Lunch avec Daphné ou la belle plante
Entretien avec Sébastien Laudenbach, co-réalisateur de Daphné ou la belle plante
Les réponses à cet entretien sont apportées par Sébastien Laudenbach, avec l’aval de Sylvain Derosne
Comment vous est venue l’idée de réaliser Daphné ou la belle plante ?
Tout simplement en rencontrant Daphné dans l’exercice de sa profession. L’idée est apparue comme une évidence. Je suis donc retourné dans le théâtre érotique dans lequel je l’avais vue pour la première fois et lui ai laissé mon nom et mes coordonnées, lui disant que je serais intéressé à la rencontrer pour faire un film sur/autour/avec elle sans savoir le moins du monde quelle forme pourrait prendre ce film.
Comment s’est construite l’équipe du film ? Avez-vous plutôt cherché à travailler avec des hommes ou des femmes pour ce film ?
L’équipe du film s’est constituée à l’image de ce point de départ, au gré de rencontres successives tout au long de son élaboration. J’avais rencontré Jean-Christophe Soulageon lors du festival de Clermont-Ferrand 1999 et nous étions en contact depuis ce temps. Ayant obtenu un financement du CNC au titre de l’aide au programme, il souhaitait que le film soit terminé fin 2013. Or je ne pouvais pas le réaliser durant cette période et de plus j’avais besoin d’un appui technique et logistique pour certaines parties de l’animation. J’ai donc proposé à Sylvain Derosne d’entrer sur le projet et plutôt qu’il soit directeur de l’animation, il me semblait plus juste et surtout plus intéressant de lui proposer une co-réalisation. Il a donc assuré le suivi et la fabrication de 90% du film, assisté des techniciens et des moyens techniques du studio Manuel Cam. Un grand nombre de choix artistiques sont les siens.
Julien Signolet, le sculpteur, est un ami de mon quartier. J’étais en train de réfléchir au film lorsqu’il m’a parlé de collaborer ensemble sur un lien entre sculpture sur bois et animation. Il est ainsi entré dans le projet de façon naturelle. Je me suis occupé de cette partie « sculpture », seul avec lui, grâce au soutien logistique de Florian Duval, producteur chez Double-mètre animation.
Pas de choix délibéré de travailler plutôt avec des hommes ou avec des femmes. C’est le hasard. La musique en est le fruit. J’ai rencontré Juliette Armanet alors que le film était presque terminé et que nous nous posions la question de la musique pour la séquence de la danse de la feuille. Là aussi il m’a semblé évident et naturel que ce soit elle qui fasse cette musique, en collaboration avec son associé Manuel Peskine. Le morceau que l’on entend dans le film est une chanson de son premier album qui sortira prochainement, dont nous n’avons gardé que le refrain. Elle semblait avoir été écrite pour le film.
L’ensemble du tournage est constellé d’autres rencontres fortuites de ce type mais je ne vais pas m’étendre.
L’équipe s’est donc constituée par intuition et désir.
Le témoignage entendu est-il le témoignage original de Daphné ou l’avez-vous retravaillé avec une comédienne ?
C’est celui de Daphné. Après notre première rencontre en dehors de son lieu de travail nous nous sommes vus deux fois. Il y a environ 6 heures d’entretien. Les questions étaient simples et suivaient la structure de l’on retrouve dans le film. Je souhaitais partir de ce qu’elle expose, son corps, mais en le considérant comme une enveloppe protectrice davantage que comme l’exposition d’une quelconque intimité. Ma première question fut donc « décris-toi », et c’est le début du film. Puis, petit à petit, je suis allé de plus en plus vers l’intérieur, le cœur, en passant par le regard des spectateurs sur elle, son regard sur les spectateurs et ainsi de suite. Evidemment, beaucoup de choses ont été mises de côté.
Là où mon intuition fut bonne (et je m’étonne encore de cela), c’est que je suis tombé sur quelqu’un qui avait un discours très élaboré sur ce travail et sur sa position. Daphné parle bien, très bien même. Mais ce qu’on entend est bien un montage de ce qui a été pris sur le vif.
On comprend rapidement la métaphore avec la femme qui témoigne dans vos animations de plantes. On s’attendrait à davantage de roses et de glaïeuls, mais vous avez choisi de représenter majoritairement des arbres, solides et majestueux. Pourquoi ce choix ?
Comme je le disais, j’ai considéré que le corps, outil de travail de Daphné, était une protection, une écorce. Il y a l’écorce, et sous cette écorce différentes strates pour arriver au cœur. L’arbre est donc arrivé naturellement. Il m’intéressait de traiter une activité aussi urbaine avec des éléments naturels, d’autant que Daphné elle-même en parle comme d’une seconde nature.
Pour autant, c’est une activité crue, rude, brute. On n’est pas dans un effeuillage intime et domestique. L’arbre est donc plus juste que la rose, car il faut avoir un certain cran pour faire cela par choix.
