cinema – Clermont ISFF https://clermont-filmfest.org Festival du court métrage de Clermont-Ferrand | 31 Janv. > 8 Fév. 2025 Mon, 20 Feb 2023 15:49:10 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.5.7 https://clermont-filmfest.org/wp-content/uploads/2017/10/lutin-sqp-1-300x275.png cinema – Clermont ISFF https://clermont-filmfest.org 32 32 Lunch avec Rien d’important https://clermont-filmfest.org/rien-dimportant/ Fri, 03 Feb 2023 11:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=59522 Entretien avec François Robic, réalisateur de Rien d’important 

Comment vous est venue l’inspiration pour Rien d’important ? 
Suite à un documentaire dans lequel j’avais filmé ma sœur et ses amis, j’ai eu envie de faire un film de fiction avec des personnes n’ayant jamais joué, qui interprèteraient leurs propres rôles durant des improvisations dirigées, retravaillées en direct au moment du tournage. Je voulais aussi faire un film simplement, en tout petit comité, sans impératifs de financement pour lesquels je devrais passer des années à attendre. Le film questionne le choix difficile consistant à partir ou à rester dans son village natal, les conséquences de celui-ci. Une question assez cruciale pour moi, toujours vive. Cela dit, ce choix me semble universel. À mon avis, c’est lui qui permet au film de ne pas tomber dans l’anecdotique. 

Qu’est-ce qui vous a poussé dans votre désir de réalisation : plutôt cet instant de vie à partir duquel vous avez inventé des personnages et un contexte ou plutôt une envie de dépeindre ces personnages précisément, dans cet instant comme dans d’autres que vous avez pu imaginer ? 
Le scénario s’inspire de mon vécu d’éboueur saisonnier l’été qui a suivi l’obtention du baccalauréat. Je n’ai pas écrit les personnages au sens classique du terme, leur composition est le fruit du travail des comédiennes que j’ai dirigées. Ensemble, nous avons tenté de trouver la manière juste de vivre les situations que le scénario contenait. Parfois, les scènes s’en sont trouvées profondément transformées. La fin du film, par exemple, était pensée comme un moment de comédie, placé au début du récit. Finalement, c’est devenu un épilogue mélancolique à cause de la manière dont ma sœur l’a vécue durant le tournage. De la même façon, ce que Flora confie à Gaëlle dans son long monologue vient en grande partie d’elle, elle exprime quelque chose que je partage avec ses propres mots et son vécu. En dépit de la méthode de fabrication du film, j’avais écrit un scénario relativement précis, bien que je ne l’aie pas donné aux actrices et aux acteurs. Non parce qu’il contenait un quelconque secret que je n’aurai pas souhaité leur divulguer, mais plutôt pour les préserver d’une certaine fabrication inévitable qui conduit parfois les comédiens novices/amateurs à une certaine fausseté. 

Qu’est-ce qui vous intéressait chez les jeunes adultes et la période juste après le lycée ? 
Je pense que c’est une période de laquelle je suis sorti, j’ai donc un certain recul sur celle-ci, nécessaire pour en dégager un film pertinent. Bien sûr je garde tout de même une proximité temporelle avec cet âge, un bon juste milieu. L’envie de représenter une jeunesse rurale populaire, un métier peu considéré et sous payé bien qu’absolument nécessaire, me parle dans la mesure où je viens de là. Cependant, je ne veux pas m’appesantir sur la nécessaire représentation de ce que j’ai connu et de ce que je suis, sur le fait qu’elle serait manquante. Les personnages ne sont pas des schémas sociologiques voués à délivrer un discours qui dépasserait le film. Ma sœur et Flora sont pleines d’acuité sur le monde, pensent par elles-mêmes dans une période où il est très compliqué d’énoncer un point de vue personnel original. Elles font partie d’une génération plus triste que celles qui ont précédé car plus consciente du marasme politique et social de notre pays, et du monde en général. Le film n’a pas la prétention de raconter cela mais mon intérêt personnel pour elle et les personnes de leur âge vient aussi de là.  

Comment avez-vous rencontré les comédiennes ? 
Je le disais Gaëlle est ma sœur. Flora est la sœur d’une de mes meilleures amies. René est son père, mécanicien et éboueur de métier. J’ai travaillé avec lui et je le connais depuis toujours. Impossible de me rappeler d’une rencontre avec les autres jeunes interprètes tant on se connait et on se croise depuis toujours. Ma grand-mère joue aussi dans le film avec son amie/voisine Marie Jeanne. Parfois les personnages sont écrits pour ceux qui les jouent, parfois je me demande qui parmi mes connaissances pourrait les jouer. 

Quel est votre court métrage de référence ? 
Rien à voir avec mon film mais  La Peur, petit chasseur de Laurent Achard est peut-être le film court que j’aime le plus. Très impressionnant et rigoureux tout en étant très simple et modeste.  

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?  
Rien d’important est mon cinquième court métrage et sa sélection au festival est un encouragement et une reconnaissance extrêmement bienvenus. Au vu du rapport très personnel que j’ai au film, de sa méthode de fabrication si particulière et fragile je suis très heureux de pouvoir le partager avec un public, surtout dans un lieu comme celui-ci.  

