Entretien avec Pablo Giles, réalisateur de Bisho

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’aborder la relation de Susana et Emilio à travers le prisme du chien qui aboie ?
J’ai un lien très particulier avec les chiens : j’en ai toujours eu autour de moi et j’adore leur compagnie. L’idée m’est venue immédiatement : j’ai pensé qu’un chien qui aboie apporterait beaucoup de couleurs à l’histoire. Cela faisait sens à de nombreux niveaux : c’est une métaphore du couple et de leur manque de communication et c’est une bombe à retardement. Mais c’est aussi un élément qui nous a aidés à établir des connexions dans le scénario. Enfin, c’est un appel à l’aide, similaire à celui que leur relation vit. Ils mettent toutes leurs difficultés sur le dos du chien et choisissent la solution de la facilité en refusant de regarder la vérité en face. Lorsque la situation prend de plus grandes proportions, ils doivent se rendre à l’évidence et affronter leurs problèmes. Nous avons compris que le film pouvait fonctionner si nous arrivions à équilibrer le stress que subissent les acteurs à cause des aboiements permanents et à placer les spectateurs au même niveau. Nous voulions que le public soit aussi désespéré que les personnages : en isolant la présence physique du chien, nous pouvions réduire le sentiment d’empathie qu’il pouvait ressentir pour qu’il en vienne à détester les aboiements du chien autant que les personnages. Les spectateurs et Emilio comprennent au même moment que le chien est bien plus qu’un son gênant, et ils partagent ainsi le même parcours émotionnel. Le chien est réel, et même s’il représente une période difficile pour Emilio, il lui offre aussi une chance de se racheter.

Comment s’est passé le tournage avec le chien ?
J’avais déjà travaillé avec des animaux et des chiens sur un plateau lorsque j’étais assistant-réalisateur pour des films et des publicités, mais c’est une première en tant que réalisateur. Pour que le film fonctionne, il fallait absolument une scène finale puissante où l’on découvrirait le chien. Adrián Ladrón, qui joue le rôle d’Emilio devait être parfaitement au point, car nous n’avions pas beaucoup de temps pour tourner tout ce dont nous avions besoin. Nous avons choisi d’utiliser deux caméras pour cette scène et être sûrs de ne rien manquer. C’était un véritable défi. Le plus compliqué a été d’organiser le plan de travail. Jusqu’à un certain point, nous avions réussi à presque tout tourner dans l’ordre chronologique. C’était un véritable luxe de pouvoir fonctionner de cette manière et cela a donné à tout le monde la possibilité de s’unir et de ressentir la progression de l’histoire, scène après scène. Mais nous n’avons pas pu tourner les scènes avec le chien dans cet ordre, car Adrián risquait de se faire mordre. Au début, le chien est très agressif, puis il accepte Emilio et lui lèche même le visage. Nous avons donc dû tourner les scènes dans l’ordre inverse, en commençant par celles où il était gentil, pour finir par celles où il est le plus agressif. Ensuite, nous savions qu’il fallait que nous soyons très précis pour tourner tous les détails lorsqu’Emilio s’approche du chien (les cachets, le poulet, la chaîne). Les différentes actions devaient se rejoindre lors d’une scène, afin de conférer tout son sens à la fin du film. Nous avons dû tout vérifier et évaluer avec précision avant de pouvoir passer à autre chose. Heureusement, nous avions un dresseur fantastique et un chien acteur tout aussi fantastique appelé Boro. C’était une expérience stressante, mais très drôle et très enrichissante.

L’acteur qui incarne Emilio offre une magnifique performance, très émouvante. Comment l’avez-vous trouvé ?
J’avais déjà vu le travail d’Adrián et de Diana et j’ai toujours eu envie de collaborer avec eux. Nous avons trouvé l’actrice pour le personnage de Susana assez tôt dans le processus de préproduction, mais cela a été plus compliqué pour le rôle d’Emilio à cause de divers problèmes de calendriers et changements de dates. Heureusement, nous avons fini par trouver une solution et Adrián a pu rejoindre le tournage. J’ai bu un café avec lui et nous avons brièvement parlé du scénario. Il nous plaisait à tous les deux et nous nous sommes trouvés des points communs au niveau artistique. Cela a duré plusieurs heures : nous avons fait connaissance et échangé sur notre vie. Pour moi, c’est une étape cruciale dans le processus de réalisation, peut-être la plus importante. Mieux comprendre la personne qui va interpréter le personnage et la personne qui va être derrière la caméra nous a donné à tous les deux la confiance nécessaire pour commencer ce projet. Pour répéter, nous avons passé du temps ensemble, à fumer et à partager nos points de vue sur la vie et notre relation au film. Cela nous a donné plus de libertés pour explorer et essayer de nouvelles choses. Les deux acteurs étaient très investis dans leurs rôles et j’ai essayé de faire en sorte qu’ils s’identifient entièrement aux personnages pour qu’ils aillent au-delà de ce qui était écrit dans le scénario.

Sur quels sujets et quelles thématiques avez-vous envie de travailler ?
Mes deux films précédents se sont concentrés sur les relations de couple, ce léger voile qui masque tant de joies et de peines. J’ai toujours été attiré par ces sujets et j’ai envie d’aller encore plus loin. Mais il y a aussi plein d’autres sujets avec lesquels j’ai envie de m’amuser. Ma vie est remplie de petits plaisirs, qui ont fini par devenir plus que des hobbies et sont à présent de véritables piliers : la cuisine, le football et la musique. J’aimerais intégrer ces activités dans les histoires des personnages, et pourquoi pas, me pencher sur les liens familiaux.

Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je n’ai jamais ressenti le besoin de distinguer les longs métrages des courts métrages ou des moyens métrages. Ce sont tous des films. Mais c’est vrai qu’en termes d’exposition et de commercialisation, il y a un grand décalage entre les courts métrages et les longs métrages. Une place réduite est laissée aux courts métrages et il faut précisément profiter des opportunités telles que ce festival. La situation actuelle nous montre qu’il est possible de repenser les choses. L’industrie cinématographique sera sans aucun doute affectée par le contrecoup qui finira inévitablement par arriver. Est-il possible de mettre en lumière les courts métrages ? Peut-être que le manque d’investissements et de ressources ouvrira la porte à une industrie plus large, plus inclusive, plus synthétique capable de réellement intégrer les courts métrages.

Si nous devions être à nouveau confinés, quel petit plaisir culturel ou artistique nous recommanderiez-vous pour tromper l’ennui ?
Pendant le confinement, je me suis rendu compte que j’avais vu beaucoup de films dont je ne me souvenais pas suffisamment pour avoir le même avis à leur sujet. J’ai donc décidé de regarder à nouveau ces films. C’est important, que nous les ayons aimés (ou pas), parce que nous changeons et que nous avons un regard neuf. Le dessin me ramène toujours au design. Une image, un plan, une scène. Cela m’aide à rester au plus proche du côté ludique de la création d’histoires. Ou encore, jouer à un jeu vidéo indépendant, apprendre à jouer d’un instrument de musique, cuisiner un nouveau plat.

Pour voir Bisho, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I13.