Breakfast avec Ogurtsy (Concombres)
Entretien avec Leonid Shmelkov, réalisateur d’Ogurtsy (Concombres)
Pourquoi faire le portrait d’un photographe du monde de la mode et du luxe ?
Pour moi ça n’avait pas d’importance que ce soit spécifiquement un photographe, ou un réalisateur, ou un artiste conceptuel. J’avais juste besoin de quelqu’un d’un milieu renommé, qui y travaille et qui en dépende. J’ai plusieurs amis qui travaillent dans la photographie, et en parlant avec eux il m’a semblé qu’un photographe connu était ce qu’il fallait à mon film.
Comment vous est venue l’idée des concombres obsédants ?
C’était la première idée, et j’ai conçu tout le reste en fonction d’eux. Ça colle bien à l’image d’une personne en crise, quand elle se met à regarder différemment tout ce qu’elle a pu produire auparavant. Et le vrai et le faux ne se démêlent pas clairement. Peut-être qu’il n’a jamais rien fait d’autre que des concombres et qu’il n’y avait simplement pas prêté attention jusqu’ici. En fait, au tout début du développement, ce n’était pas des concombres mais des pénis. Mais il m’est apparu que passer des mois à dessiner des pénis ne me plaisait pas autant que les concombres.
Vous êtes-vous soucié de questionner les modèles de la masculinité ?
Oui, ce sujet m’intéresse beaucoup. C’est un sujet pertinent dans le monde moderne, et il mérite d’être traité plus longuement dans un format différent. J’ai juste essayé d’observer un peu mon personnage, et la question s’est posée d’elle-même : quel modèle de masculinité peut être généralement mis en valeur, et satisfaire celui qui cherche à s’y conformer ? À mon sens, le problème est que ces modèles ne sont pas permanents. Il y a le super modèle des médias, et dans nos têtes, le modèle que nous ont légué nos parents. Et le conflit est fatal. Souvent ils entrent en collision dans nos esprits.
En tant qu’artiste, avez-vous déjà ressenti la nécessité de choisir entre faire carrière et s’installer dans une relation à long terme ?
Oui, je connais et je ressens ça, en regardant mes amis. C’est compliqué, c’est même assez difficile de généraliser. Tout le monde est différent. Parfois on dirait que ça ne devrait pas causer de problèmes, nos vies se composent de différentes parties. Mais dans les faits tout s’entremêle en permanence. Et souvent on sera amené à choisir l’un ou l’autre, mais le souci c’est que d’une façon ou d’une autre, ça n’ira pas, on sera malheureux. Et chaque fois on essaiera de faire en sorte qu’il y ait les deux, parce qu’on a besoin des deux, mais ils se contredisent. C’est triste. Je connais des gens qui souffrent toute leur vie à cause de ce choix, un boulot ou une relation, selon les années. Et il me semble que la vie n’est pas assez longue pour trouver le juste équilibre. À l’origine, mon film était censé parler du travail, d’une carrière, d’une crise. Et, en quelque sorte par accident, peut-être par intuition, en développant l’histoire, une partie qui évoquait la vie personnelle du héros s’y est intégrée. Je me suis soudain rendu compte que ça n’avait aucun sens de traiter le sujet séparément : les deux sont étroitement mêlés.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Non, pas ces dernières années. Je regarde plus de films que d’animations en ce moment. Maintenant ce qui m’enthousiasme, c’est mon propre long métrage d’animation, que j’ai démarré il y a deux ans et pour lequel j’ai reçu des financements. J’espère le finir en 2023.
Selon vous, qu’est-ce qu’un bon film ?
J’aime les films qui jouent autant sur mon cerveau que sur mes sens. Ça me plaît quand l’esthétique et le propos vont de pair, et quand l’aspect visuel devient une partie du propos, et vice versa, les idées et les significations qui se trouvent leurs propres images, leur propre rythme. J’aime les films qui me donnent envie d’en parler après, et parler non de leur conception, mais des sujets qu’ils évoquent. Pour moi, l’art est l’étude de la vie des gens. Un peu comme la science, mais d’une manière différente. Et s’il n’y a pas de recherche dans le film, ou si cette recherche est stupide, primitive, fausse, guidée par le désir de faire quelque chose qui plaise à tout le monde, ça ne m’intéressera pas de le regarder. J’aime les films complexes et sincères.
Pour voir Ogurtsy (Concombres), rendez-vous aux séances de la compétition labo L4.