Entretien avec Sarah Arnold, réalisatrice de L’Effort commercial
Votre film est inspiré d’un fait réel. Pourquoi avoir décidé de réaliser un film à partir de cet événement ?
L’Effort Commercial est issu d’un appel à projet, lancé par l’association Femmes & Cinéma. Avec France 3, leur projet était de produire des films réalisés par des femmes sur le thème de la jeune femme au travail. Ils ont reçu plus d’une centaine de scénarios. Moi on m’a confié celui d’Aline Crétinoir, une jeune scénariste qui aujourd’hui est entrée au Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle. L’autre film, réalisé dans ce même cadre, c’est Max de Florence Hugues. Le scénario d’origine racontait l’histoire d’une caissière et se basait sur la propre expérience d’Aline. Les gestes et l’univers étaient retranscrits de manière très réaliste et convaincante, mais une partie de l’histoire se passait en dehors du supermarché. Hors, je voulais faire un huis clos. Lorsque j’ai entendu parler de Fadila, qui avait fait une fausse couche à sa caisse, dans une grande surface de Tourcoing, j’ai tout de suite eu envie d’en parler. Je me suis beaucoup documentée et j’ai parlé avec la section syndicale du supermarché. Il y avait une profonde sensation d’injustice dans leurs propos. Une très forte colère aussi. Comment prouver qu’un embryon qui se décroche d’une paroi utérine est imputable à des conditions de travail difficiles ? Les trois premiers mois, ce sont des choses qui arrivent… Et pourtant, la Femme sait. Elle sent quand son stress ou les conditions extérieures viennent « heurter » sa grossesse. Ce qui est intéressant je trouve, c’est qu’à partir du moment où ça commence à se voir, où le ventre prend forme disons, la femme entre dans la catégorie des « saintes porteuses d’avenir ». On lui accorde les meilleurs égards, projetant sur elle un regard parfois infantilisant, comme si elle était faible, ou fragile. Or, quand le ventre commence à se voir, c’est que ça va très bien ! L’embryon a laissé place au fœtus et dans la grande majorité des cas, ça roule ! C’est avant, quand ça ne se voit pas justement, quand les hormones chamboulent le corps et l’esprit, que la femme est fragile et a besoin d’être entendue. Or, à plusieurs reprises, Fadila a demandé un aménagement horaire qui ne lui a pas été accordé. Pourquoi ? Par mépris ? Par racisme ? Pire ? Pour qu’il se passe ce qui s’est effectivement passé et éviter ainsi de lui payer un congé maternité ? On en vient à imaginer toutes sortes de scénarios ! Pour moi, le cas de Fadila est un symbole plus large de la précarisation du travail qui se généralise dans un pays comme la France qui se veut exemplaire en droit du travail.
Le décor déréalisé accentue l’aspect aseptisé de l’univers du supermarché, et son abstraction concentre l’attention du spectateur sur le jeu des acteurs. Pouvez-vous dire quelques mots sur ces choix de mise en scène ?
Je n’avais pas envie de faire un film « national réaliste », comme plaisantent certains de mes amis. Un de ces film français poignant, larmoyant de véracité, qui vous mettent la conscience tranquille parce que vous vous surprenez à ressentir des émotions, mais qui vous rassurent à la fin, parce que vous êtes du bon côté de l’histoire. Je trouvais que c’était opportuniste de se baser sur la souffrance de cette femme pour en faire un film réaliste. Qu’est-ce que j’en sais, moi, de sa réalité ? Le pas de côté qu’on a opéré avec Eva Medin, la cheffe décoratrice, c’était pour moi une manière de respecter le sujet. Je ne lui vole rien à Fadila, j’interprète. En déréalisant, on voulait universaliser, sortir de l’anecdote.
Le personnage d’Eric, par sa rigidité et son absence d’affect, provoque un certain malaise. C’est un personnage essentiel, qui incarne la rigidité et l’absence d’humanité du système. Comment avez-vous travaillé avec Pascal Tagnati pour parvenir à ce résultat ?
