Breakfast avec Inupiluk
Entretien avec Sébastien Betbeder, réalisateur de Inupiluk, qui a reçu le Prix du Public en Compétition Nationale.
Dans Inupiluk, difficile de différencier le réel et la fiction : deux des personnages arrivent vraiment du Groenland pour leur première découverte de la France, l’un des Thomas porte caméra et micro durant leurs péripéties… on a le sentiment d’une entière spontanéité des comédiens. Quelle est la part d’improvisation dans les dialogues des Thomas ?
Je récuse le terme d’improvisation que ce soit pour 2 automnes 3 hivers, mon film précédent ou pour Inupiluk. Je ne crois pas du tout à l’improvisation pure au cinéma. Nous avons beaucoup préparé ensemble ce tournage, tous les trois, avec les deux Thomas, afin de prévoir les séquences que nous aurions à tourner.
Le temps était compté mais il me semblait indispensable de fabriquer les personnages en amont afin d’être libres sur le plateau pour retravailler des dialogues esquissés lors de nos séances de travail. Il y avait cette idée de garder la fraîcheur de l’instant, de ne pas s’enfermer dans du mot à mot, mais en sachant assez précisément ce qui devait émerger des séquences.
Aviez-vous écrit à l’avance l’échange devant le panorama parisien et la Tour Eiffel, à propos de cimetière, d’igloo ou de la place de l’Être humain ?
C’est un peu la même réponse que pour la question précédente.
Ce n’était pas écrit comme pour un scénario traditionnel, mais les intentions existaient préalablement. Je comptais beaucoup, pour cette séquence en haut de la tour Montparnasse, sur notre capacité à proposer et à composer avec le contexte. Nous sommes restés dans ce haut lieu touristique durant quatre heures environ à chercher, à affiner ces moments.
Les séquences où Ole chante sont-elles écrites à l’avance ? Sont-ce des créations originales ou des chansons locales traditionnelles ?
Ce sont des compositions de Ole. Je lui connaissais par Nicolas Dubreuil ce talent. Lorsque nous nous sommes rencontrés, je lui ai demandé s’il était d’accord pour chanter dans mon film.
J’avais prévu cette intrusion de la musique pour cette séquence du premier dîner, comme une sorte d’introduction au parcours des quatre personnages. La deuxième chanson était un cadeau de Ole sur la route de la dune du Pyla.
Dans Inupiluk, le rapport à la barrière linguistique entre les personnages est particulièrement poignant. Vous jouez sur cette barrière qui sépare les Français des Groenlandais, malgré leur volonté commune de s’entendre et de se découvrir. Êtes-vous particulièrement sensible aux différences linguistiques ?
Oui, cela m’a toujours fasciné.
J’aime l’idée que ces quatre personnages puissent nouer un vrai rapport d’amitié alors qu’ils ne parlent pas la même langue, comme si ce qui les réunissait était au-delà du sens.
Par contre, vos quatre personnages semblent s’être accordés sur le port d’une courte moustache tombante que d’après le magazine GQ on appelle « moustache à l’américaine » (sic « Comprenez qu’elle part du dessus de la lèvre pour s’arrêter à la limite du nez. En largeur, elle ne dépasse pas les commissures des lèvres, ou très peu. Plutôt courte, elle épouse la forme de la bouche pour adopter une forme légèrement concave. »). Les avez-vous dirigés dans ce choix ou est-ce un hasard capillaire ? Il semblerait que ce soit « tendance »… Les hommes seraient-ils autant attachés au « fashion » en Groenland qu’en France ?
Il faut croire que ce sont des personnages IN.
Je les ai pris comme ils étaient, mais c’est vrai que j’étais heureux de cette coïncidence capillaire. Sérieusement, je crois beaucoup à la définition d’un personnage par ce genre de détails.
Dans Inupiluk, on réalise l’exotisme de notre propre environnement quotidien : la forêt, le zoo, la mer, deviennent, grâce au regard neuf de vos protagonistes, des découvertes à vivre, des expériences inédites. On oublie facilement que nous sommes nous-mêmes l’inconnu d’un autre et que notre quotidien peut aussi être une grande aventure. En réalisant ce film, aviez-vous en tête l’envie de nous faire redécouvrir cet environnement, ou des engagements politiques ou sociaux à défendre ?
Lorsque j’ai décidé que je ferais le film et que nous avions la certitude que Ole et Adam seraient bien de l’aventure, j’ai demandé à Nicolas Dubreuil (leur ami, qui a organisé leur venue, sur laquelle s’est bâti le scénario) quel était leur désir en venant en France. Il m’a répondu qu’ils voulaient :
– voir des animaux ; à part les ours et les phoques, ils n’avaient jamais vu d’autres animaux “en vrai”;
– marcher dans une forêt ; il n’y a pas d’arbres au Groenland
– et se baigner dans la mer ; la mer pour eux étant l’endroit où l’on meurt, la représentation d’un danger qui fait partie de leur quotidien.
Nous avons donc basé le scénario et le parcours des personnages sur ce programme. Qu’ils découvrent cela en compagnie des occidentaux pure souche que sont les Thomas questionnait évidemment notre regard sur ces paysages et ces animaux. Ensemble, ils expérimentent une autre façon d’être au monde. A l’image du Thomas qui n’a jamais été dans un zoo.
Vous avez tout à fait raison de parler d’expériences à vivre, c’est exactement de cela dont il s’agit dans Inupiluk. Et oui, je crois qu’il y a quelque chose de politique dans cette affirmation-là.
Pourquoi ne pas avoir intégré la montagne ? Les montagnes d’Auvergne par exemple…
La durée de leur séjour en France imposait de faire des choix et nous voulions répondre à leurs premiers désirs.
Le film se termine sur le départ d’Ole et Adam pour la Suisse, accompagnés d’un ethnologue. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’ils vont y faire ?
Dans la réalité, ils allaient faire des conférences avec Nicolas Dubreuil. Dans la fiction, ils répondent à l’invitation d’un ethnologue, ami du père de Thomas.
Après Inupiluk, on aurait bien envie de vous voir réaliser le pendant inverse, c’est-à-dire le voyage des deux Thomas vers le Groenland dans un film entièrement en groenlandais et faisant preuve du même comique de situations ainsi que de la sincérité de la découverte… Les acteurs vous l’ont-ils réclamé ? Y aviez-vous pensé dès le départ ?
Vous êtes devin ! C’est un projet qui commence à prendre forme dans mon esprit, qui n’était pas prévu quand j’ai réalisé Inupiluk, mais dont on parle quasiment tous les jours avec Frédéric, le producteur, Nicolas Dubreuil et les deux Thomas.
Il s’agirait de réaliser un long métrage mettant en scène les deux Thomas accueillis dans le village de Ole et Adam avec le personnage du père, comme nouveau protagoniste.
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Inupiluk était diffusé aux séances de la Compétition Nationale F12.
Inupiluk est produit par la société Envie de Tempête, représentée par Frédéric Dubreuil, qui a reçu le Prix Procirep du Producteur.