Pour voir Rien d’important, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8

]]>
Dîner avec Auxiliaire https://clermont-filmfest.org/auxiliaire/ Wed, 01 Feb 2023 20:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=59256 Entretien avec Lucas Bacle, réalisateur d’Auxiliaire

Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre film, Auxiliaire, qui s’intéresse à la relation entre un jeune homme handicapé et son auxiliaire de vie, relation qui se trouve chamboulée par le futur départ de ce dernier ?        
La naissance de ce film, c’est le moment où trois amis – un réalisateur, un comédien et un producteur – se demandent si l’histoire qui les lie ne devrait pas être racontée dans un film. Alexis Dovera (producteur), Laurent Target (comédien) et moi-même, avons tous les trois travaillé en tant qu’auxiliaire de vie pour notre ami commun, Louis Milhet, un jeune ingénieur informaticien en situation de handicap. Dans ces moments où le professionnel et l’intime se mélangent, on s’est tous rapprochés de Louis et son handicap est rapidement devenu une simple considération logistique.Auxiliaire est mon premier court métrage et il était important pour moi de traiter un sujet dont j’ai personnellement fait l’expérience afin de proposer un film sincère, riche de détails et capable d’ouvrir une fenêtre sur le handicap et le métier d’auxiliaire de vie.

Comment avez-vous travaillé avec les comédiens pour parvenir à leur faire incarner cette relation complexe ? 
J’ai pris le temps et j’ai eu du temps.
J’ai eu du temps pour répéter avec Etienne et Laurent, une dizaine de jour, ce qui m’a permis de faire une réécriture plateau et d’adapter les dialogues à leur personnalité.
J’ai pris le temps pour que ces deux-là se rencontrent, échangent et s’amusent réellement. En organisant des moments informels, dans des bars, des soirées, chez Louis. Si ça peut paraître futile, je crois qu’au contraire c’est ce qui fait que la relation marche à l’image : parce qu’ils en ont tissé une véritable, hors champ.

Comment avez-vous choisi les deux comédiens principaux ?
Le rôle de Marc a été pensé avec et pour Laurent Target. Je connais Laurent depuis des années et j’attendais avec impatience le moment où je pourrais le mettre en scène. Lorsque l’idée de ce film est née, c’était une évidence qu’il ne pouvait se faire qu’avec lui. Le rôle de Quentin a été plus complexe à choisir. Initialement, je voulais que Louis Milhet joue son propre rôle mais les répétitions ne furent pas concluantes et la fatigue corporelle que nécessitait ce tournage de nuit ne lui permettait pas de pouvoir embarquer dans l’aventure sereinement. Nous avons casté une quinzaine de jeunes hommes non comédiens en situation de handicap. Mais je n’y ai pas trouvé la personne que je cherchais. Les duos avec Laurent ne fonctionnaient pas. Nous avons organisé un nouveau casting en y intégrant cette fois des comédiens professionnels valides. Quand ce fut le tour d’Etienne Cocuelle, la relation avec Laurent fut évidente, mais éthiquement ce fut une autre histoire. Nous savions l’importance et la nécessité de représenter un corps handicapé au cinéma, mais il nous fallait voir les choses en face, à quelques semaines du tournage nous n’avions pas trouvé la perle rare parmi les personnes que nous avions rencontrées. J’ai pris la décision de travailler avec Etienne Cocuelle en qui j’avais une totale confiance.

Quel regard portez-vous sur la présence et la représentation des personnages handicapés à l’écran ?
De la même façon qu’il est essentiel de montrer à l’écran des personnes trans, des femmes qui ne sont pas objectivées et toutes les minorités invisibles, représenter des personnes handicapées à l’écran est un acte politique nécessaire et il y a encore beaucoup de chemin à faire. Le simple fait de ne pas avoir pu trouver un comédien handicapé qui corresponde au personnage que nous avons écrit en est une preuve. C’est sûrement parce qu’ils pensent qu’ils n’ont aucune chance que peu de personnes handicapées se lancent dans le théâtre ou le cinéma et on peut les comprendre quand on voit la place que le cinéma leur réserve : jouer dans des films dramatiques (et si être handicapé n’était pas un drame ?) ou des mauvaises comédies dans lesquelles le handicap est au centre, objectivé. Avec Auxiliaire j’ai voulu traiter du handicap sans en faire un sujet. Travailler avec Louis me l’a appris, c’est le regard des autres qui ramène les personnes handicapées à leur condition. C’était précisément ce genre de regard que j’ai voulu participer à faire évoluer.  Si je n’ai pas pu trouver une personne handicapée pour tenir le rôle de Quentin, je suis par ailleurs fier de ce film qui, en le montrant dans tous ses détails, nous fait oublier le handicap. Je crois que c’est en levant le voile sur tous ces aspects inconnus qu’on peut les faire entrer dans l’imaginaire collectif comme de simples banalités.

Quel est votre court métrage de référence ?
Le court métrage Avant que de tout perdre de Xavier Legrand m’a marqué dans sa grande force de faire d’un sujet invisibilisé un véritable spectacle. Ce film prend aux tripes, surprend, émeut. Pendant ces quelques minutes, je suis devenu cette femme et j’ai eu peur de la violence d’un homme. C’est une des premières fois de ma vie où j’ai perçu ce que voulais dire être sous emprise et que j’ai ressenti l’effet dévastateur que ça avait sur cette femme. C’est précisément pour fabriquer ce genre d’expérience que je veux être réalisateur.

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Depuis que je connais son existence, j’ai perçu le festival de Clermont Ferrand comme lointain et inatteignable pour l’autodidacte que je suis. On me parlait de lui comme d’une étape évidente dans la carrière d’un réalisateur. Architecte de formation, j’ai suivi mon rêve de cinéma il y a cinq ans et ce sera la première fois que je vais à un festival pour y défendre un film. Je suis très heureux que ce soit dans le cadre du festival de Clermont Ferrand.

Pour voir Auxiliaire, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.

]]>
Lunch avec Cut (Coupez !) https://clermont-filmfest.org/cut/ Wed, 01 Feb 2023 11:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=59165 Entretien avec Min-zun Son, réalisateur de Cut (Coupez !)

