Dernier verre avec The Manila Lover (L’amant de Manille)
Entretien avec Johanna Pyykkö, réalisatrice de The Manila Lover (L’amant de Manille)
Tout d’abord, pourquoi avoir situé votre histoire à Manille ?
J’ai rencontré en Suède une touriste philippine qui m’a raconté que les hommes scandinaves blancs avaient tellement de préjugés qu’ils pensaient savoir qui elle était avant même de la connaître. Ces hommes n’arrivent jamais à voir sa véritable personnalité. Cette rencontre m’a donné l’idée du personnage de la femme philippine dans The Manila Lover, voilà pourquoi le film se passe à Manille. Il me paraissait intéressant de parachuter le personnage masculin aux Philippines, un pays qui n’est pas le sien. En racontant ses mésaventures, je voulais que le film évoque la situation actuelle aux Philippines avec un regard inédit dans le cinéma européen. Je trouvais cette approche pertinente, donc motivante et réjouissante d’un point de vue artistique.
Il est assez rafraîchissant d’assister à cette inversion des rôles entre les personnages. Qu’est-ce qui vous a donné cette idée ?
D’abord, la rencontre avec cette Philippine, mais aussi le fait que je sois issue de la classe ouvrière. À cause de mes origines, j’ai rencontré beaucoup d’hommes comme Lars, le personnage principal, j’ai vu diverses facettes de leurs personnalités, et constaté qu’on pouvait aller plus loin dans leur exploration artistique. Dans la relation entre mes deux personnages (la femme philippine et l’homme scandinave), les deux personnalités ressortent, et c’est cela qui m’a passionnée. Voilà pourquoi j’ai mis en scène ces deux personnages. C’est aussi l’étroitesse d’esprit typiquement scandinave de cet homme que j’avais envie d’explorer, ainsi que ses sentiments et sa solitude. Quand on évoque des hommes comme Lars, on omet souvent leur intimité, leur sensualité. Je trouvais que la relation entre ces personnages constituait une base dramatique intéressante.
Je suppose que la première scène du film se passe en Norvège. Lars part-il aux Philippines dans le but de trouver l’amour ?
Oui, c’est la Norvège. Le froid, la neige. Pour moi, cette courte introduction évoque son besoin d’amour.
Et quelles sont les motivations d’Abigail ?
Abigail aime bien Lars, elle le trouve séduisant, mais ils ont des intentions et des attentes qui divergent, comme c’est le cas dans beaucoup de relations amoureuses. Nous avons échangé avec de nombreuses Philippines pour avoir leur avis sur le personnage d’Abigail. Parmi celles qui nous ont particulièrement inspirés, il y avait une réalisatrice, une professeure d’université de Manille spécialisée dans la condition féminine, ainsi que notre fabuleuse coproductrice, Bianca Balbuena-Liew, de l’équipe d’Epicmedia. Nous avions envie d’approfondir le personnage d’Abigail, afin qu’elle paraisse plus authentique à nos interlocutrices. Sans révéler toute l’histoire, les choix qu’elle fait dans le film incarnent ce que les femmes philippines pensent être réservé aux hommes, ce qu’elles ne peuvent pas faire sans se faire mal voir. Le film la montre telle qu’elle est, sans porter de jugement. Elle a aussi ses défauts, mais bon, personne n’est parfait. Je trouve que si ces deux portraits sont réussis, c’est surtout grâce aux acteurs, Angeli Bayani et Øyvind Brandtzæg : j’ai adoré leur jeu et leur façon de faire vivre les personnages.
Quels sont vos projets de films pour l’avenir ?
Je vais bientôt réaliser mon premier long métrage, dont le titre provisoire est Ebba, financé en grande partie par le Norwegian Film Institute et produit par Verona Meier, de Ape&Bjørn. Je travaille actuellement sur une deuxième mouture du scénario avec mon coscénariste, Jørgen Færøy. On l’a déjà concrétisé sur un mur plein de Post-It, c’est un peu le bazar mais ça prend forme. Nous avons récemment eu d’excellents retours dans le cadre du programme Next Step de la Semaine de la Critique, ainsi que du TIFF Filmmaker Lab au festival international de Toronto – on a donc des tas d’idées intéressantes à travailler. En plus de ce projet, je prépare d’autres longs métrages, une série télé et un court métrage.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Oui, je peux prendre plus de risques et faire des choix plus audacieux, sans trop d’appréhension. Les budgets sont plus serrés et la distribution est prévue en fonction.
Pour voir The Manila Lover (L’amant de Manille), rendez-vous aux séances du programme I1 de la compétition internationale.