22e compétition labo
Le paradoxe de la nuit noire
Avec les lumières des villes, le monde contemporain est en train de « tuer » la nuit. Dans certaines cosmogonies, elle est à l’origine même du monde : c’est l’archétype de la matrice de l’obscurité du ventre de la mère. Dans d’autres, la nuit est le lieu de la fin, le symbole de la mort, les ténèbres du tombeau. Mais aussi la nuit qui se fait dans la salle de cinéma avant la projection du film. Avec El Sembrador de Estrellas, Lois Patiño sublime ces réflexions, arrivant même à glisser une touche de Blade Runner version Ridley Scott dans son Tokyo fantasmé. On trouvait déjà ces somptueuses ambiances nocturnes dans Montaña en Sombra (prix spécial du jury labo Clermont-Fd 2014) projeté l’année dernière dans la rétrospective Espagne et visible dans le coffret 20 ans de labo disponible à la boutique du festival.
Autre virtuose de cette édition labo : Bi Gan. Débarqué de nulle part en 2015 sur nos cartes du cinéma chinois, il filmait les alentours de sa ville dans la province de Guizhou comme un conte mystique où se précipiteraient passé et présent, tel Hou Hsiao-hsien ou encore Wong Kar-wai. Son premier long métrage Kaili Blues deviendra en une journée, le film d’auteur de loin le plus rentable de l’histoire du pays, avec quelque 38 millions de dollars de recettes et 7,3 millions de spectateurs ! Cet invraisemblable casse assurera à Bi Gan, 29 ans, de rêver à sa guise aux films qu’il lui plaira de tourner les décennies à venir et de revenir au court métrage comme avec A Short Story et cette cocasse histoire de chat détective qui déploie un univers entre Phillip Barker (période Malody) et David Lynch.
Le labo, c’est aussi la place du documentaire avec pas moins de neuf films sur les vingt-cinq en sélection. C’est un plaisir d’y revoir Douwe Dijkstra, grand prix labo en 2017 avec Green Screen Gringo. Il s’empare avec une légèreté joueuse, presque candide, de l’histoire de son voisin originaire de Somalie avec Buurman Abdi. Pourtant traversé par l’évocation de la guerre et d’une délinquance passée, il remet en scène sa vie avec son style unique, si lumineux, avec force effets spéciaux et trucages malins.
Étudiante du Fresnoy, Judith Auffray surprend avec son approche unique de l’expérimentation et la recherche avec Les Hommes de la nuit et sa jungle synthétique, au plus près des orangs-outans de Bornéo.
Autre brillante présentation : 45th Parallel de Lawrence Abu Hamdan, avec ce monologue de haute volée qui expose la notion de frontières et de ses implications potentiellement mortelles.
Après 10 ans d’absence, c’est le retour de Yann Gonzalez à Clermont avec Hideous. Le film s’articule autour de trois morceaux issus d’Hideous Bastard, premier album solo du Britannique Oliver Sim, bassiste et chanteur du groupe The xx. Le chanteur Jimmy Somerville y fait une apparition, en très littéral ange gardien. Figure musicale tutélaire, qui racontait dans Smalltown Boy (avec son groupe Bronski Beat) le parcours d’un jeune homosexuel. Le monstre finit par sortir du bois et se déchaine, on sent bien l’intention d’Oliver Sim qui, en plus de raconter son histoire, voulait l’illustrer avec un supplément d’imaginaire, tout en gardant ce questionnement au cœur du film : comment apparaître aux autres ?
Cette question anime également The Phantom Touch du Chilien Pablo Cuturrufo qui, en utilisant VRChat, nous emmène dans un espace où les lois de la physique n’ont pas d’importance. Comment pourrions-nous nous interpréter ? Avec un oiseau comme avatar ? Et de là partir à la recherche du sens de l’existence au travers de rencontres.
Autre quête, La Mécanique des fluides, dérive en open source de Gala Hernández, artiste-chercheuse en quête de traces sur Internet, finit par se transformer en un voyage intérieur entre nos solitudes connectées. Cet essai vidéo, au travers d’un prisme féministe, poétique et critique, propose une réflexion sur la représentation de la masculinité contemporaine sur le web au travers de la sous-culture incel.
Défricheur et décalé, bienvenue dans le labo 2023 !