Quel a été le point de départ de Cut ? 
J’ai toujours voulu être acteur. Mais pas un acteur secondaire : je voulais incarner le personnage principal. C’est cette idée qui est à l’origine de Cut

Quelle a été votre source d’inspiration cinématographique pour Cut ? 
Je voulais simplement devenir un acteur, mais je n’en ai jamais eu l’opportunité. Ma vie est devenue compliquée. J’ai voulu m’amuser et tourner un film avec mes collègues, avant de partir travailler dans les cuisines d’un restaurant de fruits de mer sur une petite île. J’ai donc décidé de réaliser Cut

Quelle réaction attendez-vous de la part du public ?  
Je voudrais que mon court métrage marque les spectateurs. Et en même temps, j’espère qu’ils ne se focaliseront pas trop sur le côté très violent du film. J’espère aussi que les spectateurs se souviendront du nom de Son Min-zun. 

Quel est votre court métrage de référence ? 
One-Minute Time Machine de Devon Avery. Il est très court, se déroule dans un lieu unique, et il est aussi amusant et plein d’esprit. J’ai vraiment adoré le regarder, je l’aime toujours beaucoup et il continue de me marquer des années après. 

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?  
En réalité, je n’avais jamais entendu parler du festival de Clermont-Ferrand. Je faisais la plonge dans un restaurant de fruits de mer avant d’être sélectionné dans d’autres festivals de cinéma. J’ai échangé avec mon distributeur, puis j’ai cherché des informations sur le festival de Clermont-Ferrand sur Internet. Et j’ai crié de joie : c’est super ! 

Pour voir Cut (Coupez !), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6

]]>
Dîner avec Please Hold the Line (Ne quittez pas, s’il vous plaît) https://clermont-filmfest.org/please-hold-the-line/ Tue, 31 Jan 2023 20:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=59099 Entretien avec Ce Ding Tan, réalisateur de Please Hold the Line (Ne quittez pas, s’il vous plaît)

Pourquoi avoir choisi le format 4:3 pour ce film ?  
Le format 4:3 permet d’attirer l’attention du spectateur sur l’univers du personnage principal (Kendra).  Ainsi, tout est parfaitement condensé, porté par le personnage et ses émotions, sans que la largeur du cadre offre de distraction. Le format 4:3 permet aussi de créer une atmosphère oppressante, qui correspond plutôt bien à l’état d’esprit du personnage.  

Kendra Sow interprète avec brio le personnage principal. Comment l’avez-vous rencontrée ? Comment l’avez-vous dirigée ?  
Je l’ai rencontrée par l’intermédiaire d’amis communs, c’est une actrice assez connue en Malaisie. On a fait quelques réunions, on a discuté, répété pour définir le personnage et la direction d’acteur. L’une des décisions les plus importantes que nous avons prises, c’est de faire parler Kendra en cantonais (elle maîtrise mieux le mandarin, qui est un autre dialecte chinois).  

Qu’est-ce qui vous a conduit à réaliser un film sur les arnaques téléphoniques en Malaisie ?  
La Malaisie possède l’un des taux d’arnaques téléphoniques les plus élevés au monde, avec plus de 90 millions d’appels chaque année. Sa population ne représente qu’un tiers de ce total, mais la nature multilingue des Malaisiens fait que ce pays contribue largement à cette statistique.  En tant que Malaisien, j’ai fait partie des cibles de ces arnaques téléphoniques. Une partie de moi ne pouvait s’empêcher d’être curieux – que se passe-t-il à l’autre bout de la ligne ? Je voulais mettre en lumière ce phénomène d’arnaques téléphoniques, mais plutôt que de poser un jugement moral sur ce problème, je voulais m’intéresser plus en profondeur à la situation des personnes qui passent ces appels.  Derrière cette voix qui semble d’abord sans cœur, manipulatrice, se cache un véritable être humain comme vous et moi. Please Hold the Line est en réalité un film sur la communication. Il est question de cette ironie, la facilité que nous avons à entrer en contact et à nouer des relations avec des gens de l’extérieur, et notre difficulté à parler à nos proches, à la maison.  

J’ai lu que Please Hold the Line pourrait devenir un long métrage. Pouvez-vous nous en dire plus ?  
Oui, nous sommes en train de développer le script en ce sens ! Une fois que la présentation du projet sera finalisée (avant la deuxième moitié de 2023 j’espère), on recherchera des laboratoires et des financements.   

Quel est votre court métrage de référence ?   
Ces dernières années, l’un des courts métrages que j’ai préférés est Fauve de Jérémy Comte (2018).  

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?  
Le festival du court métrage de Clermont-Ferrand est le plus grand festival de court métrage dans le monde, il est connu, jusqu’en Asie du Sud-Est. Je suis tellement heureux d’y participer !   

Pour voir Please Hold the Line (Ne quittez pas, s’il vous plaît), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I5.  

]]>
Goûter avec Amarres https://clermont-filmfest.org/amarres/ Tue, 31 Jan 2023 15:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=59082 Entretien avec Valentine Caille, réalisatrice de Amarres 

Qu’aviez-vous envie d’explorer au travers de la relation entre Livia et Louis ? 
La complexité de l’amour fraternel. Il me semble qu’entre frère et sœur on est capable de sentiments extrêmes ; on peut haïr et aimer de façon inconditionnelle. Au départ, je voulais faire un film sur le cheminement intime d’une sœur face à la maladie de son frère, et finalement je crois qu’avant tout le film parle de fraternité ; de la profondeur de ce lien.  

La relation entre le frère et la sœur est rendue particulièrement crédible par les interprétations d’Alice de Lencquesaing et de Jonathan Genet. Comment les avez-vous dirigés ? Être actrice vous-même vous aide-t-il à mettre en scène ? 

