Dîner avec Notre Dame des Hormones
Entretien avec Bertrand Mandico, réalisateur de Notre Dame des Hormones
Avez-vous déjà travaillé dans vos films précédents sur les rapports filiaux ?
Oui, dans Boro in the Box il était question des rapports filiaux…
On y voyait une mère enceinte qui, pour perdre son enfant, se jetait dans le vide, le même enfant (survivant) qui fantasmait sur sa mère physiquement amoureuse d’un cheval, un père initiant son fils au voyeurisme, avant que celui-ci, devenu cinéaste, soit frustré de ne pouvoir montrer ses films à ses parents… Le tout formant un portrait imaginaire d’un de mes pères de cinéma, Walerian Borowczyk.
J’entretiens des rapports particuliers avec mes pères-mères de cinéma, tous ceux qui m’ont nourri abondamment et dont je continue à mordre le sein jusqu’au sang…
Pourquoi avez-vous fait le choix de deux personnages féminins actrices ? Quelle est votre relation à l’interprétation dramatique ?
Le réalisme dans le cinéma (pour moi) passe par une mise en abyme de la fabrication (souvent fantasmée) du film. Dans cette logique, l’acteur (s’assumant comme tel) est mon protagoniste idéal. Les actrices ou les acteurs me fascinent, m’amusent ou m’angoissent (surtout lorsqu’ils sont possédés par leurs rôles). Comme tout le monde, j’ai toujours voulu être acteur, mais je joue de l’autre côté de la caméra en cadrant, invisible.
Avec Notre Dame des Hormones, j’ai d’abord eu l’envie d’écrire un film sur mesure pour Elina Löwensohn et Nathalie Richard. Le duo qu’elles forment dans les spectacles (comme dans la vie) est vraiment intense et drôle. Elles ont suffisamment d’autodérision et de folie pour se plonger dans un projet organique tel que Notre Dame des Hormones, c’était grisant de travailler avec ce merveilleux tandem… Elles n’hésitent pas à jouer avec leur propre image quitte à la tordre.
Quand j’ai imaginé les deux personnages principaux, j’avais en tête plusieurs films marquants, où il est question du crépusculaire des actrices (ou ménopause artistique) : Qu’est-il arrivé à Baby Jane de Robert Aldrich ou Femmes Femmes de Paul Vecchiali, ou bien encore Le secret de Veronika Voss de Rainer Werner Fassbinder et Sunset Boulevard de Billy Wilder… Je convoquais pendant le tournage le souvenir mêlé de ces films.
Dans Notre Dame des Hormones, vous questionnez le rapport à la chair dans tout ce qu’il a de plus concret et la réalité physiologique de l’animalité des êtres humains. Avez-vous travaillé en parallèle avec des analyses psychosociales ou sur des recherches d’endocrinologie ou avez-vous pensé Notre Dame des Hormones comme un travail d’imagination pure ?
Mon rapport à la représentation de la chair dans tous ces états est purement sensitif. La question hormonale m’amuse et me passionne, comme une clef naturelle de la mutation ou métamorphose. Dans le film, il n’est jamais vraiment dit que les femmes étaient des hommes, que les hommes sont des femmes ou que les biches sont transsexuelles, mais on peut le deviner au détour d’une phrase. On peut surtout percevoir les mutations hormonales dans l’univers créé tout autour des actrices…
Auriez-vous pu prolonger le film vers le questionnement des personnes qui prennent des hormones pour se transformer (transsexuels, sportifs, etc.) ?
J’ai plusieurs projets autour de la transformation sexuelle, mais éloignés d’un certain réalisme médical. Si il y avait une suite à Notre Dame des Hormones, il y serait question d’une confrontation des deux actrices avec une jeune rivale devenue la favorite de la créature… Une jeune borgne arriviste et désinhibée.
Vos personnages sont confrontés à la rencontre avec un être vivant assez particulier et avec lequel la communication n’est pas possible. Pourquoi avoir choisi de ne donner ni nom ni paroles à cet être ?
