, autant pour les habitants aux alentours que pour l’environnement de manière générale. Tandis que nous faisions nos recherches pour le film, nous avons découvert que la pollution a causé de nombreuses infections pulmonaires graves et des cancers aux habitants de Wentworth, privés de droits civils. Le contraste frappant entre la beauté brute, naturelle, du quartier avec ses plages, face à la structure monstrueuse, destructive et artificielle, nous intéressait pour créer un fort symbolisme visuel qui est crucial au film.
Lokoza pose la question de la confiance, en soi-même, en nos rêves, envers les autres, envers Dieu… Pourquoi avez-vous choisi ce sujet et pensez-vous le traiter à nouveau dans de prochains films ?
Oui. Nous voulons tous deux réaliser des films qui sont très liés au territoire et au contexte. Dans l’époque actuelle post-Apartheid en Afrique du Sud, la confiance est une question cruciale. C’est un pays qui porte encore les cicatrices de la trahison. Le régime d’oppression y a fait germer une méfiance entre les frontières ethniques aussi bien que dans les relations personnelles. Le film explore les effets résiduels de ce système, les marques du passé. La colère, la confiance et l’espoir sont autant d’éléments vitaux à cette question.
Comment avez-vous travaillé la lumière et les couleurs ?
L’approche visuelle du film a été construite sur l’idée de lumière naturelle. Pour la plus grande partie du film, nous avons juste utilisé l’éclairage pré-existant sur les lieux de tournage. Les lampes à vapeur de sodium des rues, les ampoules fluorescentes, aussi bien que les projecteurs halogènes pour la sécurité, combinent et créent une atmosphère et un design presque maladifs naturellement. Notre travail a été de souligner cet effet impactant et d’appuyer l’ambiance générale du film, tout en restant fidèles à la réalité du lieu.
Pourquoi étiez-vous intéressés par le personnage du père de Thema et pourquoi toutes leurs conversations devaient-elles tourner sur le corps du père, mais jamais sur celui de Themba ?
Le personnage du père de Themba symbolise les cicatrices du passé sud-africain. Ses brûlures sont devenues une facette essentielle de son identité. Comme Themba commence à porter ses propres cicatrices, il fait un effort volontaire pour masquer sa souffrance devant tous ceux qui sont autour de lui. Y compris son père.
Dans Lokoza, vous abordez aussi la question de la violence, physique ou psychologique, dans les rapports humains et l’intimité, vouliez-vous, de fait, aussi aborder cette question ou était-elle simplement nécessaire à l’histoire ?
La violence physique et psychologique que l’on voit dans le film est à l’image de la réalité hostile du lieu. Le quartier dépeint dans le film est à regret cet endroit incertain. Nous avons sciemment choisi de ne pas écarter cette réalité. Cette violence est aussi un moyen de placer la jeunesse de Themba et son idéalisme, sous une menace. Pour aimer la lumière, il faut connaître l’obscurité.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Nous avons tous deux vu de nombreux films qui nous ont influencés en tant que réalisateurs. Exposer pleinement tous ces films formidables serait un effort interminable. L’an dernier, alors qu’on tournait le film, il y avait Victoria de Sebastian Schipper et L’étreinte du serpent de Ciro Guerra que nous avons tous deux réellement aimés. Ça nous semble avoir plus de sens de les mentionner, puisque durant notre processus créatif pour Lokoza nous avons partagé ces thématiques communes et qu’elles ont résonné en nous à la fois comme réalisateurs et comme individus.
Si vous êtes déjà venus, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Le court métrage de Zee, Bomlambo, avait été sélectionné en 2011 mais il n’avait pas eu la chance de venir car il était encore à l’école. Isabelle est d’abord venue en spectatrice en 2010 et c’est ainsi que tout a commencé pour elle, car elle y a rencontré Fabienne Aguado, la directrice des résidences d’écriture du Moulin d’Andé. Elle a participé au concours de jeunes réalisateurs qui est organisé par le Département de l’Eure. Et elle a été sélectionnée, ça a été le tout début de sa carrière.
D’autres projections prévues ?
Oui, au Festival du Film de Hong Kong HKIFF et en Italie pour le Filmcaravan.
Le film a déjà tourné. La première a été faite pour la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Ensuite, il a gagné le Prix du Festival Cinébanlieue de la Télévision Française et a aussi été sélectionné pour Winterthur Kurtzfilmtage, Journées de Soleure…
Participerez-vous à d’autres événements durant le Festival ? (Espressos, conférences, etc. ?)
Isabelle : Oui, j’en ferai autant que possible. Je vais rencontrer des professionnels pour préparer le prochain court, Or blanc (White gold) qui traite aussi d’une question liée au réchauffement climatique de manière poétique et symbolique, à travers l’imaginaire d’un enfant.
Pour voir Lokoza, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F2.