Je dirais qu’être comédienne m’aide dans la direction d’acteurs. Comment trouver l’endroit de vérité dans le jeu et quel est le processus pour y faire parvenir un comédien, sont une de mes priorités.  J’ai souhaité qu’Alice et Jonathan se rencontrent très en amont du tournage. Je procède de la même façon quand je monte une pièce de théâtre : travail à la table, puis un temps de répétitions. Nous travaillons entre autres sur le hors champ du film, comme par exemple le passé commun des personnages. Cela crée un sous texte et des liens précieux sur lesquels les acteurs peuvent s’appuyer. Jonathan Genet a cette beauté singulière et parfois étrange que je trouvais très appropriée pour la dualité du personnage. Après, c’est un rôle de composition. Nous avons échangé autour de nombreuses références de films. Ne voulant pas caricaturer le personnage nous avons travaillé en soustraction, laissant la maladie jaillir seulement par éclats. Jonathan est aussi un comédien de théâtre. Par petites touches nous sommes allés chercher l’éloquence, l’intensité d’un jeu théâtral qui nous semblaient intéressantes pour le personnage. Alice de Lencquesaing avait peu de texte, il fallait donc que tout passe par des silences et des regards. Scène par scène nous avons exprimé les sentiments du personnage puis elle les a intériorisés. Alice a cette capacité à nous faire lire sur son visage les émotions qui la traversent sans affectation. Tout est très vrai et très à vif. Nous n’avions plus qu’à chercher le juste équilibre. 

Le cinéma ne se lasse pas d’explorer la complexité des rapports familiaux. Des œuvres ou des événements ont-ils inspiré l’écriture du scénario d’Amarres ?  
Ce film est inspiré de mon histoire personnelle puis la fiction s’est mêlée à la réalité. De nombreux films m’ont accompagnée pendant l’écriture et tout au long de la création. Les Poings dans les poches de Marco Bellocchio est sans doute celui qui a le plus compté.  

Quelle place tient Amarres au sein de votre filmographie ?  
J’avais réalisé plusieurs très courts métrages, Amarres est mon premier film produit. Il est aussi mon premier film de fiction avec des acteurs professionnels. Les précédents se situaient à une frontière floue entre documentaire et fiction ; comme Les Anges, avec et sur des élèves en réinsertion scolaire ou le film chorégraphique sur la danseuse Fabienne Haustant.  

Quel est votre court métrage de référence ? 
J’ai un souvenir fort du Cri du homard de Nicolas Guiot. Il m’avait impressionnée par son scénario implacable. Il y avait aussi quelque chose à la Hanneke dans sa mise en scène que j’avais particulièrement aimé. L’univers de la réalisatrice Manon Coubia me touche beaucoup ; Les Enfants partent à l’aube avec sa mise en scène épurée et tendue. J’ai été aussi époustouflée par la puissance poétique de son dernier film ; Marée. 

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ? 
Je suis venue une fois en tant que spectatrice et je me souviens avoir enchaîné les projections du matin au soir. C’est une chance qu’un tel rendez-vous du court métrage existe. C’est le seul endroit où on peut découvrir le travail de jeunes cinéastes internationaux. Je suis très excitée et flattée d’y participer.  

Pour voir Amarres, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6 

]]>
Lunch avec Koha wa Tapaha (Collines et Montagnes) https://clermont-filmfest.org/koha-wa-tapaha/ Tue, 31 Jan 2023 11:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=59059 Entretien avec Salar Pashtoonyar, réalisateur de Koha wa Tapaha (Collines et Montagnes)  

Dans Koha wa Tapaha, on entend la voix de la protagoniste raconter son histoire, mais on ne la voit jamais. Qu’est ce qui a motivé ce choix ?  
Deux choses. C’était avant tout un choix créatif, mais aussi une solution pour surmonter un obstacle majeur. Du point de vue créatif, je voulais que son histoire soit celle de tous les Afghans en superposant sa voix sur des images de civils. Après l’invasion soviétique à la fin des années 1970, la moitié de la population afghane d’avant-guerre était décédée, blessée ou déplacée. D’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement, toutes les personnes que l’on voit dans le film ont été affectées par la guerre. Ensuite, quand les Talibans ont repris Kaboul, leur première décision a été d’interdire aux femmes de participer à des films, notamment en tant qu’actrices. Conséquence : un obstacle de plus à surmonter dans le domaine de la réalisation cinématographique pour moi. Pour contourner cette interdiction, j’ai donc décidé de ne pas la faire apparaître à l’écran.  

Comment s’est passée la collaboration avec Fereshta Afshar qui fait la voix off ?  
Cette collaboration était sans aucun doute unique : on a travaillé ensemble à distance. Et c’était une première pour tous les deux. À cause des lois du régime taliban, et pour éviter les problèmes avec les autorités, nous ne nous sommes jamais rencontrés pendant la réalisation du film. Je lui envoyais le texte, avec des notes pour lui donner des instructions. Ensuite, elle s’enregistrait et m’envoyait les fichiers, puis je les écoutais et lui transmettais mes commentaires. On a échangé un nombre incalculable de fois avant d’être tous les deux entièrement satisfaits du résultat final. J’avais déjà collaboré avec Fereshta dans le cadre du tournage de mon précédent court métrage de fiction, Bad Omen (Mauvais présage), lui aussi sélectionné au festival de Clermont-Ferrand en 2021. Elle est de loin l’une des plus grandes actrices afghanes. Pour Koha wa Tapaha, j’étais décidé depuis le début à travailler à nouveau avec elle pour garder le film aussi authentique que possible. Je voulais aussi garder le cinéma afghan en vie en collaborant avec une femme directement affectée par cette interdiction. Cela aurait été bien plus facile de faire appel à une personne n’habitant pas en Afghanistan, mais cela nous aurait privés de l’émotion brute de la voix de Fereshta.  

