Court de rattrapage : Nadav Lapid
« Mon objectif personnel est d’ouvrir des fentes dans les murailles de notre société, de nos certitudes, d’essayer de faire naître des doutes, de faire apparaître leur complexité et leurs conséquences politiques. »
Nadav Lapid
Israéliens, Palestiniens. Les cinéastes témoignent
Janine Halbreich-Euvrard & Carol Shyman
Riveneuve éditions – 2015
Nadav Lapid est né en 1975 en Israël, « un étrange pays du Moyen-Orient »* qui ne manque jamais l’occasion de faire la une de l’actualité depuis 1948, date à laquelle il s’est constitué en état. Naître dans ce pays vous prédispose à avoir un regard particulier sur votre société et sur le monde. Issu d’une famille d’artistes, le jeune Nadav séjournera à Paris, comme Yoav le personnage de La petite amie d’Émile, où il fait une cure de cinéma et tente vainement d’intégrer La Fémis. Finalement il se formera à la prestigieuse école Sam Spiegel de Jérusalem où il réalisera deux des courts métrages de ce programme.
Nadav Lapid est une figure de proue du nouveau cinéma israélien qui a émergé ces dernières années comme en témoigne également le cinéma d’Ari Folman, Keren Yedaya, Eran Kolirin, Samuel Maoz, Shlomo et Ronit Elkabetz, pour ne citer que les noms les plus connus en France. Notons au passage que le CNC français, à travers un système élaboré de coproduction, n’est pas complètement étranger à ce processus. Mais si Nadav Lapid, comme la plupart de ses confrères, peut développer un discours critique sur son pays, c’est aussi un réalisateur singulier et complexe qui n’hésite pas à jouer sur l’ambiguïté voire l’antipathie de ses personnages. Que ce soit avec un hâbleur draguant outrageusement la petite-amie de son copain perdu, un photographe poussant à la séparation les couples ou une institutrice à l’attitude inappropriée dans une société néo-libérale, jamais nous ne sommes dans des situations établies et prévisibles. Le jouisseur de Tel Aviv refuse d’emmener Delphine la Française au Mémorial de Yad Vashem car situé à Jérusalem, la ville des religions et des confrontations. Delphine, qui travaille sur la Shoah, est issue d’une famille aux origines pétainistes. Dualité, ambigüité et retournement traversent les personnages des films de Nadav Lapid. Celui-ci constate que son pays après une longue période « socialiste non seulement du point de vue économique mais aussi des valeurs… est devenu un pays ultra capitaliste »* et si dans les entretiens qu’il donne, il fait parfois référence à Don Quichotte, il n’a pas perdu la volonté de dénoncer cet état de fait à l’aide d’une lucidité froide et sans illusion. Comme il le dit régulièrement, il veut capturer l’air du temps tout en allant contre lui mais en sachant aussi qu’il en fait partie. Son premier long métrage Le policierentrera en 2011 en résonnance avec de puissants mouvements sociaux contestant le recul de l’état social et occupant les rues des villes israéliennes. Dans un premier temps, le film sera interdit au moins de 18 ans. Pour Nadav Lapid « d’un point de vue dramaturgique, le conflit israélo-palestinien ressemble à un de ces films expérimentaux qui n’en finissent pas, alors que, dramatiquement ils auraient dû se terminer longtemps avant »*. En 2004, il réalise Route, un court métrage totalement transgressif et d’une incroyable richesse dont l’analyse plan par plan serait une formidable leçon de compréhension du conflit. Dans Journal d’un photographe de mariage,à la mi-temps du film, la caméra zoome sur un minaret que l’on aperçoit dans le lointain alors que le marié a demandé spécifiquement que l’on ne voit pas de mosquée. Rappel, au milieu des échanges sur les affres de la vie conjugale, d’une réalité sociologique et politique d’Israël quelques mois avant que le gouvernement de Nétanyahou n’engage le processus de transformation de la loi fondamentale reléguant un peu plus la minorité arabe du pays qui représente environ 20% de la population. À l’automne 2018, bien qu’il ait déclaré dans un entretien au Cahiers du cinéma en mars 2012 « je ne me sens pas vraiment lié au cinéma israélien »*, Nadav Lapid a signé une pétition, avec de nombreux intellectuels et artistes, intitulée « Nous refusons la censure du cinéma israélien » au moment où le gouvernement voulait introduire une clause de « loyauté » dans les contrats de production. Il semble que depuis, le gouvernement de Nétanyahou ait reculé mais la situation du cinéma israélien, dans la situation politique actuelle du pays, reste très fragile. Au-delà de ce réel politique et sociologique, Nadav Lapid est aussi un explorateur des âmes, un scrutateur des comportements et des contradictions de personnages qui ne tombent pas du ciel mais sont profondément ancrés dans la réalité.
Cette année un nouveau long métrage de Nadav Lapid devrait sortir sur les écrans. Son titre, Synonymes, fait référence à un dictionnaire du même nom qu’un jeune israélien prénommé encore Yoav porte sur lui alors qu’il est en France. Pour ce que l’on en sait, le personnage se poserait la question de l’appartenance à un pays. Formulons l’hypothèse que pour Nadav Lapid, il y a un pays qui s’appelle « Le Cinéma » qu’il aime et qu’il questionne régulièrement comme dans Lama? et que les citoyens de celui-ci sont internationaux et même pour certains “internationalistes“.
Finissons avec une autre citation de ce réalisateur que nous sommes fiers d’accueillir et de présenter :
« De tous les arts, le cinéma est peut-être le plus connecté à la société, à la réalité, à la vie en général ; il est le reflet de ce qui arrive autour de lui. »*
* citations de Nadav Lapid dans divers entretiens.