Lunch avec Masire Moshtarak (Un bout de route ensemble)
Entretien avec Negar Naghavi, réalisatrice de Masire Moshtarak (Un bout de route ensemble)
Pourquoi avez décidé de raconter cette histoire ?
Pour ma première version, j’avais en tête de montrer la relation entre les deux enfants, incapables de communiquer avec une langue commune, mais qui finissent par devenir amis. Mais ce n’était pas une idée assez travaillée. Au fil du temps, différents aspects de cette relation ont commencé à m’interpeler, et ce n’est que lors des différentes réécritures, que j’ai eu une illumination et que j’ai pu développer mon idée initiale. Pour moi, le fait que des enfants puissent vivre dans un lieu sûr qu’ils peuvent considérer comme leur foyer est essentiel. Or, étant donné la situation actuelle, les jeunes enfants afghans sont en première ligne et risquent un grand danger. Je me demande à quoi ils pensent le soir en essayant de trouver le sommeil. J’ai été profondément touchée par le fait que ces enfants puissent être victime de racisme : un enfant ne peut pas oublier un regard. Ce racisme menace encore davantage ces enfants : ils baissent les bras et renoncent à la gaieté, à l’amitié et à mener une vie épanouie. Comme ils sont Afghans, ils deviennent convaincus qu’ils ne sont pas suffisamment forts. C’était pour moi un véritable défi de tordre le cou à cette horrible vision : ces enfants sont forts, tous les enfants le sont. C’est pour cette raison qu’à la fin du film, lorsqu’au matin ils font route commune alors qu’ils ont eu une nuit compliquée et reprennent ainsi le contrôle de leur vie, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer devant ce refus d’abandonner. C’était mon objectif avec ce film, c’était ce que je voulais montrer.
Certains dialogues sont en persan, tandis que d’autres sont en azéri. Le fait de ne pas réussir à se faire comprendre ou de ne pas comprendre les autres est au cœur du film. Avez-vous vécu ce genre d’expériences et ressenti le besoin d’écrire à ce sujet ?
Je suis née en Azerbaïdjan oriental, une province iranienne. L’azéri est ma langue maternelle, et quand j’étais enfant, j’ai toujours rencontré des difficultés pour parler azéri à la maison et farsi à l’école. Je me mélangeais en permanence. En dehors de ça, les langues sont notre premier moyen de communiquer. Mais nous ne les avons pas tous apprises de la même manière et elles deviennent alors un miroir de nous-mêmes qui reflète ce parcours. Ces langues, ces outils, ont la capacité de nous diviser, mais aussi de nous rassembler.
Le jeune Farhad Esmaeili joue le rôle principal, celui du petit garçon. Comment l’avez-vous rencontré ?
Je le voyais presque tous les jours, dans une station du métro de Téhéran où il avait l’habitude de vendre quelques produits. Il était adorable, il savait comment bien parler, et nous sommes donc devenus amis. Nous échangions presque tous les jours. Quand je lui ai demandé s’il voulait devenir acteur, il m’a dit qu’il était vraiment motivé. Plus tard, alors que j’écrivais le scénario, je ne voyais personne d’autre pour jouer ce rôle. J’ai vraiment eu de la chance de le rencontrer et qu’il accepte de jouer dans le film.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Non, je n’en ai aucun qui me vient à l’esprit.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Un bon film est un film qui nous permet de nous confronter avec un sentiment vital, de lumière et d’obscurité, même si cela ne dure que quelques secondes. Un bon film est comme une prière : parfois puissant, parfois silencieux, mais toujours humain et vrai.
Pour voir Masire Moshtarak (Un bout de route ensemble), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I8.