Le public occidental n’a pas l’habitude de voir des images de l’Afghanistan qui n’évoquent pas la guerre. Comment avez-vous choisi les plans du pays que vous utilisez dans le film ?  
J’ai toujours l’Afghanistan dans un coin de ma tête et dans mon cœur. Si j’ai réalisé ce film, c’est notamment parce qu’une nuit j’ai pris conscience que, suite au retrait des forces américaines, le pays n’était plus en guerre. Pour la première fois de ma vie, il n’y avait plus de conflit armé en cours là-bas. Mais je connais l’Histoire. La dernière fois, quand la superpuissance soviétique a été contrainte de se retirer, l’Afghanistan a sombré dans une guerre civile sanglante, au cours de laquelle Kaboul, la capitale, a été détruite. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir des pensées ambivalentes vis-à-vis du futur. Tout cela m’a fait prendre conscience de l’importance historique de la phase que nous traversons. Je me suis dépêché de consigner visuellement les habitants de Kaboul, les collines et les montagnes, afin de garder une trace de l’époque actuelle pour les générations futures. Je ne sais pas ce qui attend le pays et les Afghans, mais ces images auront une signification particulière pour les personnes comme moi à l’avenir. Cela a été facile de choisir ces images : Kaboul, comme presque tout le reste de l’Afghanistan, ressemble à un tableau. La ville est entourée de collines et de montagnes.  

Quelle réaction attendez-vous de la part du public ?  
Je me sens moralement obligé d’informer et d’éduquer le public au sujet des Afghans et de l’Afghanistan par le biais de mes films. J’aime donner aux spectateurs un aperçu de l’Afghanistan caché et ignoré. C’est pour cela que je construis mes films autour des événements qui ont marqué le pays après les années 1970. Malheureusement, l’Afghanistan semble être devenu le champ de bataille des superpuissances, et ce pour toujours. Si vous dites ou lisez le mot « Afghanistan », les premières images qui vous viennent à l’esprit sont très probablement liées à la guerre. Pour autant, l’Afghanistan et son peuple ne doivent pas être réduits à cette idée. Nos histoires ont été racontées avec des œillères. En réalisant des films, je peux les figer de manière artistique, tout en racontant à un plus large public à quoi l’Afghanistan ressemblait avant ces guerres et comment nous en sommes arrivés là. Nous avons tous des préjugés, façonnés par les informations auxquelles nous sommes exposés. Je ne peux pas contrôler la réaction du public, mais je suis convaincu que les spectateurs auront un nouveau point de vue sur l’Afghanistan et comprendront mieux le pays après avoir vu mon court métrage.  

Quel est votre court métrage de référence ?  
Il s’agit d’un court métrage d’animation : Père et fille de Michaël Dudok de Wit C’est l’histoire assez simple d’une petite fille qui grandit, mais qui garde en elle le souvenir de son père absent. C’est un film très puissant et très émouvant.  

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?  
Le festival international du court métrage de Clermont-Ferrand est le roi incontesté des festivals consacrés aux courts métrages. La programmation, les opportunités de rencontres et tout l’environnement sont absolument uniques. Je suis impatient de m’y rendre. 

Pour voir Koha wa Tapaha (Collines et Montagnes), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I3.  

]]>
Breakfast avec Écorchée https://clermont-filmfest.org/ecorchee/ Tue, 31 Jan 2023 08:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=58987 Entretien avec Joachim Hérissé, réalisateur de Écorchée

Que vouliez-vous explorer dans cette relation entre les deux femmes ? Qui ou qu’est-ce qui vous a inspiré ce rapport entre elles ?
Avec ce film, j’avais l’envie, le besoin, d’exprimer des sensations issues de cauchemars de fièvre que je faisais enfant et dans lesquels je pouvais ressentir mon corps passer d’un état creux à un état plein, de manière cyclique pendant toute la nuit. Eveillé, ces perceptions opposées de mon corps m’ont longtemps hanté et me questionnent toujours. Pour figurer ces deux états, j’ai écrit ces deux personnages que sont l‘Écorchée et la Bouffiedeux sœurs siamoises reliées par une jambe. Le film pose cette question : que se passerait-il si je me détachais d’un de ces deux corps ?

Pourquoi sont-elles dans cet environnement particulier ?           
Puisque ma première inspiration venait de mes jeunes années, j’ai décidé de continuer à creuser dans mes peurs d’enfant. Ainsi, pour les décors, je me suis amusé à rassembler des éléments hétéroclites qui n’ont en commun que l’angoisse que je pouvais ressentir enfant en les voyant : vieux pavillon de banlieue des années 60, lit à baldaquin, armoire à glace art déco etc… Idem pour de nombreuses situations de l’histoire : le déculottage des lapins est, par exemple, directement inspiré de ma mamie qui enucléait les lapins, les déculottaient et faisait des chaussons avec leur fourrure. Ma plongée dans ces angoisses enfantine ont naturellement fait ressurgir mon tempérament mélancolique. J’ai donc construit mon film à l’équilibre entre ces deux états : anxiété et mélancolie. 

Parlez-nous de votre technique d’animation. Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire au travers de cette technique ?          
Il me fallait trouver un univers graphique assez fort pour pouvoir retrouver ces sensations issues de cauchemars. Après plusieurs essais infructueux, j’ai eu une révélation : la matière textile était le matériau idéal pour exprimer des sensations corporelles car la fibre du tissu me rappelait les fibres musculaires d’un corps écorché. En pianotant sur Internet les mots clés « textile » et « écorché », j’ai découvert le bœuf écorché textile de l’artiste plasticienne Aline Bordereau. Son univers m’a bouleversé. J’ai pris contact avec elle et lui ai proposé une collaboration. Aline a très vite compris mes intentions qui faisaient écho à son propre travail et elle a fabriqué les marionnettes originales du film.

Votre film mélange plusieurs genres et codes. Comment le décririez-vous ?
Écorchée est d’abord un conte, comme toutes les histoires que j’écris. Je suis fasciné par les originaux des textes des grands conteurs (Perrault, Grimm, Andersen), qui depuis ont été édulcorés par leurs adaptations. Ma fascination vient justement du fait que ces œuvres mélangent les genres (comédie, horreur, gore, romance, etc.). Dans la lignée de ces œuvres hybrides, j’aime beaucoup certains cinéastes coréens qui s’amusent eux aussi à mélanger les genres.

