Dernier verre avec The Unseen River (La rivière invisible)
Entretien avec Phạm Ngọc Lân, réalisateur de The Unseen River (La rivière invisible)
Comment vous est venue l’idée de parler de liaisons amoureuses et de sentiments ?
Tous les mois d’août, dans la ville où j’habite, les hirondelles de rivage font leur apparition. Le soir, elles survolent la surface du fleuve et font entendre leur chant. Des croyances circulent depuis la nuit des temps autour de ces oiseaux, et surtout sur la nature inséparable des couples : lorsque l’un meurt, l’autre se résout à la solitude pour le restant de ses jours, ou plonge la tête dans le sol pour mourir de chagrin. J’ai grandi dans les régions de l’Est, où ces légendes sont courantes, et quand je pense aux fleuves, je pense aux hirondelles – et à cette fidélité, cette définition traditionnelle de l’amour. Il s’est trouvé par hasard que nous avons tourné le film en pleine saison des hirondelles. En étant très attentif, vous entendrez leurs gazouillis et vous les verrez chasser à la surface de l’eau.
Comment avez-vous travaillé sur les lumières et l’ambiance zen ?
Nous n’avions pas de budget pour les lumières. La lumière que vous voyez à l’écran est entièrement le fait des changements météorologiques sur le lieu de tournage. Je vous avoue que je suis déçu par la lumière dans tous mes films. En revoyant mes courts métrages, les uns après les autres, je me dis – si seulement j’avais pu avoir un éclairage adapté pour tel ou tel plan, et j’imagine comment améliorer les choses la prochaine fois si le budget le permet. Malheureusement, ce n’est pas encore arrivé. Quand j’ai commencé ce projet, je voulais une ligne directrice : un film méditatif dans lequel le son, le montage et la forme sont aussi fluides que le courant incessant du fleuve. Bien que The Unseen River soit plus bavard que mes films précédents, mon intention était que le spectateur en ressorte avec une impression générale plutôt qu’il finisse le film sur des dialogues précis. Pour que le film évoque le courant d’un fleuve, il faut qu’il puisse emporter avec lui les détails qui pourraient lui faire obstacle.
Vous intéressez-vous particulièrement au lien avec la nature et pensez-vous aborder cet aspect dans vos prochains films ?
Dans mes derniers films, je me suis rendu compte que je suis de plus en plus attiré par ce qui touche de près à la nature et s’éloigne des humains. Je viens de terminer le scénario d’un autre court métrage qui va dans ce sens, mais j’ignore quand je pourrai le réaliser.
Pourquoi le jeune homme cherche-t-il de l’aide dans un monastère pour soigner son insomnie ? Ce lieu a-t-il un sens particulier pour vous ?
Avec ce film, c’est la première fois que je me plie à un thème imposé : un festival de cinéma a demandé à cinq réalisateurs du Sud-Est asiatique de réaliser The Unseen River en hommage au Mékong et pour attirer l’attention sur l’état déplorable dans lequel se trouve le fleuve. Chaque fois que l’on mentionne le Mékong, nous l’associons inconsciemment au bouddhisme (et, dans un deuxième temps, aux grands barrages). Les pays et les territoires traversés par le Mékong sont tous imprégnés des enseignements et des idées du bouddhisme, qu’il soit hinayana ou mahayana. Pour moi, le lien intrinsèque entre la rivière, le sommeil et le bouddhisme coule de source. Dans la tradition orientale, celui qui ne trouve pas le sommeil a l’esprit tourmenté, il n’a pas dompté sa colère ni trouvé la paix intérieure. En outre, le sommeil est important dans le bouddhisme : on voit souvent des images de Bouddha en train de dormir sous le figuier sacré, alors que les tableaux et les anecdotes décrivant d’autres personnalités religieuses les montrent dans un état éveillé et alerte. D’après les textes bouddhistes, un prince interrogea un jour Bouddha sur son sommeil, et ce dernier répondit immédiatement qu’il est de ceux qui dorment profondément. Dans le roman Siddhartha, de Hermann Hesse, le protagoniste – censé ressembler au Bouddha lui-même – trouve l’éveil spirituel au bord d’un fleuve, la nuit. Dans ce moment de plénitude, il entend les magnifiques murmures de la rivière, puis il pleure et s’endort calmement.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
L’amour et l’intérêt pour le court métrage sont toujours aussi grands que lorsque vous m’avez interviewé l’an dernier. J’espère que le court métrage va trouver une méthode de distribution qui lui convienne mieux. Il se peut qu’à l’avenir, la définition même d’un court métrage, que ce soit en termes de genre ou de durée, évolue beaucoup car les bases du monde du cinéma dans sa globalité vont être ébranlées par la pandémie. Nos habitudes et notre conception de la consommation visuelle vont changer elles aussi durablement, avec des nouveautés comme TikTok par exemple.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
J’ai vu une pub pour un cours de méditation en ligne qui avait l’air intéressant. J’aime bien l’idée de faire quelque chose, mais ça ne me fait rien, à part regarder dans le vide. Personnellement, j’irai sans doute dormir jusqu’à ce que l’idée de faire des films sur des insomniaques me laisse tranquille.
Pour voir The Unseen River (La Rivière invisible), rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.