C’est lui qui amène ça. Pascal a un jeu très particulier, très « à lui ». C’est un mélange de froideur et d’humour. Il a toujours un peu d’autodérision aussi. C’est ça que j’apprécie. Il est très drôle ! C’est un humour tragi-comique que j’aime beaucoup. Comme je le disais plus haut, on n’a pas cherché à composer un personnage réaliste. On a cherché à faire un personnage ambiguë. Quelqu’un qui cherche à être sympa et qui ne se rend pas compte de son potentiel agressif. C’est l’hypocrisie managériale du « nous sommes une famille » qui est violente.
Quelle(s) réaction(s) souhaitez-vous que ce film provoque chez le spectateur ?
Je ne sais pas trop. De la gêne peut-être… J’aime bien les films qui gênent. Pour moi le cinéma n’est pas un art du divertissement, c’est un art du dérangement.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
S’il continue à être subventionné, le court métrage a une longue vie devant lui ! C’est un espace de liberté artistique inépuisable, un terrain de découverte de soi en tant qu’auteur. C’est aussi un lieu d’expression où l’on fait moins de compromis que dans un long métrage. Ce qui personnellement, moi, m’attriste un peu, c’est quand le court métrage « singe » le long métrage. Qu’il cherche à lui ressembler, à être parfait. On retrouve beaucoup ça dans les courts qui gagnent aux César. Ce sont pratiquement toujours des films, qui dans leur forme tout du moins, ressemblent à du long. Et c’est dommage, parce que je trouve que le court métrage devrait servir à oser, à se mettre en danger.
Pour voir L’Effort commercial, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.
]]>Entretien Sarah Arnold, réalisatrice de Parades
Comment vous est venue l’idée de la rencontre et de l’enlèvement de Parades ?
J’avais envie de faire se rencontrer l’ordre et le désordre, confronter la loi à la désobéissance. L’enlèvement de Lionel et le coup de massue qu’il se prend, c’est celui de l’anarchie qui assomme la loi.
Comment avez-vous construit ces deux personnages ?
Qu’est-ce qui vous plaisait dans leurs personnalités particulières ?
J’ai construit ces personnages sur la base de l’antithèse. Un homme-oiseau qui sait siffler mais qui ne sait pas parler et une femme-poisson dont les mots sont autant de cailloux jetés à l’eau. L’idée était de faire se rencontrer deux personnages que tout oppose et qui ne cadrent pas avec la normalité. Deux personnages handicapés de la réalité, inaptes au monde. Margot ne trouve plus sa place dans la société parce que son niveau d’exigence et son idéal de justice est excessif. Elle a tellement espéré pouvoir changer quelque chose que son impuissance l’a fêlée. Sous ses allures de semi-remorque, sa détresse est réelle et cette histoire de poisson oracle est le signe qu’elle s’éloigne des rivages de la raison. Lionel, au contraire, a besoin de l’ordre pour exister. Être guide lui permet de ne pas communiquer avec ces humains qui lui font peur. Je voulais que sa passion ornithologique soit également une fuite pour lui. Finalement, ce sont deux personnages qui, faisant un pas l’un vers l’autre, font un pas vers la réalité.
Aimez-vous particulièrement les espaces naturels ? Pensez-vous qu’il faille les protéger et pour vous, jusqu’où la protection peut-elle aller ?
Oui, j’aime particulièrement les espaces naturels mais ils me font peur aussi. Tous mes films se passent à la campagne, alors que j’habite en ville. Pour moi, un décor naturel est plus propice à s’éloigner d’un certain réalisme et il me permet d’aborder les questions qui m’intéressent avec plus de liberté. Par contre, dans ce film, l’espace n’est pas naturel. C’est un lac artificiel que j’envisage comme une métaphore du monde. On y rase les minorités en vue de faire du profit, sous couvert de bonnes intentions. Je suis reconnaissante aux personnes qui se battent à Notre Dame des Landes, en Val de Susa (Italie), à Bure dans la Meuse et partout ailleurs, pour protéger ce qui devrait l’être par l’État et l’Europe. Naïvement, sans doute, j’ai toujours du mal à comprendre pourquoi il en revient aux citoyens de défendre ces espaces naturels alors que ça devrait s’inscrire dans une volonté politique. La protection d’un espace naturel n’est pas qu’une question d’écologie, c’est une question de liberté.
