Goûter avec Sestre (Soeurs)
Entretien avec Katarina Rešek, réalisatrice de Sestre (Soeurs)
Comment présenteriez-vous Sestre à quelqu’un qui ne l’aurait pas encore vu ?
Sestre est l’histoire de trois jeunes « virđinas » (vierges jurées) des temps modernes, des garçons manqués qui vivent dans la Slovénie moderne, en suivant un ensemble de règles rigides qu’ils se sont créées. Ce sont des enfants d’immigrants de l’ex-Yougoslavie qui ont grandi dans des familles assez traditionnelles et patriarcales, mais qui ne peuvent accepter le rôle qu’on leur a assigné. Elles se battent contre les gars du quartier, portent des vêtements amples, font du kickboxing, ne boivent pas, ne prennent pas de drogues et ne veulent pas paraître féminines. Un jour, alors que les choses s’enveniment, elles sont sauvées par Fantasy, une femme en devenir, pour ainsi dire.
Qu’est-ce qui vous a amené à réaliser ce film qui parle de ce « gang » de filles, de sororité, et de violence ?
Le film a été inspiré par mon enfance et la petite ville d’où je viens. L’ex-Yougoslavie et les Balkans sont des sociétés très complexes composées de nations, de religions et de mentalités variées mais toutes marquées par un profond patriarcat. La tradition des « Virđinas », ou vierges jurées, est un phénomène venu des Balkans : lorsqu’il n’y avait pas de fils nés dans une famille ou lorsque les hommes avaient tous été tués dans le cadre d’une vendetta, l’une des filles était choisie pour vivre comme un homme. On lui donnait un nom masculin, on lui coupait les cheveux, on l’habillait comme un homme et elle devait faire un travail d’homme. Parfois, les virđinas cessaient même d’être réglées. Cette tradition m’a beaucoup inspirée et une question est apparue dans ma tête : les virđinas sont-elles transgenres ? Dans les Balkans, l’homophobie et la transphobie sont très répandues et ça me semblait être un contraste vraiment intéressant, un paradoxe même. Et puis j’ai poussé cette idée encore plus loin : que se passerait-il si une virđina et une femme transgenre se rencontraient ? C’est comme ça que Sestre est né. Pour moi, la sororité et l’ensemble des règles qu’elles se sont créées sont une sorte de mécanisme d’adaptation qui leur permet d’affronter un monde qui n’accepte qu’une seule version de la femme. La violence, elle, m’intrigue beaucoup parce que j’ai grandi entourée par elle. Je suis parfois effrayée par son côté familier mais, en même temps, ça m’intrigue encore plus. Ce besoin de se violenter soi-même et les autres, c’est un thème vraiment intéressant et bien sûr difficile à explorer. Mais nous devons le faire si nous voulons aller au-delà. Le seul moyen de s’en sortir est de passer au travers.
Selon vous, quelle est l’importance des dialogues pour le développement des personnages ?
Les dialogues sont essentiels pour moi en termes d’écriture, j’écris comme j’entends les personnages parler dans ma tête. Lorsque je réalise un film, je veux que les dialogues soient naturels. Pas qu’ils semblent naturels mais qu’ils le soient effectivement. C’est pourquoi je laisse les acteurs improviser à partir de mes directions et voir où les mènent les personnages qu’ils portent en eux. Tout est affaire d’exploration, je me rends compte qu’il y a encore plus à découvrir sous la surface et je veux faire ressortir cela également dans les dialogues.
Comment se sont passés le casting et la direction de vos acteurs ?
Ça a été magique. C’est vraiment ce qui décrit le mieux l’ensemble du processus. Tout était très naturel et j’ai vraiment eu le sentiment que les bonnes personnes avaient croisé notre chemin au bon moment. Pour chacun des acteurs et actrices, j’ai tout de suite su que c’était la bonne personne, je pouvais vraiment le sentir. Les ressemblances entre eux et les personnages étaient impressionnantes, parfois j’ai été choquée de constater que leurs histoires et leurs parcours étaient si semblables à ceux des personnages que j’avais imaginés. Il n’y a qu’une seule actrice professionnelle dans Sestre, tous les autres étaient pour la première fois devant la caméra et seule l’actrice a reçu le script. Personne d’autre ne l’a eu et c’était vraiment émouvant de voir tout le monde découvrir le film fini et rassembler enfin toutes les pièces du puzzle. La partie principale était les répétitions, qui n’étaient d’ailleurs pas vraiment des répétitions mais plutôt des moments passés à mieux se connaître : passer du temps ensemble, parler, écouter de la musique, danser, passer du temps sur le lieu de tournage, partager des choses, d’une certaine manière devenir une famille, vivre la sororité. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble et nous nous sommes vraiment pris d’affection les uns pour les autres. Même si j’avais une vision assez précise du film et des personnages dans ma tête, je voulais leur permettre de le « co-créer » avec moi et de mettre en avant leur potentiel. J’ai été étonnée par l’ouverture d’esprit de l’équipe et la confiance qu’ils m’ont témoignée, je leur en suis vraiment reconnaissante. Par exemple, Tin qui joue Fantasy, est effectivement une femme transgenre, en cours de transition, donc on aurait pu s’inquiéter de la façon dont les garçons, qui viennent d’un monde plus hétéronormatif, allaient l’accepter mais ça n’a jamais été un sujet. C’était beau de réaliser, à un moment, que nous étions tous dans la même pièce, tant de personnes différentes, issues d’horizons différents, mais sans aucune croyance limitante ou préjugé. Quand j’ai ressenti ça, j’ai su que nous étions en train de faire quelque chose d’honnête et de puissant.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je n’aime pas jouer les devins et prédire l’avenir car il est très incertain et toujours en train de changer, mais je pense que la forme courte est la forme du moment présent. Je vois un gros potentiel pour une fusion, une sorte d’hybride entre clip musical et film de fiction, et j’aimerais vraiment voir et faire plus de choses de ce genre. Et puis, les réseaux sociaux entrent de plus en plus dans la sphère du court métrage avec différentes applications, et il me semble que ça pourrait être un domaine intéressant à explorer.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Des livres, des livres, des livres et des films, et aussi le moins d’Internet possible. Et puis, sortez en forêt, observez. Écoutez. Allongez-vous dans l’herbe, regardez le ciel. Est-ce que ça n’est pas magnifique ?
Pour voir Sestre (Soeurs) rendez-vous aux séances I8 de la compétition internationale.