Qu’est-ce que vous souhaiteriez explorer par la suite en tant que réalisateur/animateur ?
Écorchée est très bien reçu par le public. C’est un vrai soulagement pour moi car le financement a été difficile. En commissions, le projet était clivant : enthousiasmant pour certains, trop cru et personnel pour d’autres, avec une portée universelle trop restreinte. Ce retour du public que la portée universelle de mon film est bien réelle et me conforte dans l’idée de continuer à exprimer mes sensations et émotions intimes. Je suis notamment en train d’écrire un projet de série d’anthologie horrifique intitulé DOLLS qui reprend l’univers visuel et les thématiques d’Ecorchée, notamment les angoisses liées aux corps. Ce projet est soutenu au développement par le CNC et par la Région Pays de la Loire.

Quel est votre court métrage de référence ? 
J’aime le cinéma dans toutes ses facettes et tous ses genres mais j’ai surtout été inspiré dans mon écriture par le cinéma d’animation en volume slave et notamment par Garri Bardin (Konflict, Adagio, Fioritures), réalisateur russe qui a su magnifier de nombreux matériaux (fil de fer, objets, glaise, papier) dans l’écriture de ses films.

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
C’est tout simplement le festival de court métrage le plus important au monde. C’est une reconnaissance incroyable pour mon travail d’auteur-réalisateur. 

Pour voir Écorchée, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.

]]>
Dernier verre avec Baile Entretenido (Fun Dance) https://clermont-filmfest.org/baile-entretenido/ Mon, 30 Jan 2023 23:01:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=58972 Entretien avec Casandra Campo Ernst, réalisatrice de Baile Entretenido (Fun Dance)

Le personnage principal de votre film rentre chez elle et retrouve ses anciens amis. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez vécu avant de le raconter ?
On a écrit le scénario avec Tiare, l’actrice du film et une très bonne amie. Tout est venu d’un personnage sur lequel nous travaillions depuis longtemps pour un projet de long-métrage. On s’est demandé ce qu’il se passerait si on faisait un court avec le même personnage, Ana, qui cette fois, reviendrait là d’où elle était partie sans intention de retour. On a commencé à se confier nos propres expériences de réunions d’anciens amis, et à parler de la distance qui se crée dans une amitié après un départ. On s’est souvenues de notre adolescence. On a partagé des anecdotes vécues entre amies, qui viscéralement, vouent un culte à l’amitié. Toutes les deux nous avons décidé très tôt de nous lancer dans des études de cinéma, ce qui est assez peu commun pour des ados. Rassembler nos expériences nous a conduites à réfléchir sur le fait qu’une réunion amicale après un long moment génère quelque chose qui, en quelque sorte, vous définit, comme un reflet qui vous rappelle d’où vous venez ; et cela conduit inévitablement aussi à prendre conscience de là où l’on en est, et à accepter les conséquences des décisions prises.

Comment avez-vous choisi Tiare Pino et Daniela Pino pour interpréter Ana et Karina ?
Tiare était choisie dès le départ, nous avons conçu le rôle pour qu’elle le joue. Elle connaissait très bien le personnage et c’est une actrice très intense et douée. Nous voulions que les personnages aient quelque chose en commun, un trait visuel qui les lierait ensemble. C’est ce qui nous a fait choisir Daniela, elles ont une couleur de peau semblable, et quelque chose de semblable dans les yeux. Une beauté naturelle.

Le lien entre Ana et Karina est très bien décrit. Qu’aviez vous envie de décrire à travers cette relation ?
Les relations humaines sont complexes et changeantes, elles vont de l’amour à la colère, de la distance à la proximité. On peut ressentir tout cela à la fois. C’est là-dessus qu’on a travaillé avec les actrices, la richesse des multiples émotions qui vous traversent lorsque vous revoyez quelqu’un qui faisait partie de votre vie, avec qui vous avez grandi, avec qui vous avez partagé votre intimité. Une personne qui sait des choses sur vous-même que vous préféreriez peut-être oublier. On a beaucoup parlé de ce que ressentaient les personnages, on a travaillé sur le regard que s’échangent après-coup deux personnes qui se reconnaissent malgré le passage du temps. Qui se retrouvent au détour d’une conversation ludique et drôle. Qui parlent de façon un peu décousue, comme lorsqu’elles étaient inséparables. Nous avons travaillé sur l’authenticité, la maladresse. Sur la difficulté, parfois, de se passer de ça. En rencontrant une ancienne amie, on rencontre aussi une variation de soi-même. Dans la première version du film, la conversation entre Ana et Karina était beaucoup plus longue. Nous avons eu la tâche délicate d’épurer le texte et de réécrire certains moments. Je crois que pour ce travail particulier, la manière très sincère dont les actrices vivaient leurs scènes nous a aidés. On a passé un moment formidable à le faire. Nous avons mis en place Baile Entretenido avec des professionnels doués, mais le plus beau, c’est que nous l’avons fait avec des amis.

Quel est votre court métrage de référence ?
Wasp, d’Andrea Arnolds, est un film monumental et émouvant à la fois. L’héroïne me touche profondément, elle navigue entre le désespoir, le désir, le manque. Je trouve que c’est un film intensément humain. Les personnages complexes, contrastés, égarés, audacieux, m’attirent beaucoup.

