Lunch avec Paydos (Rupture)
Entretien avec Öykü Orhan, réalisatrice de Paydos (Rupture)
Qu’est ce qui vous a attirée vers l’histoire de cette mère ayant des difficultés à subvenir aux besoins de sa famille ?
Avant tout, je suis ravie que Paydos soit présenté au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. C’est un film très important pour moi : c’est ma première réalisation. L’histoire de Zeliha s’inspire d’une histoire vraie. Si j’ai voulu réaliser ce film, c’est parce que la dialectique de la vie se retrouvait dans le monde Zeliha. C’était limpide. La douleur et l’espoir sont les deux faces d’une même pièce et se répondent l’un l’autre dans sa vie. L’amour inconditionnel dont fait preuve Zeliha en est un bon exemple. J’ai pensé que ce serait intéressant de montrer ces émotions contradictoires au cinéma donc j’ai recréé l’histoire de Zeliha selon cette dialectique. Elle travaille tout le temps, que ce soit à l’usine ou chez elle : elle utilise sa force de travail à l’usine mais aussi avec ses enfants une fois à la maison. J’ai voulu essayer de répondre à la question : « D’où lui vient cette force ? ». À la fin de la journée, une fois son travail terminé, Zeliha ne s’arrête pas : elle commence une deuxième journée à la maison, avec sa famille. D’où vient le pouvoir des femmes ? Zeliha répond à la question : l’amour inconditionnel. Zeliha a aussi perdu son odeur à cause de son travail : l’odeur de l’essence lui colle à la peau. Même si l’essence n’est pas une odeur agréable, pour ses enfants c’est l’odeur de leur maman, et par extension de l’amour. Elle est artificielle, créée par le système capitaliste, mais les enfants font de la résistance et ont une perception positive de cette odeur.
Pourquoi est-il important de raconter cette histoire dans notre société actuelle ?
Il s’agit d’une histoire vraie, qui s’est déroulée en Turquie. Mais l’amour ne se limite pas à une seule communauté : elle appartient à toutes les créatures présentes sur Terre. Je pense donc que ses émotions et sa situation sont universelles, et qu’elles valent le coup d’être racontées. Je sais aussi que de nombreuses femmes ressemblent à Zeliha.
Comment se sont passés le casting et la direction des acteurs ?
Paydos a été une excellente école d’apprentissage. J’ai appris énormément de choses à propos de la réalisation. Pour ce qui est de la relation avec les acteurs et les actrices, il y avait une énergie très saine entre Reyhan Özdilek, l’actrice principale, et moi. Cela m’a mis dans des conditions favorables pour la diriger. J’adore les enfants, donc je n’ai pas eu de difficultés pour communiquer avec les jeunes acteurs. J’ai aussi remarqué que mes décisions sur le plateau étaient déterminées par mes sentiments au moment des prises. Par exemple, lorsque j’échangeais avec les acteurs, j’essayais de me mettre à la place des personnages.
Quelle réaction attendez-vous de la part du public ? Aviez-vous un public cible en tête lorsque vous avez écrit le scénario ?
Je reçois des commentaires très positifs à propos de Paydos, cela me fait très plaisir. Le cinéma est un excellent moyen de communication qui vous permet de toucher profondément des personnes que vous ne connaissez même pas. Au 15e Workers Film Festival en Turquie, j’ai reçu un commentaire très positif de la part d’un homme dont la mère travaillait dans une usine de tabac. Il m’a dit que sa mère sentait toujours le tabac, et que le film lui avait rappelé son enfance et sa mère. Paydos s’adresse essentiellement à la classe ouvrière, il porte la voix des travailleurs, des ouvriers et des mères de famille. Paydos est leur dénominateur commun. Les membres des classes plus aisées seront peut-être agacés devant Paydos mais j’ai envie qu’ils le voient quand même. Pour que le monde change, il faut qu’ils soient mal à l’aise.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je ne sais pas ce que le futur réserve aux courts métrages, mais leur importance n’a cessé de grandir ces dernières années. Ils ouvrent la porte sur un autre monde. Parfois, réaliser un court métrage se révèle plus compliqué que de réaliser un long métrage car les réalisateurs cherchent à écrire un poème avec des plans. Les courts métrages sont souvent des images qui se succèdent et constituent un poème. C’est ce qui les différencie des autres formats.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
C’est l’espoir qui nous permet de continuer à vivre. J’espère que le futur nous apportera la santé, la sérénité, la paix et la fin de l’exploitation. Pendant la pandémie, beaucoup ont dû lutter pour leur survie à travers le monde. D’abord, je pense qu’il faut garder espoir pour le futur de l’humanité : cela nous rend plus forts, et nous permet de rêver. Ensuite, il est nécessaire de rencontrer quelques difficultés pour que nos rêves se réalisent. En tant que réalisatrice, ce sont les âmes humaines qui m’inspirent, puis les livres et les films qui me permettent de me divertir.
Pour voir Paydos (Rupture), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I4.