La créature est à mi-chemin entre le mollusque et le champignon, c’est un organe autonome. Il me semblait important qu’il ne soit pas tout à fait animal pour pouvoir garder une distance avec le spectateur, pas d’anthropomorphisme possible, ni d’empathie… En revanche la communication est établie, la créature réagit au toucher et s’exprime dans un langage compréhensible par un des deux protagonistes, comme un râle glaireux et mélodieux (écho d’un certain cinéma fantastique des années 80).
Notre Dame des Hormones est construit sur des chapitres. Comment avez-vous pensé l’évolution narrative du film et pourquoi ?
Les chapitres s’ouvrent sur des enluminures organiques, où un narrateur (Michel Piccoli, incarnation absolue de l’acteur) nous annonce ce que l’on va voir, ce procédé « d’annonce » me permet de jouer plus facilement avec une déstructuration du récit. L’histoire évolue par à-coups sensitifs ou répétitions d’actions et sauts dans le temps. C’est une structure mentale qui n’a rien d’expérimentale, je me suis inspiré de certains films d’Alain Resnais ou d’Abattoir 5 de George Roy Hill…
Avec Notre Dame des Hormones, on évolue dans un monde où deux actrices préparent une hypothétique pièce dans laquelle les notions de répétition, de jeux et de faux semblant, font parties de leur quotidien.
Notre Dame des Hormones joue avec le désir, l’érotisme et la projection que nous faisons sur autrui de nos envies sexuelles à son égard. Pensez-vous que le concept de décence, exigeant le contrôle de ces désirs, jeux et projections, ait du sens et « suffise » ?
Non. La décence est un concept puritain et rébarbatif.
Avec Notre Dame des Hormones, j’ai essayé d’explorer une vision de l’érotisme à rebrousse poil, déplaçant l’objet du désir sur une bouture d’organes autonomes et évocateurs. Ce morceau de chair qui ne ressemble à rien sera peut-être pour certaines personnes l’incarnation de l’indécence.
Dans Notre Dame des Hormones, on entend la chanson des Everly Brothers, « Torture ». Pourquoi avoir choisi cette chanson en particulier ?
J’ai découvert cette chanson dans Scorpio Rising de Kenneth Anger. Ce morceau sirupeux au refrain cruel, me semblait idéal pour conclure le film où désir et torture cohabitent dans un écrin baroque et coloré.
Et, dans votre travail préparatoire au film, comment avez-vous été amené à considérer que le désir puisse être une torture ?
J’ai rédigé les dialogues, en jouant sur une dynamique : désir et cruauté. Au fil des situations de plus en plus exacerbées, la torture est apparue. J’ai décidé de mettre « la torture du désir » littéralement en scène dans les séquences sans dialogues.
Dans les rapports sexuels, la jouissance peut être inégalitaire, il arrive qu’un partenaire seulement prenne du plaisir au détriment de l’autre. D’après vous, les relations sentimentales peuvent-elles être épanouies quand la jouissance n’est pas partagée ?
Il peut y avoir jouissance par procuration ou jouissance indirecte, c’est toute la différence entre le billard français et américain (si vous permettez la métaphore). Mais le jouisseur indirect peut passer par plusieurs états contradictoires pour atteindre l’épanouissement… Ce n’est nullement un idéal.
Enfin, Notre Dame des Hormones a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Tout dépend du producteur, pas de sa nationalité, beaucoup trop de producteurs sont internationalement timorés ou dénués de vision artistique. Pour ce film, j’ai bénéficié d’aides et soutiens français, tels que CICLIC, France 2 en la personne de Christophe Taudière et enfin de la détermination d’un producteur iconoclaste : Emmanuel Chaumet. Tous ont été très respectueux de mes partis pris et de mon désir de réaliser un film fiévreux et désinhibé. Sans eux, je n’aurais pas pu concrétiser Notre Dame des Hormones.
Pour voir Notre Dame des Hormones, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F1.
L’info en + Le film a été programmé dans d’autres festivals tels qu’Indie Lisboa.