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Avant tout, ça a été une belle surprise que de recevoir le message WhatsApp de notre distributrice Rebecca et d’avoir cette nouvelle au réveil. Nous étions tous très heureux. Je suis emballée que Baile Entretenido soit diffusé pour la première fois en Europe, et particulièrement à Clermont-Ferrand, un festival reconnu mondialement pour son importance. Je suis aussi émue à l’idée que le film ait été sélectionné et que d’une manière ou d’une autre nous soyons parvenus à faire passer ce dont nous avons parlé pendant des mois, à véhiculer cette idée que l’affection persiste malgré la distance. Que rien ne s’efface d’un corps et qu’à l’intérieur, mon histoire me suivra toujours. La nouvelle nous rend heureux, ça nous donne aussi l’élan pour continuer les projets qui sont déjà dans les tuyaux. Et dès à présent avec Camila, la productrice de Baile Entretenido, nous sommes enthousiastes et reconnaissantes de vivre l’expérience du festival.

Pour voir Baile Entretenido (Fun Dance), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I9.

]]>
Goûter avec Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks (De l’impermanence du goût) https://clermont-filmfest.org/von-der-fluchtigkeit-eines-geschmacks/ Mon, 30 Jan 2023 15:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=58917 Entretien avec Eva Neidlinger, réalisatrice de Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks (De l’impermanence du goût)

Où se passe l’action du film ? Est-ce une région, un univers que vous connaissez bien ?
Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks se passe dans un jardin très sauvage et plein de vie, qui ressemble effectivement beaucoup à celui dans lequel j’ai grandi, qui m’inspire toujours autant chaque fois que j’y retourne. Il n’a pas été facile de trouver un jardin de ce type dans la région sablonneuse du Brandenburg, dans le nord de l’Allemagne, mais nous avons fini par tomber sur cet endroit merveilleux, avec en plus des abricotiers et des pêchers – un vrai rêve.

Qui vous a inspiré le personnage de Félie ?
Félie est inspirée de tous les enfants avec qui j’ai échangé lors de mes recherches sur le processus du deuil. Les deux autres personnages féminins également. À la base, mon envie d’explorer en profondeur l’émotion humaine fondamentale que représente le deuil vient du fait que ma famille a vécu un drame similaire à celui du film. Ce qui m’intéresse, c’est que, face au deuil, on a un comportement individuel, mais aussi une dynamique de groupe, et c’est ce que nous essayons de montrer dans le film. L’enjeu principal du film, c’est le moment où chacun des personnages va enfin faire le premier pas vers le lâcher-prise. Étant donné que chacune gère la situation de manière différente, on se retrouve dans une sorte de danse, entre répulsion et attraction – qui a été formidablement bien rendue par les actrices !

Pourquoi y a-t-il si peu de dialogues ? Parlez-nous de vos choix cinématographiques. Comment avez-vous filmé les tomates, par exemple ?
Nous n’avons pas choisi à l’avance d’inclure peu de dialogues : les images, l’ambiance sonore du jardin et la communication non verbale des personnages étaient déjà si fortes que tout dialogue supplémentaire aurait été superflu. Il était important que les personnages se fondent dans l’omniprésence du jardin, dont ils ne sont en fait qu’un élément naturel parmi d’autres. La dynamique de la vie et de la mort se retrouve dans chaque cellule de cet habitat naturel. En ce qui concerne les tomates, elles sont présentées de cette manière, justement : les bonnes tomates pleines de saveur côtoient les tomates pourries en train de se faire grignoter par les limaces. Les humains que je connais mettent plus de temps, en général, à accepter le cycle de la vie, ils se raccrochent à l’idée d’une joie permanente. J’ai toujours adoré la représentation du paradis que fait Jérôme Bosch dans son tableau Le Jardin des délices : malgré la distinction très nette entre enfer et paradis, on détecte la part sombre de son jardin, des éléments obscurs, et même la mort. D’un point de vue cinématographique, il y a trois fils conducteurs à suivre : 1) montrer le jardin sous toutes ses facettes, en donnant une part égale à la vie et à la mort (d’un côté la part sombre, la pourriture, la crasse, la décomposition, et de l’autre, la vie, la beauté, le luxe, les plantes qui poussent) ; 2) suivre le même cheminement que les personnages vers le lâcher-prise ; 3) faire ressentir la perte du goût qu’a subie la jeune femme en créant un contraste immersif avec les saveurs et la luxuriance des fruits du jardin.

Quelles histoires aimez-vous raconter en tant que cinéaste ?
J’aime explorer les concepts qui s’opposent, comme l’enfer et le paradis, et la beauté qui en ressort dès lors que l’on accepte leur concomitance.

Quels sont vos projets à venir ?
En novembre dernier, j’ai pu me rendre à Kiev car le festival DocuDays UA a présenté en avant-première notre documentaire sur un militant ukrainien. J’ai retrouvé beaucoup d’amis qui sont restés là-bas, des gens vraiment extraordinaires, et j’ai commencé à réfléchir sur l’idée fondamentale et complexe de la haine, un sujet sur lequel je prépare actuellement un docu-fiction. D’autre part, je travaille sur un projet à plus long terme sur le sentiment européen, pour lequel je voyage dans toute l’Europe dans un fourgon spécialement aménagé.

Quel est votre court métrage de référence ?
J’ai vu tellement de superbes courts métrages qu’il me serait difficile de dire lequel est mon préféré. D’une manière générale, j’aime bien voir le format court métrage utilisé pour faire des expériences artistiques. Récemment, j’ai vu un film magnifique, Remember the Smell of Mariupol de Zoya Laktionova, qui propose un regard intime et très sincère sur ce qu’a vécu l’artiste depuis le début de la guerre totale en Ukraine. Pour moi, un court métrage, ce sont des fragments, des moments qui explosent dans notre imagination pour créer un univers cohérent.

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
C’est un honneur de présenter ce film de fin d’études en avant-première à Clermont-Ferrand ! J’ai hâte de me plonger dans les excellents programmes de courts métrages du monde entier, et de rencontrer plein de gens formidables. En plus, j’adore la France, donc je vais en profiter pour pratiquer un peu mon français.

