Dernier verre avec Smoke Gets in Your Eyes (La Fumée pique les yeux)
Entretien avec Alvin Lee, réalisateur de Smoke Gets in Your Eyes (La Fumée pique les yeux)
D’où vous est venue l’idée du film ?
Du souvenir cumulé de toutes les veillées funèbres auxquelles j’ai pu assister. Je me suis rendu compte que de nos jours les cérémonies n’ont pas grand-chose à voir avec la personne décédée. À Singapour, on voit souvent les membres de la famille et les proches bavarder avec insouciance, parler affaires, boire de l’alcool, voire même faire des jeux d’argent plutôt que d’honorer la mémoire du trépassé. Certaines personnes dépensent même des sommes faramineuses pour de somptueuses funérailles, mais je ne peux m’empêcher de me demander s’il s’agit là vraiment du défunt ou seulement de préserver les apparences pour les vivants.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les problèmes entourant la crémation, en préciser le contexte culturel ?
Singapour est toujours confrontée à la pénurie de terres, et ce problème a conduit au choix de la crémation et de la conservation des urnes en columbariums en remplacement de la mise en terre. Incinérer un corps à la place d’un autre est assez rare, mais c’est déjà arrivé dans différentes parties du monde. Dans des funérailles traditionnelles chinoises à Singapour, la famille du défunt organisent en général une cérémonie funèbre de plusieurs jours pour rendre hommage au décédé. C’est souvent un grand chahut, comme d’assister à un carnaval dont la crémation ferait office de clôture. Les gens sont prompts au jugement durant les funérailles. Si l’on ne manifeste pas haut et fort sa tristesse ou son émotion, les autres critiqueront votre manque d’empathie ou votre insensibilité. Par conséquent, la plupart se comporte d’une certaine manière juste pour se conformer aux attentes et aux jugements de l’entourage et de la société.
Que souhaiteriez-vous que le public retienne du film ?
C’est une comédie noire, dans le sens où elle montre l’absurdité des pratiques funéraires et l’hypocrisie humaine sur un ton léger. J’espère que les gens riront pendant la projection, mais aussi qu’ils pourront après y trouver une résonance ou en apprécier le réalisme sur le fond. J’espère aussi que les gens veilleront à prendre des décisions ou à faire les choses selon ce qui leur paraît juste en leur cœur, et non selon ce que les autres perçoivent. Il y a beaucoup de choses dans ce monde qui sont plus importantes que l’argent ou le statut social. Il faut vivre pour soi-même et sa famille, car le temps dont nous disposons sur terre est bref.
Quel est votre parcours en tant que cinéaste ?
J’ai fait mon premier film pendant mes études en médias numériques à l’école polytechnique de Singapour. Au bout de mes deux ans de service militaire obligatoire, j’ai décidé de poursuivre mes études à l’académie du cinéma de Pékin, section Réalisation. Après quatre ans passés en Chine, je viens de rentrer à Singapour. Je dis souvent en plaisantant que je ne servirais pas à grand-chose si je ne pouvais pas faire de films, car je ne sais rien faire d’autre !
Quelles sont vos inspirations cinématographiques ?
Yasujiro Ozu, Ang Lee, Alejandro González Iñárritu. La sensibilité et la puissance d’évocation d’émotions et de sentiments dans leurs films me touchent de manière très durable.
Quel est votre court métrage de référence ?
Skin (2018, Oscar du meilleur court-métrage) de Guy Nattiv. La fin m’a époustouflé.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Un rêve qui se réalise ! Ça a toujours été un de mes petits fantasmes, de voir mon film sélectionné et projeté à Clermont-Ferrand. J’en suis reconnaissant à vie, et il me tarde d’y être !
Pour voir Smoke Gets in Your Eyes (La Fumée pique les yeux), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I1.