Goûter avec Martin est tombé d’un toit
Entretien avec Matías Ganz, réalisateur de Martin est tombé d’un toit
Comment avez-vous eu l’inspiration pour Martin est tombé d’un toit ?
J’ai imaginé l’histoire de Martin est tombé d’un toit après avoir lu dans la presse une enquête édifiante sur les cas d’ouvriers du bâtiment qui engageaient des poursuites contre leur patron après des accidents de travail. La totalité de ces affaires avaient été classées sans suite. Dans ce genre de cas, il est toujours difficile de démêler le vrai du faux. Employé, employeur, familles, amis, collègues, chacun a sa propre vision de l’affaire et se met à défendre ses intérêts. Dans un contexte professionnel où s’exercent des rapports de domination, la justice doit décider, avec toujours une part d’arbitraire et parfois d’absurde. C’est cette absurdité justement, qui m’a intéressé et que j’ai souhaité explorer à travers mon film. Constamment, Martin est tombé d’un toit cherche à souligner la banale bizarrerie du quotidien.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la question des doutes au sein du couple Martin-Jeanne ?
Martin cache quelque chose tout au long de l’histoire, mais il ne le cache pas seulement à Jeanne, il le cache à lui-même. Il ne sait pas pourquoi il est tombé, ni si ce qui s’est réellement passé, c’est qu’il a sauté. Il ne peut donc pas dire à Jeanne quelque chose sur lui-même qu’il ne sait pas encore. J’étais intéressé à explorer les choses que nous ne savons pas sur nos couples, mais peut-être que nous ne savons pas non plus sur nous-mêmes.
Pourquoi ne vouliez-vous pas donner à voir leur personnalité, leurs relations avec leurs proches, leurs goûts musicaux ou leurs loisirs ?
Quand j’ai écrit ce court métrage, j’ai voulu faire un exercice d’austérité à plusieurs niveaux, du scénario à la mise en scène. En ce qui concerne les personnages, l’idée était de chercher une « transparence » dans laquelle le public pourrait mettre plus d’eux-mêmes. Le principe était d’explorer à quel point le développement de l’histoire et les sentiments des personnages changent vraiment s’ils aiment Black Sabbath ou Manu Chao, ou si, au fond, ils ne sont pas les mêmes. Quoi qu’il en soit, nous savons qu’ils aiment regarder des émissions de remodelage et il y a des détails qui impliquent qu’ils aiment le football, mais je ne pense pas que cela en dit beaucoup sur eux et c’est l’idée.
Comment avez-vous travaillé sur les longueurs des séquences et la musique et construit le rythme du film ?
Dès le début, j’ai voulu que la narration ait un rythme lent et « maladroit », qui enlèverait la solennité mais en même temps véhiculerait une certaine instabilité. Rien ne coule dans la vie de ces personnages. Sur la musique, il y avait deux éléments clés à garder en tête pendant la composition : d’une part, le film s’appuie sur un humour absurde en décalage avec le ton mélodramatique de plusieurs de ses scènes ; d’autre part, c’est un film français mais dont le réalisateur est uruguayen. L’idée vers laquelle ce double constat nous a emmené fut de recourir au tango, la danse mélodramatique par excellence en Argentine et en Uruguay, loin d’être inconnue du public français. Mais que ce tango soit également adaptée à une esthétique moderne, dissonant et instable.
Peut-on parler « d’effet roman-photo » dans vos choix de cadrages et de rythme ? Quel est votre regard sur ces œuvres ?
Il est intéressant de noter que le court vous a donné la sensation d’un roman-photo, un format que je ne considère pas consciemment en pensant à cette histoire, mais qui faisait partie des premiers exercices que j’ai fait comme adolescent quand j’ai commencé à vouloir raconter des histoires avec des images, évidemment influencé par La Jetée. À l’image, le cadre se veut volontairement distant des personnages afin de générer une certaine neutralité, une sorte d’anti- dramatisation au tempo maladroit, faite de silences, de regards étranges. Si la chute de Martin est le point de départ de mon histoire, je n’y accorde pas plus d’importance qu’aux autres problèmes du couple. Je veux que les conflits ne soient pas perçus comme des drames mais comme des embûches de la vie quotidienne. Cette dédramatisation participe aussi du ton comique de l’histoire. Via l’usage de plans fixes et longs, les visages des personnages et leurs silences expriment bien plus de choses que n’importe quel dialogue. Ainsi, les actions et les mouvements sont concis et le jeu, neutre. Jusqu’au bout, les protagonistes se veulent énigmatiques, ne se révélant au spectateur qu’à travers leurs actions.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Le court métrage est généralement pris comme une étape préalable au long métrage dans la carrière des réalisateurs, une sorte de terrain d’entraînement. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette conception. De plus, j’ai réalisé ce court métrage après avoir tourné mon premier long métrage de fiction. Je pense que les bonnes histoires n’ont pas de durée spécifique, ce qui n’est pas discuté dans la littérature par exemple. L’avènement du streaming, avec tous les inconvénients qu’il présente par rapport au cinéma, peut être l’occasion pour les courts métrages de créer plus d’espaces pour se rapprocher du public.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Je vis en Uruguay, où, heureusement, la pandémie a été beaucoup moins grave ici qu’en Europe et où nous n’avons pas été confinés pour l’instant. Mais si je dois recommander quelque chose pour faire face à ces moments difficiles, on m’a dit qu’il y a un festival du court métrage français qui peut être vu en streaming, et qu’il dispose d’une très bonne sélection nationale et internationale, plus un court métrage sur les ouvriers et les chutes qui a réussi à se faufiler dans la sélection qui sait comment.
Pour voir Martin est tombé d’un toit, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.