Par ailleurs, l’arbre c’est le bois, et ce bois est malléable. On pouvait donc jouer avec de nombreux aspects de ce matériau, de l’écorce à la sève. Il est majestueux mais peut être réduit en poussière, voire brûlé. Mais il peut aussi devenir un objet ou une œuvre d’art.
Enfin, le prénom Daphné fait référence au mythe de Daphné et Apollon dans lequel Apollon pourchasse Daphné pour la posséder, et celle-ci est transformée, par le pouvoir de son père Penée, en laurier. Elle échappe ainsi aux ardeurs d’Apollon. Le laurier est un arbre.
Aujourd’hui en France, on parle d’interdire la prostitution car des jeunes femmes sont abusées, enlevées ou enfermées pour exercer cette activité. Le témoignage de Daphné semble aller dans un autre sens puisqu’elle paraît libre d’aller au-delà de la danse quand elle le souhaite ou non, et surtout libre de choisir ses clients. Avez-vous parlé avec Daphné de ce sentiment de libre choix ?
Oui. Il est important pour elle d’exercer cette activité par choix. C’est une partie de son discours qui aurait pu figurer dans le film : Daphné est féministe, elle souhaite disposer de son corps comme elle l’entend. Pour autant, ce discours est un peu contradictoire avec sa position puisqu’elle est sujette à une entreprise qui lui assure une certaine protection mais lui impose ses conditions. Aujourd’hui, Daphné s’est affranchie de cette entreprise et exerce son activité, dans un contexte ouvertement plus théâtral, en étant son propre patron.
Mais attention, Daphné est strip-teaseuse et non prostituée. Ce qui se passe dans les « petits salons » ne tombe pas sous le coup de la loi. Elle ne fait qu’exécuter une danse privée de l’autre côté de la barrière, devant un seul client qui est, lui, libre de faire ce qu’il veut tant qu’il ne franchit pas cette barrière.
Pourquoi n’avoir récolté qu’un seul témoignage et aucun sur la question de la prostitution forcée ?
Parce que ce n’est pas le sujet du film ni son origine. Il ne s’agissait pas de faire un documentaire sur le travail du sexe en France aujourd’hui, mais de faire un portrait. C’est la personne qui m’intéresse et non son activité.
Le témoignage de Daphné nous donne à entendre la satisfaction qu’elle tire de son travail et le besoin qu’elle a de prouver qu’elle est compétente dans son activité. Vous attendiez-vous à ce regard sur son travail, comme celui d’un employé de bureau sur ses dossiers à faire ?
Oui et non. Je parlais plus haut de notre première rencontre. Si je suis étonné d’être tombé sur cette personne, je pense que le hasard seul n’est qu’un élément de cette rencontre. Il y avait plusieurs filles ce jour-là, évidemment. Mais je crois que je suis allé la voir, elle, tout simplement parce que je me suis reconnu en elle, parce qu’elle me ressemble, parce qu’elle semblait appartenir au même monde que moi.
Daphné évoque la question du salaire. Elle semble estimer être payée trop peu, pourtant elle ne s’offre pas d’augmentation… Pourquoi n’avez-vous pas discuté de la fixation des tarifs, sont-ils décidés en commun avec d’autres danseuses ? Daphné a-t-elle peur de perdre ses clients réguliers si elle augmente ?
Au moment des entretiens, Daphné travaillait pour le compte d’une entreprise qui fixait ses salaires. Elle n’était donc pas libre de fixer ses tarifs. Ce n’est pas une prostituée. C’est une danseuse dont l’activité relève du spectacle vivant, légale et déclarée. En revanche, elle parle dans le film d’une fluctuation de ce revenu en fonction des clients, sous forme de pourboires qui peuvent parfois monter haut.
À un moment du film, l’animation m’a semblé suggérer que Daphné se sculptait à travers le regard des hommes. Pensez-vous que la « construction de soi » passe par le regard de l’autre ?
Oui, évidemment. Mais Daphné, qui est cet arbre au départ, est, comme tout le monde, un être multiple. Son activité peut la réduire en miettes ou en cendres, mais peut aussi la sublimer. Les regards bienveillants ou désirants de ses clients la mettent évidemment en valeur. Pas tant pour sa beauté que pour sa présence. Ces regards lui font du bien car elle se sent importante à ce moment-là pour ces gens-là. Le regard sculpte le bois pour en faire une forme artistique, belle. C’est un objet, certes, mais une sculpture est un objet bien particulier quand même…
Daphné ou la belle plante est une production française. Selon vous, dans le court-métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Je serais bien en peine de répondre à cette question, n’ayant jamais été produit ailleurs qu’en France et n’ayant pas une connaissance fine des enjeux de la production à l’international. Je vous renvoie à Jean-Christophe Soulageon pour une meilleure réponse.
Pour voir Daphné ou la belle plante, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F2.