Avez-vous une fascination particulière pour les oiseaux, leurs parades et/ou leurs chants ?
C’est drôle, le premier titre du projet était J’aime pas les oiseaux. Non, je n’ai pas d’attrait particulier pour les oiseaux. Je ne les connais pas suffisamment. Je ne comprends pas leur langage, je les trouve dénués d’émotions, ils ont des yeux ronds et froids… Par contre, j’ai regardé beaucoup de vidéos de parades nuptiales et j’ai été fascinée par certains plumages, certaines denses. Le plumage du paradisier, par exemple, produit un masque qui semble humain. Ceux-là ont quelque chose de « chamanique », je trouve ! Mais le grèbe huppé dont il est question dans le film n’est pas très beau. Il ressemble à une brosse pour les WC… Ce qui m’intéressait, c’était de m’inspirer du burlesque animal.
Êtes-vous intéressée par la thématique des relations humaines et envisagez-vous de faire d’autres films sur ce thème ?
Chaque film n’a-t-il finalement pas pour thème les relations humaines ? Je travaille actuellement à l’écriture d’un long métrage qui se passe à nouveau en milieu rurale et dans lequel la présence animale tient encore une fois un rôle important. Globalement, la question qui m’intéresse chez mes personnages c’est « quelle est la part de sauvage qui perdure en nous » et comment cette part résonne-t-elle entre nous ?
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
La liberté de ne pas me poser la question du public. Je me suis toujours adressée au public, mais cette absence de pression quant au nombre d’entrées que doit faire le court métrage fait que je me sens libre de suivre mes intuitions et de ne pas trop me demander si ça va plaire ou non. Le court métrage permet de tester des choses et donc de se mettre en danger. Avec Parades par exemple, je voulais me confronter aux dialogues et à la comédie à travers un jeu « très composé » à la manière des films de Hal Hartley. Je souhaitais aussi travailler le ridicule et la satire sans savoir si j’allais y arriver. Pour moi, le court métrage permet d’avancer avec créativité, intuition, curiosité et j’espère pouvoir continuer comme ça pour mes prochains projets.
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est la première fois que je viens au Festival de Clermont-Ferrand. J’espère y voir des films qui nourriront mon travail, y rencontrer des professionnels et des artistes avec lesquels sympathiser et rencontrer le public pour échanger sur les différents films des programmations.
Pour voir Parades, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.
]]>Vous avez loupé une édition ? Voici quelques sessions de rattrapage.
Court Circuit, tous les samedis après minuit (dans la nuit de samedi à dimanche) sur Arte.
Pour les 60 ans de leur mère, trois frères décident de lui offrir une photo d’eux-mêmes dans une situation vécue mille fois dans leur enfance : le bain. Mais les chamailleries reprennent, comme à l’époque…
Découvrez la bande-annonce :
Sera ensuite diffusé Diane Wellington, réalisé par Arnaud des Pallières – sélectionné en compétition internationale – qui a reçu la Mention spéciale du Jury et la Mention du Jury Jeunes au festival en 2011.
Née dans les années 1920 dans le Dakota du Sud, Diane Wellington disparaît un jour des bancs de l’école. La jeune fille tombe dans l’oubli, jusqu’à ce que ses ossements soient retrouvés quelques décennies plus tard.
Libre Court, tous les lundis à 00h40 sur France 3.
Lundi 18 décembre, ne manquez pas Parades de Sarah Arnold. Ce film est sélectionné en compétition nationale au festival 2018.
Face aux injustices du monde, Margot ne sait plus si l’avenir a un sens. Désabusée, ne croyant plus aux luttes politiques, elle veut s’en remettre au Dardu, une carpe légendaire sensée prédire l’avenir. Mais le règlement du lac a changé : la pêche y est interdite.
Découvrez la bande-annonce :
]]>