Dernier verre avec Partir un jour
Entretien avec Amélie Bonnin, réalisatrice de Partir un jour
D’où vous est venue l’idée du personnage de Julien ? Pourquoi la Normandie ?
L’idée est simplement d’un ressenti personnel, celui que j’ai d’être partie de l’endroit où j’ai grandi, et d’avoir toujours cette sensation ambiguë chaque fois que je reviens. Je me dis à la fois que je ne pourrais plus jamais y vivre, que je n’en ai pas du tout envie, et en même temps j’ai besoin d’y revenir régulièrement pour me sentir bien. Et puis il y a ce fantasme aussi de l’autre vie possible. Celle qu’on aurait eu si on était resté… et cette question : celles et ceux qui restent, où en sont-ils·elles ? Que sont-ils·elles devenu·es ? Est-ce qu’on a une chance de recroiser son amour de maternelle en accompagnant ses parents au même supermarché que celui où on allait quand on habitait encore là ? Il y a ce passage que j’aime beaucoup dans L’Horizon de Patrick Modiano qui dit « Il avait toujours imaginé qu’il pourrait retrouver au fond de certains quartiers les personnes qu’il avait rencontrées dans sa jeunesse, avec leur âge et leur allure d’autrefois. » C’est quelque chose qui m’a marquée parce que je me reconnais dans cette nostalgie, et dans cette idée un peu magique que revenir où on a grandi pourrait agir comme un retour dans le temps. Quant à la Normandie en réalité c’est un hasard… il se trouve que c’est la région qui la première a aimé le projet et a eu envie de le soutenir. Mais j’aimais cette idée que l’on ne soit pas loin de Paris. Que « la grande ville » soit accessible en quelques heures en voiture ou en train, et que pourtant quand on y vit, « la capitale » semble être un tout autre monde.
La musique et le chant jouent un rôle important. Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix des chansons ?
Le choix du type de chansons était une évidence dès le départ. Les chansons du film sont des tubes populaires des années 90. Elles correspondent à ce qu’écoutait Julien quand il vivait là. Elles agissent vraiment comme des souvenirs qui lui reviennent alors qu’il retrouve ces lieux qu’il n’a pas arpentés depuis longtemps. C’est comme une replongée en adolescence. Pour qu’elles puissent porter cette émotion-là, il fallait que les spectatrices et spectateurs puissent aussi ressentir cet effet madeleine de Proust sur l’un ou l’autre des titres, ou même tous ! Les hits populaires ont ce pouvoir-là, de réunir les gens, d’être vecteurs de souvenirs communs.
Comment s’est déroulé le casting ?
J’ai immédiatement pensé à Juliette (Armanet) pour le rôle de Caroline. Je l’avais croisée quelques années auparavant et elle avait un côté gouailleur, un franc-parler qui m’avait marquée. Je la trouvais frondeuse, drôle, ça lui donnait quelque chose de très sexy. C’est exactement ce que j’imaginais pour le personnage. Pour Julien je n’avais pas d’idée préconçue. Ce sont mes producteurs qui m’ont parlé de Bastien (Bouillon). On a pris un café et j’ai été emballée. Il y a une originalité dans son attitude, sa diction… il se dégage de lui, dans la façon dont il s’exprime et dont il joue avec son corps, une vraie singularité. On a fait une lecture tous les trois. Il s’agissait de voir si l’osmose que j’avais pressentie en les rencontrant séparément fonctionnait. Cette lecture a été un moment très marquant pour moi, dans le processus de fabrication du film. Il s’est vraiment passé quelque chose, c’est-à-dire que je crois que tous les trois on s’est dit à ce moment-là que ça marchait grave, que ça allait le faire. Quand ils se croisent dans le film, les personnages ne se sont pas vus depuis des années mais ils se connaissent et la complicité entre eux doit être palpable sans que l’on ait besoin de l’expliciter. Juliette et Bastien avaient ça.
Qu’aimez-vous explorer comme sujets et formes en tant que cinéaste ?
C’est un peu tôt pour le dire car il s’agit de mon premier film de fiction, mais dans les différents projets que j’ai pu mener jusqu’ici (documentaire, podcast…) l’idée du retour, de la transmission d’une génération à une autre, de la famille, de l’amour sont des thèmes récurrents. Quant à la forme je crois que je l’aime libre, quelle qu’elle soit.
Sur quoi aimeriez-vous vous pencher dans l’année à venir ?
Je travaille actuellement à l’écriture d’un long métrage adapté de Partir un jour avec Dimitri Lucas mon coscénariste. Il y a aussi une série que j’ai envie d’écrire sur une jeune femme qui retournerait vivre dans son village natal (décidément…) et je m’apprête à réaliser la saison 3 de la série MENTAL pour France TV Slash. J’ai des envies d’adaptations… Les idées ne manquent pas, il va falloir trouver le temps de les mettre en pratique.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Il y a un court métrage qui m’avait beaucoup marquée oui il y a quelques années. Il s’appelle La Femme de Rio et il est réalisé par Emma Luchini, co-écrit avec Nicolas Rey. Ce sont deux personnes qui se rencontrent et qui décident de vivre leur histoire d’amour en une seule nuit, avec toute l’intensité qu’aurait une histoire qui aurait duré toute une vie. C’est à la fois poignant et drôle, réaliste et poétique… C’est très beau.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Haha vaste question… Je crois qu’un bon film est un film qui touche les gens. Qui vient bouger quelque chose chez eux. Exacerber un sentiment quel qu’il soit. Quelque chose qui nous rappelle que l’on est vivant·es.
Pour voir Partir un jour, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11.