Pour voir Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks (De l’impermanence du goût), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.

]]>
Dernier verre avec PLSTC https://clermont-filmfest.org/plstc/ Mon, 30 Jan 2023 11:00:00 +0000 https://clermont-filmfest.org/?p=58860 Entretien avec Laen Sanches, réalisateur de PLSTC 

Voulez-vous nous expliquer ce que signifie l’acronyme PLSTC ? 
PLSTC est un acronyme inventé qui signifie “plastic“. Ce nom a plusieurs avantages, il est succinct, lisible et compréhensible phonétiquement dans la plupart des langues. Et puis, avec ces lettres “manquantes visuellement”, il illustre peut-être aussi l’idée que le plastique ne se désintègre pas totalement et reste malgré tout du plastique. 

Quelles techniques avez-vous utilisées pour générer ces images ? 
Aucun animal n’a été maltraité durant ce tournage, puisqu’il n’y a pas eu de tournage. PLSTC est une fiction numérique mix médias à 99%. C’est le résultat d’un travail expérimental en symbiose entre sensibilité humaine et outils numériques dont certains utilisent de l’intelligence artificielle (IA) appliquée aux formes artistiques. Dans un premier temps, les images ont été créées avec l’assistance de Midjourney, un outil IA de type “text2image“ fonctionnant à partir de descriptions textuelles (prompts) pour générer des images uniques fixes. Il m’a fallu créer une collection de plusieurs milliers d’images représentant une quarantaine d’espèces animales et végétales pour pouvoir ensuite sélectionner les 400 images les plus justes, poignantes et cohérentes visuellement. Une fois ces images retouchées à la main en 2D avec Photoshop, je les ai transformées en scènes 3D avec des outils de création de profondeur Z, également à base d’IA. J’ai ensuite de nouveau retouché les plans individuellement à la main pour garantir leur crédibilité visuelle en mouvement. Après l’agrandissement de chaque plan en 4K toujours à l’aide d’autres outils IA spécialisés dans cette tâche, j’ai pu commencer le montage et le compositing vidéo du film avec des outils traditionnels de postproduction tels que Premiere et After Effects. 
Et les 1% non-numériques restant ? Les particules et microbulles qui, elles, sont bien réelles.   

Pour 1 minute 15 secondes d’images, combien de temps avez-vous travaillé en tout et y a-t-il eu des obstacles à surmonter ? 
En effet, le film est relativement court mais intense avec ses quelque 400 plans truqués. Mis à part de petits bugs “de jeunesse“ – contournables – de certaines applications d’IA, tout s’est déroulé comme prévu et de façon très rapide par rapport, par exemple, à une production CGI classique qui comporterait autant d’éléments animés. L’ensemble du projet PLSTC m’a demandé 3 mois. J’ai réalisé le film en lui-même en 2 mois : du concept à l’étalonnage en passant par la création des visuels, les transpositions en relief, suivies du montage et enfin du compositing VFX. Puis, une semaine de conception sonore avec Magnus Monfeldt suivi de Nick Smith qui a également peaufiné un mix 5.1. Et enfin, 3 semaines supplémentaires pour mettre en place tous les éléments autours de son lancement (fiche du film, PR, traductions, site web, teasers, posters, visuels clés et autres contenus de com’ aux formats spécifiques pour la promo sur différents réseaux sociaux, liste de festivals, etc…). 

Comment avez-vous choisi le morceau musical qui accompagne le film ? 
Très simplement, très rapidement et aussi très tôt dans le processus : en faisant des recherches spécifiques sur des plateformes de librairies musicales. J’avais déjà une idée précise de ce que je voulais en termes de rythme, de durée, de genre et d’instrumentation. Je suis tombé rapidement sur ce morceau qui correspondait à mes attentes et qui m’a immédiatement percuté. 

À quel point êtes-vous intéressé par la question de la sensibilisation à la protection de l’environnement ? Avez-vous d’autres projets sur cette thématique ?  
Les problématiques environnementales me préoccupent forcément de plus en plus. Mais je ne suis ni marin, ni scientifique, ni avocat à la Commission européenne. Mes armes sont ma sensibilité, ma créativité et mes savoir-faire artistiques. Si mes messages arrivent à toucher des personnes capables de faire des changements dans la vraie vie, j’estime avoir joué mon rôle : communiquer au moyen de l’art. Chacun est libre de s’impliquer à sa façon. En ce qui me concerne, en plus d’avoir passé un trimestre à auto-produire ce film, je reverserai 20% des recettes engendrées par PLSTC à des ONG sur le terrain. Mes prochains projets en cours concernent également des causes universelles et j’explore forcément de nouveaux outils d’IA pour éventuellement m’aider à les réaliser. 

Quel est votre court métrage de référence ? 
Il y en a beaucoup évidemment, mais je vous citerai le premier et le dernier qui m’ont marqué : La Jetée de Chris Marker et A Short Story de Bi Gan. Mais j’espère bien en découvrir beaucoup d’autres à cette édition du festival de Clermont-Ferrand ! 

Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?  
J’ai découvert le festival sur le tard, il y a une dizaine d’années seulement, à l’occasion de la sélection officielle d’un de mes premiers films d’animation Miss Daisy Cutter. J’avais été marqué par l’ampleur de l’évènement ici au cœur de la France, ainsi que l’enthousiasme et l’engouement du public et des organisateurs. Le festival de Clermont-Ferrand est pour moi une merveilleuse expérience et un exemple – à l’instar de Cannes ou d’Annecy pour le cinéma d’animation – de ce que qui se fait de mieux pour nourrir la passion et satisfaire la curiosité pour le cinéma, “aux quatre coins de l’hexagone”. 

Pour voir PLSTC, rendez-vous aux séances de la compétition L5.  

]]>